En promulguant des décrets pour les annuler quelques heures plus tard, comme ce fut le cas pour les taxes sur les tabacs et les alcools, avant de confier la sécurité du pays à l'armée, Mohamed Morsi donne l'image d'un président aux abois. Treize partis islamistes, dont la confrérie des Frères musulmans dont est issu le président Mohamed Morsi, ont appelé, dimanche, à manifester aujourd'hui en soutien à la tenue du référendum constitutionnel, comme souhaité par le nouveau raïs d'Egypte. Quelques instants auparavant, c'était l'opposition libérale et de gauche qui appelait aussi, à travers le Front national du salut (FSN), à manifester le même jour, en guise de rejet du référendum prévu le 15 décembre. Les islamistes, décidés à contrer une opposition unie comme jamais auparavant et qui a déjà enregistré un succès remarquable en contraignant le président Morsi à renoncer à un décret lui donnant des pouvoirs étendus et le plaçant au-dessus de la justice, ont choisi de manifester sous le slogan “Oui à la légitimité et oui au consensus national". Le FSN de son côté avait appelé à manifester “dans la capitale et dans les provinces, mardi, en signe de refus de la décision du président". L'opposition ne reconnaît pas “le projet de Constitution", car “il ne représente pas le peuple égyptien", soutient-elle. Le président Morsi, acculé par une opposition fortement mobilisée et décidée à en découdre, a fini par céder sur le décret de la discorde, mais a maintenu le référendum constitutionnel pour le 15 décembre, comme prévu initialement. Il multiplie les actions qu'il annule parfois quelques heures plus tard. C'est ainsi que le président égyptien Mohamed Morsi a annulé dimanche soir les taxes supplémentaires sur la bière, l'alcool, les cigarettes et le soda, annoncées peu auparavant. Les taxes sur les cigarettes, qui devaient être augmentées de 20%, celles sur le soda de 25%, celles sur la bière de 200%, celles sur l'alcool de 150% et celles sur le tabac de 150%, ont été annulées. Hier, il a commencé par demander à l'armée d'assurer la sécurité jusqu'à l'annonce du résultat du référendum prévu samedi sur un projet de Constitution au centre d'une grave crise politique et de violences meurtrières, dans un décret, avant d'en promulguer un autre accordant à l'armée le pouvoir d'arrêter des civils, à la veille de manifestations rivales. L'opposition, dont la mobilisation est montée en puissance le long de ces derniers jours, estime que le projet de Constitution ouvre la voie à une islamisation accrue de la législation et met en danger les libertés. Des affrontements violents ayant déjà opposé soutiens et opposants du président islamiste, occasionnant des morts et des centaines de blessés, l'Egypte retient donc son souffle aujourd'hui, à l'idée que les manifestants des deux camps opposés puissent se croiser et s'affronter de nouveau. En cas d'affrontements, tout à fait probables au demeurant, nul ne peut en prévoir les conséquences. L'armée, qui a dirigé le pays depuis la chute de Hosni Moubarak jusqu'à l'élection de Mohamed Morsi, est sur les dents depuis l'amorce de la crise, il y a une quinzaine de jours. Elle a lancé un appel au dialogue, samedi, tout en prévenant qu'à défaut de pourparlers l'Egypte se dirigeait vers “un désastre", une sombre perspective que l'institution militaire “ne saurait permettre". Beaucoup interprètent cette sortie de l'armée comme un avertissement à prendre au sérieux. Surtout que dimanche, plusieurs avions de chasse ont survolé Le Caire, ce qui a été interprété comme une démonstration de force, annonciatrice, peut-être, de la volonté de la hiérarchie militaire de ne pas se limiter à un rôle d'arbitre. La question qui brûle toutes les lèvres en ce moment consiste à savoir si, au cas où la crise persisterait ou s'aggraverait, ce qui est tout à fait envisageable étant donné l'attitude des camps en présence qui semblent refuser toute concession, l'armée franchira-t-elle le Rubicon et ira-t-elle jusqu'à destituer le président Morsi, pour reprendre les rênes du pays temporairement ? Rien ne permet de l'affirmer, comme rien de permet d'exclure un tel scénario. Le président Morsi, en tout cas, est conscient de la fragilité de sa situation puisqu'il vient de confier la sécurité à l'armée, jusqu'à la proclamation des résultats du référendum. S'agit-il, pour lui, de chercher à rentrer dans les bonnes grâces de l'institution militaire ou, au contraire, ose-t-il une manœuvre qui vise à impliquer l'armée dans la crise pour la priver de ses marges de manœuvre ? M. A. B