Les Tunisiens ont voté. Le suspense a pris fin. Le principal parti séculier a gagné en prenant une légère avance sur le parti islamiste. Nous sommes naturellement enclins à scruter la pratique politique de nos voisins à l'aune de notre expérience "démocratique". Bien plus ancienne et bien plus catastrophique. Depuis que la Tunisie a troqué le multipartisme de figuration à la Ben Ali pour s'essayer à un exercice démocratique plus assumé, la classe politique et la société civile ont fourni un effort considérable dans la quête de la voie démocratique la plus praticable et la moins coûteuse. Là-bas, comme dans les autres pays musulmans secoués par les mouvements d'émancipation politique, l'islamisme a tôt fait d'exploiter le contexte révolutionnaire pour tenter d'imposer son projet. Pour l'heure, il n'y est pas parvenu. Ni en empruntant la voie des urnes, ni en squattant les forums politiques, ni en terrorisant la société civile et l'opinion engagée... Et malgré le renfort opportuniste du terrorisme armé. Mais, ici, s'arrête la similitude : aux moyens déployés par l'islamisme pour contrarier la marche de la démocratie. Les résultats n'étant point comparables : en Algérie, l'islamisme a, aussitôt sa capacité et son intention de nuisance affichées, suscité le repli timoré du pouvoir en place et d'une grande partie de la société civile ; et motivé de multiples vocations "réconciliatrices". Progressivement, ce sont la société et l'Etat algériens qui se sont adaptés à la norme islamiste. Quand, en Tunisie, c'est l'islamisme qui, pour l'heure, bat en retraite et s'efforce de donner des gages d'adaptation à l'aspiration démocratique du peuple tunisien. Ces dernières années, l'islamisme tunisien a rencontré une réelle opposition politique. Alors qu'à l'époque, chez nous, l'islamisme algérien recevait plus d'offres de service qu'il n'affrontait de contradictions. Même les "héritiers" de l'ancien système en Tunisie n'ont pas cédé à la tentation de piéger la volonté populaire de changement en manipulant l'islamisme ! C'est, peut-être, en ce qu'ils ont, eux aussi, consenti à jouer le jeu d'un nouveau système politique que les Tunisiens continuent, malgré la difficulté des premières péripéties de la vie politique démocratique et en dépit du contexte socioéconomique, à croire au vote. Le pouvoir y croit, puisqu'il n'a pas essayé de frauder pour orienter le choix des citoyens... Qui, à leur tour, y croient, puisqu'avec un taux de participation de plus de 60%, ils ont confirmé la crédibilité du scrutin. L'islamisme ne baissera pas les bras, bien entendu. Et de là à prétendre que l'on peut résoudre, de nos jours, la question démocratique en terre d'islam du seul fait que l'un de ses pays soit parvenu à se donner une constitution démocratique que celle-ci se soit imposée comme source de légitimité du pouvoir... La restauration autoritaire du système autocratique, à l'exemple de celle subie par l'Algérie, ne semble pas menacer la Tunisie dans l'immédiat. Cela dit, les premières impressions ne dispensent pas les Tunisiens de la plus grande vigilance. Mais un autre danger subsiste : tant que l'islam politique dispose d'une légitimité culturelle, la démocratie reste sujette à sa propre remise en cause. Pour toutes ces raisons, l'avenir politique de la Tunisie est aussi le nôtre. M. H. [email protected]