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L’enfant d’Aghribs à l’assaut d’El-Mouradia
Dans le village natal de Saïd Sadi
Publié dans Liberté le 20 - 03 - 2004

Les habitants de son village natal, dont son oncle, se rappellent de l’enfant à la fois studieux et espiègle. Ses camarades de l’université évoquent son combat pour la cause berbère.
C’est à Aghribs, à quelque 40 kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou, que Saïd Sadi, candidat à la présidentielle, a vu le jour il y a près de 57 ans. Le village, perché sur un promontoire, est enveloppé d’un épais brouillard en ce lundi 14 mars. “Nous sommes habitués à ce phénomène�, affirme Mouloud Ameur, directeur de l’unique école primaire de la commune. “Saïd Sadi a fait ses premières classes dans cette salle�, indique notre interlocuteur en pointant le doigt en direction d’un bloc longiligne construit en rez-de-chaussée, vieux de 112 ans (l’école a été bâtie en 1892). L’extension post-indépendance a été réalisée de l’autre côté de la cour, où un groupe d’enfants joue au ballon, insensible au froid. M. Ameur nous montre le pavillon du Dr Sadi, érigé en 1985, sur une parcelle de la terre familiale dont ont hérité les quatre frères.
À moins d’un kilomètre de là , au quartier Hara Oufella, se dresse la modeste maison parentale de pure style traditionnel (une enceinte de pierres coiffée d’une toiture en tuiles rouges). L’écart de standing renvoie systématiquement au chemin parcouru par le politicien, “grâce à une volonté farouche de réussir� que lui attribuent ses proches et ses amis d’enfance.
Un symbole pour Ses proches
“Il représente pour nous un symbole. En dépit de ses origines modestes, il est connu à l’échelle nationale et même à l’étranger. Il a sorti notre village de l’anonymat�, souligne Ameur. “L’une des qualités du père de Saïd, qui était analphabète [il travaillait en qualité de cantonnier], est d’avoir beaucoup investi dans les études de ses enfants. Sa fille est la première Algérienne, qui a décroché le bac après l’indépendance�, relate Mohand Akli Sadi, oncle paternel du président du RCD.
L’épouse de son autre oncle, dit Ammi Moh, garde intacte la vision du “petit Saïd� continuellement plongé dans ses livres et cahiers d’école. “Il étudiait, jusque tard dans la nuit, sous la soupente, à la lumière du liège brûlant dans un kanoun. Le lendemain, il se réveillait avec le bout du nez noirci par la fumée�, rapporte-t-elle. “Il s’adonnait aussi aux jeux de mômes de l’époque. Il a eu une enfance normale, sauf qu’il appartenait à une famille très pauvre�, renchérit l’oncle Mohand Akli. Peu à peu, les souvenirs de ses amis, regroupés à quelques encablures du vieux cimetière où sont enterrés les parents de Saïd Sadi, se libèrent pour raconter des anecdotes. “Nos aïeux se chaussaient de souliers fabriqués en peau de bœuf [ichifadh, ndlr]. Notre génération ne les a jamais portés. Pourtant, au cours de l’été 1968, Saïd Sadi et son frère Mohand ont surpris tout le village en se montrant chaussés de la sorte, la tête cachée sous un grand chapeau de paille de paysans. Devant notre étonnement, Saïd nous dit : nous ressuscitons nos tenues traditionnelles. Ils ont passé toute la saison dans cet accoutrement�, rapporte Mouloud Ameur. Aussitôt, M. Tazrout, un compagnon de prison du candidat à la présidentielle, se remémore l’épisode de la battue de nuit pour attraper les sangliers. “Dès qu’il a terminé de placer les gens à leurs postes, il est rentré tranquillement dormir chez lui.�
Encore une fois, les rires fusent de partout. Les gens d’Aghribs témoignent que Saïd Sadi est resté très attaché à son village natal, lequel a traversé les ans presque sans changer d’apparence, sans sortir de son indigence, sans renoncer d’un iota à ses us et coutumes. “Nous sommes restés conservateurs�, explique Saïd Aïder, largement sexagénaire, évoquant en quelques mots les difficultés que vit la commune. “À mon âge, je transporte la bouteille de gaz butane sur les épaules, car nous n’avons pas le gaz de ville.� Le président du RCD passe, à Aghribs, pratiquement tous les week-ends, depuis qu’il l’a quitté pour rejoindre les bancs du lycée Amirouche à Tizi-Ouzou-ville. “Il vient en famille. Ses enfants ont été même scolarisés pendant un certain temps à l’école d’Aghribs�, révèle le directeur de cet établissement.
Dans les années 1970, il a ouvert, avec des amis, une modeste bibliothèque dans laquelle des cours étaient dispensés aux enfants, nous dit-on. “Quand il joue à la belote, il met toujours autant d’ardeur à gagner, même si ce n’est qu’au bout de la 20e partie qu’il la remporte�, plaisante Tazrout. “Il assiste à tous les mariages et enterrements dans le village�, reprend l’oncle Sadi. Les habitants d’Aghribs manifestent, en retour, de la fierté pour l’enfant du pays. “Nous avons collecté environ 1 200 signatures en faveur de la candidature de Sadi sur une population estimée à 2 200, tous âges confondus�, dira Akli Aïder, trentenaire. “Ce n’est pas parce que Sadi est né ici que nous le soutenons, mais parce que notre village a toujours contribué au combat démocratique�, précise-t-il. C’est peut-être parce que Aghribs, comme de nombreux villages de Kabylie, a tôt connu les frémissements du militantisme politique que Saïd Sadi a trouvé rapidement sa voie. “En 1968, il a monté au lycée une pièce théâtrale en berbère. Cela lui vaudra une exclusion de quelques jours du lycée après interdiction de la pièce. Il s’en est suivi une grève de solidarité dans tous les lycées d’Alger�, raconte Mouloud Lounaouci. “Je n’ai pas connu Sadi à cette époque-là , mais plus tard, à une épreuve d’éducation physique au lycée Fromentin [actuellement Delacroix], puis à l’université de médecine d’Alger�, précise-t-il. Saïd Sadi et Mouloud Lounaouci forment le premier groupe d’étudiants ayant suivi les cours de berbérisme de Mouloud Mammeri.
Le noyau, cristallisé autour de la revendication identitaire, sauve, au début des années 1970, la chaîne II d’une disparition programmée. “Nous menions de petites actions politiques autour de chanteurs engagés comme Chérif Kheddam, des hommes de culture comme Mouloud Mammeri et des politiques comme Mohand Arab Bessaoud.� À la fin de ses études universitaires en 1975, le groupe se disloque. Pourtant par un concours de circonstance, Sadi et Lounaouci sont affectés ensemble à l’hôpital régional de Tizi-Ouzou. Ils occupent des appartements sur le même palier. “Nos épouses préparaient à manger dans un appartement, tandis que nous tenions des réunions avec des camarades dans un autre�, se rappelle notre interlocuteur.
En 1978, Ali Mecili relance le FFS à partir de Paris. Sadi et ses amis reconstituent le parti en Algérie. “Lors de la mise en œuvre de la première plate-forme idéologique du FFS à Gab, dans les Hautes-Alpes, Sadi et moi-même avions imposé l’introduction de la régionalisation et de tamazight en tant que composantes identitaires.�
A l’origine du Printemps
En février 1980, les militants du FFS inscrivent, dans la nuit, des graffitis hostiles au pouvoir sur les murs blancs de Oued Aïssi à Tizi Ouzou et de la Grande-Poste d’Alger. “Ces gestes ont abouti aux évènements du Printemps berbère de 1980.� Sadi et 23 autres animateurs du mouvement sont jetés dans la prison de Berrouaghia.
En 1985, Saïd Sadi a l’idée de fonder une ligue algérienne des droits de l’Homme. “Il nous a dit qu’il faudra commencer par la section de Tizi-Ouzou en attendant les adhésions. À l’enterrement de Me Ayouni, avocat des 24 détenus de Berrouaghia, Sadi fait part de notre initiative à Me Zehouane. Ce dernier l’informe qu’un groupe à Alger entend en faire de même. Nous l’avons rejoint.� Cela lui vaudra un autre séjour dans la sinistre prison de Lambèse, à Batna. À l’ouverture démocratique de 1989, Sadi crée le RCD.
Il participe à la première élection présidentielle pluraliste, en novembre 1995, mais boycotte celle d’avril 1999 au motif que la machine de la fraude était mise en branle à l’avance. Aux législatives de 1997, son parti obtient officiellement 19 sièges. Il gagne aussi quasiment la moitié des sièges des assemblées locales de la Kabylie. En juillet 1999, les députés RCD dénoncent les dispositions de la loi portant rétablissement de la concorde civile.
Le parti soutiendra, pourtant, deux mois plus tard, la politique de concorde civile et rejoint le gouvernement qu’il quitte en mai 2001 à l’émergence de la crise de Kabylie.
S. H.


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