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“Je suis revenu de l'enfer”
Un survivant de la bombe atomique d'Hiroshima raconte
Publié dans Liberté le 20 - 11 - 2002

L'homme n'a pas oublié le cauchemar causé par l'explosion de la bombe A un certain 6 août 1945. Il raconte dans les détails les plus infimes ce terrible moment qu'il a vécu alors
qu'il était à la fleur de l'âge...il y a 57 ans.
“C'était en plein été et il faisait très beau. J'avais vingt ans et j'allais à l'université avec mes copains, lorsqu'un souffle puissant m'a projeté à une dizaine de mètres. Là, j'ai perdu connaissance et je ne me suis réveillé que beaucoup plus tard. Mais comme nous étions à l'intérieur du gigantesque champignon de fumée provoqué par la bombe, nous étions comme aveuglés. Mes vêtements ont été déchiquetés par les rayons thermiques et je n'avais qu'un pan de chemise sur mes épaules. Mes mains étaient brûlées et sont devenues toutes noires de poussière et de fumée. Du sang coulait de mes mains, de mes cuisses et au niveau des reins. La peau de mon visage carbonisé s'était littéralement détachée. Mes oreilles et mes cheveux avaient disparu et mes lèvres étaient gonflées. J'ai essayé de fuir de toutes mes forces ou plutôt ce qui m'en restait...”.
L'homme n'a pas oublié. Il n'a pas oublié ce cauchemar causé par l'explosion de la bombe atomique à Hiroshima, un certain 6 août 1945. Il raconte dans les détails les plus infimes ce terrible moment qu'il a vécu alors qu'il était à la fleur de l'âge... il y a 57 ans. Sunao Tsuboi se souvient de cette page noire comme si cela s'était déroulé seulement la veille. Un témoignage qui nous renvoie directement à l'enfer vécu par tous ceux qui avaient peut-être pour seul tort de se trouver dans cette ville qui a été prise pour cible par l'armée américaine, chauffée à blanc par l'attaque par l'aviation japonaise de la base américaine de Pearl Harbor, située dans le Pacifique.
C'est le 6 août 1945 que Paul Tibbets, pilote du bombardier américain B29 Enola Gay décolle de la base américaine de Tinian et prend la direction de la ville de Hiroshima. Arrivé en début de matinée au-dessus de “l'objectif”, le pilote descend à 580 mètres seulement d'altitude, s'assure que toutes les machines fonctionnent normalement et décide de lâcher “Little boy”, une bombe de 4,5 tonnes à 8h15. Une onde thermique fulgurante détruit tout sur son passage sur un rayon de 5 kilomètres.
“Un flash aveuglant et une impression de chaleur intense”, se souvient encore Sunao Tsuboi. Au moment de la détonation, la température en son centre excéda un million de degrés centigrades, générant une immense boule de feu. Les spécialistes expliquent qu'à 500 mètres de l'épicentre de l'explosion, la pression provoquée par la bombe mesurait 19 tonnes par mètre carré. La ville de Hiroshima était devenue, en l'espace de quelques dizaines de minutes, un véritable enfer pour les personnes qui s'y trouvaient. Reprenant de l'altitude, le pilote du bombardier joint par radio ses chefs et leur annonce le “succès” de l'opération : “tous les objectifs sont atteints.” Ensuite, le silence. Un énorme champignon se forma au-dessus de la ville. Des flammes gigantesques s'élevèrent dans le ciel. Peu après, une pluie noire s'abattit sur les habitants qui tentaient de fuir cette tornade d'explosion et de chaleur calcinante. Petit à petit, l'onde de la mort se propagea dans la ville. Des dizaines de milliers de personnes sont littéralement pulvérisées et même leurs ossements n'ont pas été retrouvés.
C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité qu'une arme aussi destructrice est utilisée. Aujourd'hui, la coupole de ce qui était avant ce terrible jour le siège de la chambre de commerce de Hiroshima est là au centre de la ville, à seulement 50 mètres de l'épicentre de l'explosion, pour témoigner de l'effroyable puissance de la bombe.
C'est là l'un des rares vestiges de cette époque. M. Tsuboi qui nous livre son témoignage était à seulement un kilomètre de l'épicentre de la bombe. C'est donc un véritable miracle qu'il ait survécu jusqu'à aujourd'hui. “J'ai repris connaissance après une semaine mais ensuite j'ai encore sombré dans un coma de 40 jours. Je ne sais même pas comment j'ai survécu”, se demande-t-il encore aujourd'hui.
“Le médecin passait tous les jours chez moi et durant deux mois, il ne cessait de répéter à mon entourage que je n'allais pas tarder à mourir. Pendant une année, j'étais entre la vie et la mort et je marchais même à quatre pattes. Depuis l'explosion, j'ai été hospitalisé huit fois et à trois reprises le médecin qui me contrôlait signifiait aux membres de ma famille que je n'avais aucune chance de survivre”. C'est avec un certain humour que notre interlocuteur raconte sa terrible bataille avec la mort qu'il a fini par remporter. Pourtant, derrière son visage souriant et gai se cache un corps qui peut à lui seul témoigner des blessures atroces qu'il a subies et qu'il continue de traîner jusqu'à présent.
Il est vrai que nous avons affaire là à un véritable miraculé de l'explosion de la bombe atomique. Rares ont d'ailleurs été les survivants de l'horreur atomique. Le vieux néanmoins bien portant M. Tsuboi souffre toutefois de plusieurs cancers qui se sont déclarés dans différentes parties de son corps. Il a déjà été opéré avec succès pour un cancer de l'intestin. “La semaine prochaine, je dois retourner à l'hôpital pour prendre le traitement anticancer. C'est vous dire que les dégâts d'une bombe atomique ne s'arrêtent pas au moment de l'explosion. Quand vous êtes touché, vous êtes condamné à séjourner régulièrement à l'hôpital. C'est ça le pire dans la bombe A.”
Miraculé mais marqué à vie par cette page noire de l'histoire du monde, et particulièrement du Japon, M. Tsuboi, qui co-préside aujourd'hui la confédération japonaise des victimes des bombes A et H, s'est engagé dans un combat qu'il mène bien sûr avec d'autres personnes partageant les mêmes convictions, “pour faire disparaître les bombes atomiques dans le monde”.
Malgré donc sa maladie, il a participé à plusieurs reprises à l'étranger à des actions tendant à faire pressions sur les gouvernements afin de les amener à réduire de telles armes ou à faire cesser les essais nucléaires, comme cela a été le cas il y a quelques années dans le désert du Nevada lorsque la population locale a procédé à la fermeture d'une autoroute pour protester contre les essais nucléaires dans la région. “Nous sommes profondément contre la guerre, c'est pour cela que nous voulons faire de Hiroshima une ville de la paix.”
Visiblement, les habitants de cette ville martyre ont pardonné, mais ils ne veulent pas oublier ce qui s'est passé un certain 6 août 1945, tout cela pour que l'humanité ne connaisse pas une autre fois un tel cauchemar.
H. S.
Objets témoins de l'effroyable
• Le Musée de la paix situé au centre de Hiroshima édifié à la mémoire des victimes de la bombe A est devenu un lieu de pèlerinage pour les Japonais, mais aussi pour beaucoup de touristes étrangers. Véritable mémoire vivante de ce terrible 6 août 1945, le musée reçoit chaque année la visite de pas moins de 8 millions de personnes, qui viennent découvrir de près les dégâts que peut causer une bombe atomique. Ainsi, les photos et les objets récupérés et exposés renseignent de manière instructive sur ces événements, leurs circonstances et leurs implications sur l'environnement et la santé humaine.
Des uniformes en lambeaux, des gamelles carbonisées, des bouteilles fondues, des volets en fer pliés par le souffle, une montre dont les aiguilles se sont arrêtées à 8h15, I'heure de l'attaque, des dioramas avec des personnages en cire représentant des victimes de la bombe A, des photographies et des dessins réalisés par des survivants, sont soigneusement rangés dans les halls d'expositions et accessibles au public qui peut découvrir de plus près les effets de la bombe.
H. S.


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