Dans son intervention, l'auteur de "Amirouche, une vie, deux morts, un testament", explique pourquoi le Congrès de la Soummam fait l'objet de censure de la part du pouvoir lui-même issu de la remise en cause du principe du primat du civil sur le militaire, tel que consacré dans la plateforme de la charte éponyme. Le Dr Saïd Sadi, ancien président du RCD, a vivement remercié la direction de ce parti d'avoir réanimé le débat et la réflexion autour d'un événement majeur de la Libération nationale, le Congrès de la Soummam. Lequel Congrès avait été tenu le 20 Août 1956 à Ifri Ouzellaguen en Petite Kabylie. L'événement est d'une brûlante actualité car du sort réservé, pendant mais aussi après la guerre, à ses auteurs éclaire, selon l'ancien président du Mouvement patriotique républicain (MPR), "les problématiques que le pays esquive ou diffère depuis l'indépendance". C'est en ce sens que l'initiative du RCD est à saluer, a poursuivi le Dr Saïd Sadi. Elle a permis à des acteurs ou à des observateurs d'horizons divers, avec des parcours et des sources d'information ou d'inspiration différentes, "d'échanger, de confronter leurs idées et de contribuer à faire renaître dans notre pays la pédagogie de l'écoute". Et s'adressant davantage à la jeunesse, — bien que parlant toujours avec sa verve incisive — Saïd Sadi semble plutôt intéressé, l'âge aidant, par la transmission. Il dira avec insistance qu'il est "capital que des organisations, non impliquées dans la légitimation du pouvoir par la confiscation de la mémoire collective, lancent et animent une discussion qui n'a jamais eu lieu". Car, selon lui, l'histoire est un patrimoine, qui implique le citoyen. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut la totémiser : "Il ne s'agit pas de refaire Novembre ou la Soummam. Il s'agit d'en éclairer les vérités pour éviter leur perversion. On peut s'inspirer d'une expérience, mais il ne s'agit pas de reproduire les périodes ou les épopées. Pour le reste chaque génération doit fabriquer son destin." Durant son intervention, qui a duré une quarantaine de minutes, Saïd Sadi s'est employé à donner "une lecture sobre, mais aussi cohérente que possible" sur les origines mais aussi la portée du Congrès de la Soummam avant d'expliquer "les raisons qui nourrissent la volonté de l'occulter dans l'Algérie indépendante". Dans l'histoire de la décolonisation nord-africaine, le 20 Août fixe quatre dates, mais seulement trois d'entre elles renvoient à des situations différentes et des consistances politiques. Il y a eu d'abord, a affirmé Saïd Sadi, la déposition du roi Mohammed V le 20 août 1953 au moment où le royaume du Maroc était encore sous protectorat. Il y a eu ensuite l'offensive de Zighoud Youcef dans la région de Skikda. "Et enfin la décision de tenir les premières assises politiques du FLN après le déclenchement de la guerre de Libération un 20 août qui était aussi un appel politique et symbolique pour une prise en charge solidaire du destin des trois pays nord-africains." Il n'a pas voulu traiter de la réunion du 20 août 1957, qui a eu lieu au Caire, puisque l'universitaire Merdaci l'a abordée hier et que cette rencontre, tenue au nom du CNRA, associait des participants qui n'en étaient pas membres et qui plus est n'avait pas recueilli le quorum malgré les décisions lourdes de conséquences qui y avaient été prises. Donc une seule date, le 20 août, représente dans l'histoire régionale trois scènes politiques spécifiques : il y a eu une déportation au Maroc, une insurrection au Nord-Constantinois et une structuration-programmation à la Soummam. Et chacune de ces séquences a servi, a expliqué Saïd Sadi, la suivante. "Mais pas toujours dans l'harmonie idéalisée qu'un volontarisme réducteur essaie de présenter aujourd'hui." Tout en rappelant comment ces situations se sont déroulées concrètement, il s'est attardé sur leurs répercussions immédiates mais aussi sur leur traitement une fois la souveraineté nationale recouvrée. Il a expliqué que les Algériens avaient réalisé rapidement que la guerre ne pouvait être menée collectivement en Afrique du Nord. "Les lettres d'Abane invitant, pour ne pas dire sommant, les membres de la délégation extérieure d'arrêter de spéculer sur d'éventuels sursauts de nationalistes tunisiens ou marocains pour obliger leur leaders à assumer une guerre totale et solidaire contre la France aux côtés des Algériens sont légion. À partir de 1956 ses messages insistent sur la même orientation : vous avez une mission et une seule : nous envoyer des armes." Cela n'a pas empêché l'utopie nord-africaine de continuer à souder les rapports politiques des trois mouvements de libération. En témoigne la réunion de 1958, qui a regroupé les trois partis, l'Istiqlal marocain, le Destour tunisien et le FLN, qui représentaient l'essentiel des mouvements nationalistes des trois peuples. "Ils concluaient leur réunion de Tanger par un vibrant appel au parachèvement des indépendances des trois pays par la construction d'une fédération des Etats nord-africains", a-t-il conclu. En août 1955, Zighoud Youcef décide de lancer l'insurrection autour du Nord-Constantinois de sa propre initiative. La direction du FLN a été mise devant le fait accompli. Saïd Sadi a rappelé que cette attaque survient "pendant qu'Abane, récemment libéré, s'employait à restructurer et à intégrer dans le front ce que l'on appelle aujourd'hui la société civile c'est-à-dire les syndicats, les étudiants et les commerçants et d'autres courants politiques comme les centralistes du PPA, les communistes, les ulémas ou les hommes de l'UDMA, tous réfractaires en 1954 à la lutte armée". Il n'est donc pas surprenant que les échanges à la Soummam aient été vifs entre Abane et Zighoud. Comme d'ailleurs ils le furent entre le même Abane et Amirouche sur la question de la nuit rouge. Troisième et dernier événement, le 20 août 1956. Les membres de la direction interne du FLN, pressés par l'évolution de l'extension des luttes et la puissance de la machine coloniale, décident que le combat devait faire un saut qualitatif tant sur les plans organisationnels que politique et diplomatique. Mieux, la perspective de l'indépendance n'étant plus d'ordre hypothétique, il fut décidé de projeter les valeurs et les référents du futur Etat algérien que tout un chacun connaît avec notamment la primauté du politique sur le militaire et l'affirmation sans ambages du caractère républicain et moderne de l'insurrection nationale. Qu'en est-il aujourd'hui des trois événements qui ont meublé les trois dates des 20 août 1953, 1955, 1956 ?, s'est interrogé Saïd Sadi. Les relations entre le Maroc, l'Algérie et la Tunisie supposées se construire et se développer dans l'UMA sont une image inversée de l'appel à la construction de la Fédération des Etats nord-africains. Il suffit de rappeler que les frontières terrestres entre l'Algérie et le Maroc sont toujours fermées en 2014. Les raisons du blocage de la réalisation de cet ensemble politico-économique : la prégnance des segments sécuritaires dans les centres de décision, c'est le cas de l'Algérie et du Maroc, qui ne peuvent s'accommoder de régimes ouverts. Quant à l'écho auquel renvoie aujourd'hui le souvenir de la décision de Zighoud dans les sphères officielles ? Une certaine bienveillance d'une action qui, en son temps, fut diversement appréciée, compte tenu de la manière dont elle a été décidée, de la réaction coloniale qu'elle avait engendrée et du coût humain et politique qui s'en était suivi. "Cette opération, dont la promotion post-indépendance sera inversement proportionnelle à celle du Congrès de la Soummam, connaîtra une mise en valeur d'autant plus consensuelle qu'elle était pour ainsi dire neutre politiquement et que la dimension militaire de l'opération n'induisait pas de débats idéologiques ou sociétaux susceptibles de générer des divergences politiques ou doctrinales." Le Congrès de la Soummam est, pour sa part, soumis à une chape de silence intangible de la part des officiels avec des moments de rupture qui sont le plus souvent des saillies polémiques portant rarement sur le fond. Il est l'objet de censure pour des raisons de contrôle du pouvoir, a-t-il affirmé. L'important est de déposséder les imposteurs des valeurs de Novembre et du Congrès de la Soummam afin de les empêcher de les utiliser, de les confisquer et de les pervertir. "La libération algérienne passe par la liberté de la mémoire", a-t-il conclu. M. O. Nom Adresse email