Le discours chrétien sur l'usure se tient. Dans toute cette littérature religieuse et artistique, le personnage de l'usurier personnifie le vice capital d'avarice et de cupidité. Il est donc logique que le christianisme tranche sur le sujet, car primo, Jésus a eu affaire aux usuriers et les a chassés du Temple, et, secundo, ces sangsues ont appauvri des milliers de gens et pris possession de leurs richesses en Europe. Usurarius, le mot latin d'usurier peut vouloir également dire voleur, profiteur, pressureur, également en allemand et en italien, dans la mesure où il s'agit de biens acquis de manière peu honorable. "À l'usurier, il apporte son gage, et en échange reçoit quelque argent. Mais au moment de racheter ses habits, le pauvre comprend que l'usurier est un voleur et un bienfait chargé de méfaits", dit un poème flamand. Sébastien Brant écrit : "Les usuriers pratiquent un métier illicite, ils sont durs et âpres au gain envers les pauvres et ne se soucient pas que le monde soit ruiné". Le christianisme a donc fait la part des choses, et sa littérature témoigne de l'aversion universelle envers l'usurier, qui ne sera pas assimilé au prêteur, puis au banquier lorsque les règles du prêt seront définies à l'avantage des deux parties. La position théorique de l'Eglise envers l'argent et le prêt a donc subi une évolution significative jusqu'au XVIIIe siècle. Jacques Le Goff a montré comment la position doctrinale primitive de l'Eglise, qui rejetait catégoriquement les activités de prêt, a fini par évoluer, permettant selon lui la pratique du prêt et la réintégration du prêteur dans la société des élus mais non sans règlementer sa profession pour en extirper les vices initiaux. Ces exemples sur l'usure montrent que d'une manière générale, le débat théologique chrétien n'est pas figé et qu'il s'appuie sur des connaissances scientifiques, encyclopédiques et globales, et par un raisonnement logique, contrairement au débat théologique musulman, généralement caractérisé par l'approche parcellaire voire, par l'irrationnel et dépendant essentiellement des influences politiques. Aujourd'hui, le débat théologique occidental se base de plus en plus sur la science pour la compréhension des problèmes de la société. La littérature chrétienne est claire au sujet du mauvais usage de l'argent, sans condamner l'argent en soi. D'ailleurs, l'Islam aussi ne diabolise pas la richesse, bien au contraire si elle est licite et surtout si elle sert à faire du Bien et faire rayonner la société musulmane en particulier et l'humanité d'une manière générale. En outre, l'existence d'un clergé dans le culte chrétien a permis de ne pas avoir la cacophonie en matière canonique qu'il y a en Islam, notamment dans le rite sunnite, et pas seulement en matière de prêt et d'usure mais dans tous les sujets, notamment depuis l'émergence fulgurante du wahhabisme satellitaire, ces trente dernières années. À la faillite scientifique de la théologie islamique contemporaine, s'est ajoutée une démultiplication populiste de la fatwa par des gens n'ayant rien à voir avec le champ religieux. Il n'y a pas de doute que le Coran a employé mot riba dans un sens équivalent au mot usure (usurarius) du Moyen-Âge, c'est-à-dire pour désigner une activité non règlementée exercée par des profiteurs cruels, égoïstes, barbares et cupides. Or cette pratique n'existe pratiquement plus aujourd'hui, car les banques sont règlementées et leur activité est vitale pour l'économie de toute société. Certes, l'usure rapace et cupide existe toujours en tant qu'activité illégale et informelle : c'est cette pratique là que le Coran interdit, ce qui montre que l'Islam est valable pour tous les temps. Sauf qu'il a besoin d'une interprétation fine, précise et encyclopédique, qui dépasse le cerveau de la majorité des prétendus imams d'aujourd'hui, une interprétation qui d'ailleurs nécessite un travail d'équipes polyvalentes et non des seuls spécialistes religieux, dans le cadre de la choura, mais pas comme l'entendent les islamistes. Excepté ceux d'Al-Azhar, les autres théologiens ou cercles de théologiens ne s'appuient parfois même pas sur des grammairiens et des linguistes pour interpréter le Coran. Or, les savants du culte chrétien comprennent non seulement des canonistes et des légistes mais aussi des hommes de sciences de haut niveau, qui sont eux-mêmes hommes d'Eglise. Il y a aujourd'hui 1 650 000 "imams" qui interprètent le Coran chacun à sa manière. Sur ce nombre, dont une bonne majorité a émis des fatwas criminelles, il n'y a pas une poignée digne de légiférer, une mission supposée réservée aux seuls savants qui sont non seulement très peu nombreux et peu entendue dans la cacophonie actuelle relayée par 80 chaînes satellitaires wahhabites. La montée du wahhabisme apporte son lot d'interprétations fausses du Coran pour le mettre au service des pouvoirs politiques et des cercles susceptibles d'en bénéficier. Ainsi dans la version française du Coran vendu en Algérie (Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets) le verset suivant (2 : 275) de la Sourate de la Vache (Al-Baqara) est traduit ainsi : "Ceux qui mangent (pratiquent) de l'intérêt usuraire ne se tiennent (au jour du jugement dernier) que comme se tient celui qui le touche de Satan à bouleversé. Cela parce qu'ils disent ‘Le commerce est tout à fait comme l'intérêt'. Alors qu'Allah a rendu licite le commerce et illicite l'intérêt. Celui qui cesse dès que lui est venue une exhortation de son Seigneur, peut conserver ce qu'il a acquis auparavant ; et son affaire dépend d'Allah. Mais quiconque récidive... alors les voilà, les gens du Feu. Ils y demeureront éternellement." Le mot riba est d'abord traduit par "intérêt usuraire" puis deux lignes plus loin, par "intérêt", ce qui montre que l'influence wahhabite pèse même sur la traduction du Coran. Or, l'intérêt est une pratique règlementée qui prend en considération les intérêts des deux parties contractantes, ce qui n'est point le cas de l'usure, une pratique qui permet l'enrichissement sur le dos des faibles. Cette traduction est en contradiction avec de nombreuses fatwas, venues au XXe siècle admettre que le gain obtenu par le placement de l'argent est licite lorsqu'il ne lèse aucune des parties contractantes. Il peut être alors être qualifié d'encouragement à l'épargne et à la coopération et accepté par la "charia", selon les imams progressistes. Le mot arabe pour usure est irtida : or on ne comprend donc pas pourquoi le mot riba est traduit par intérêt au lieu d'usure bien que tous les dictionnaires arabe français traduisent le mot usure par irtida (ارتداء). Le mot arabe pour intérêt est fa'ida, pl. fawa'id (فائدة ج فَوائدُ) et non pas riba. Le mot arabe riba vient du verbe raba (raba, yarbou) qui signifie croître, accroître, augmenter. Il y a augmentation et croissance dans tous types d'activités commerciale ou financière, or, on ne parle pas de riba dans ce cas de vente et d'achat de produits de consommation, d'équipement et autres biens mobiliers ou immobiliers. Or, ce n'est pas l'augmentation que le Coran est venu interdire mais l'usure caractérisée par de nombreux travers dont une augmentation arbitraire et abusive, un accaparement et une spoliation illicites et d'autres vices tout aussi injustes. L'aversion universelle envers l'usurier Le mot riba doit être mis dans son contexte de l'époque où il n'entendait pas intérêt mais usure, au sens d'intérêt excessif par les personnes sans vergogne qui le pratiquaient au temps du Prophète (QSSSL) et le pratiquent encore aujourd'hui. L'intérêt règlementé dans le sens moderne ne date que du XVIIIe siècle, soit depuis la création des premières institutions bancaires. Inexistant dans l'antiquité, l'intérêt au sens financier moderne ne peut être l'équivalent de riba. Dans les temps anciens, il n'y avait pas de prélèvement d'intérêt mais extorsion par l'usure, une activité parasitaire qui n'avait pas pour fonction d'aider la société mais de profiter de la pauvreté des gens, engendrant la paupérisation de tout une frange de la population dans plusieurs sociétés, ce qui a obligé Jésus-Christ à combattre cette pratique, et c'est par cette raison essentiellement que s'expliquent les poursuites, exils et persécutions des Juifs durant des millénaires d'histoire. La riba telle qu'évoquée dans le Coran est encore pratiquée dans le circuit informel par des individus sans foi ni loi, ce qui fait la justesse des versets y afférents. Tous les imams sont unanimes sur l'illicéité de la majoration du taux d'intérêt, à la tête du client, par exemple. Et c'est ce qui fait la différence avec la Bible (du moins dans sa version actuelle) qui exige des Juifs de prêter sans intérêt dès lors qu'il s'agit d'un membre du peuple d'Israël ! "Si tu prêtes de l'argent à quelqu'un de mon peuple, au pauvre qui est avec toi, ne sois pas une morsure pour lui : tu n'exigeras pas de lui d'intérêt", est-il écrit dans Exode, XXII, 25. Le Livre du Deutéronome 23.20 dit textuellement : "Tu pourras tirer un intérêt de l'étranger, mais tu n'en tireras point de ton frère, afin que l'Eternel, ton Dieu, te bénisse dans tout ce que tu entreprendras au pays dont tu vas entrer en possession". Le Deutéronome XXIII : 19-21 précise : "Tu n'exigeras de ton frère aucun intérêt, ni pour l'argent, ni pour vivre, ni pour aucune chose qui se prête à intérêt, pour l'étranger tu pratiqueras l'usure ; mais envers ton frère, pas d'usure, pour que Dieu ton Elohim, te bénisse de tout envoi de tes mains sur la terre, là où tu viens, pour en hériter". Les Talmudistes interdisent l'usure uniquement au cas où le prêt se fait avec un juif. Cela veut dire ici que le prêt est licite avec les juifs et l'usure l'est avec les non-juifs. On note donc selon Henri Guiton, que pour les juifs, prendre des intérêts sur un capital prêté aux étrangers n'est pas considérés comme faute (Cf. H. Guitton, Economie politique, Dalloz, 1976, p. 292. La pratique de l'intérêt usuraire fit l'objet d'interdictions dans les Evangiles du christianisme et dans la Bible hébraïque aussi quoique dans le judaïsme, l'interdiction de l'usure soit sélective, selon l'expression d'André Martene qui souligne que "les juifs dans leur interdiction de l'usure furent plus sélectifs que les musulmans : le tabrit (un mot hébreux désignant la pratique de l'usure) était interdit entre juifs mais pas entre juifs et non juifs". L'Ancien Testament permet, en effet, aux créanciers juifs de pratiquer un taux usuraire lorsqu'il s'agit d'un prêt accordé aux étrangers de la communauté juive. Or, contrairement à cela, le principe coranique est universel et ne s'adresse pas uniquement aux musulmans, comme il interdit les injustices envers tous les humains. En répétant que "le gain que procure un capital épargné ne peut être fonction de la durée de cette épargne ni même être déterminé à l'avance", certains faux théologiens musulmans ont soufflé à certains hommes d'affaires la création de banques dites islamiques, qui prétendent offrir un service d'argent sans intérêt mais avec bénéfice, dans un contrat d'association commercial et non pas une simple opération de prêt bancaire. Selon ces "théologiens", seul serait licite l'intérêt produit par un prêt consenti à un tiers en participant aux risques et aux pertes éventuels de celui-ci. Les banques "islamiques" jouent donc sur ce point, prétextant qu'il ne s'agit pas de prêt mais d'une association où le risque est bilatéral, et par conséquent partagé. Or, le Coran ne parle pas de risque partagé ou non mais d'injustice et de tort. Pourtant, ces mêmes "imams" invitent les fidèles ayant des capitaux dans des banques occidentales à ne pas faire cadeau de leurs intérêts mais de les retirer, non pas pour en jouir, mais pour les donner aux musulmans pauvres, selon une interprétation absurde du verset qui dit : "Tout ce que vous donnerez à usure pour augmenter vos biens ne vous produira rien auprès de Dieu. Mais tout ce que vous donnerez en aumône pour obtenir les regards bienveillants de Dieu vous sera porté au double". Ici, soit dit en passant, le mot riba est traduit correctement, par usure, non pas par intérêt, ce qui montre la légèreté du traducteur du Coran. Ce qui est incroyable c'est que les "imams" qui assimilent riba et intérêt ne dénoncent jamais un phénomène de riba devenu très répandu, le transfert d'argent informel, le hawala, pratiqué par les "islamistes" qui, de surcroît, prélèvent des taux d'intérêt incroyablement élevés. (À suivre) A. E. T. 1. L'usurier français, un juif métaphorique ?, Myriam Greilsammer, Presses universitaires de Rennes, 2012. Nom Adresse email