Encore une fois, la grande muette, pour reprendre une expression en vogue, se retrouve, malgré elle, au centre des sollicitations de la classe politique et des candidats potentiels pour jouer, au mieux, “l'arbitrage”, au pire, “s'impliquer” dans la prochaine échéance électorale. En dépit des déclarations de son patron, le général du corps d'armée Mohamed Lamari, qui affirmait, en juin dernier, dans les colonnes du journal égyptien Al-Ahram que “l'armée accepterait le candidat élu, fût-il Djaballah”, quelques décisions prises en catimini, comme ce limogeage d'un colonel conseiller au ministère de la justice, en raison des pressions qu'il aurait fait subir à certains juges dans le “feuilleton du FLN”, permettent de dire que sa “neutralité”, au regard de l'évolution de la situation, risque d'être mise à rude épreuve. Si, presque à l'unanimité, tous s'accordent à accréditer l'institution militaire d'une réelle volonté de se retirer du champ politique et d'observer une stricte neutralité lors du prochain rendez-vous électoral, il n'en demeure pas moins que, paradoxalement, cette “neutralité” suscite, pour beaucoup, des appréhensions. Une neutralité qui, aux yeux de nombreux candidats, sert beaucoup plus le président Bouteflika qu'elle ne favorise l'émergence d'une compétition politique loyale. Entre autres sources d'inquiétude des candidats : le maintien de l'Exécutif dans sa composante actuelle. À ce titre, de nombreuses voix n'hésitent pas à demander à l'ANP d'adopter une position “géostationnaire”. C'est-à-dire, ni trop proche, ni trop éloignée. “Nos concitoyens, qui récusent la brutalité, comme mode de gouvernement et abhorrent les idéologies totalitaires, anciennes et nouvelles, refusent les élections factices. Ils désirent édifier une société vitale. Il est à ce titre vital que l'ANP, en décidant de quitter le champ politique, demeure partie prenante des mécanismes décisionnels déterminants et des choix stratégiques. C'est à ces conditions que la prochaine présidentielle pourra être porteuse d'espoir”, écrit Mouloud Hamrouche dans sa déclaration. Le même souhait est également exprimé par le général à la retraite et candidat, Rachid Benyelles. “La neutralité de l'armée risque d'être un problème”, dit-il en termes à peine allusifs. Même formulés diversement, Benflis, Benbitour, Taleb Ibrahimi, ainsi que les démocrates n'en caressent pas moins de leur côté le souhait que “la grande muette” observe une “neutralité agissante”. En d'autres termes, ne pas laisser à M. Bouteflika toute latitude d'organiser “sa propre réélection”, à travers notamment le maintien d'un Exécutif acquis à sa cause. Cela sans compter, bien entendu, ceux qui appellent ouvertement à l'avènement d'un nouvel ordre institutionnel, à l'image du FFS ou encore de Chérif Belkacem. C'est dire donc que l'institution militaire est face à un paradoxe : observer une neutralité stricte au risque de se voir accusée d'avoir favorisé indirectement M. Bouteflika ou s'impliquer pour “mettre de l'ordre” avec ce que cela comporte comme atteinte à sa crédibilité et la tempête que cela pourrait soulever au sein de la classe politique, mais aussi auprès des puissances occidentales. Bref, la grande muette est face à un véritable choix cornélien. K. K.