La mobilité constante des juges ainsi que la marginalisation du rôle du Conseil supérieur de la magistrature constituent, selon lui, une atteinte à l'indépendance de la justice. Pour ou contre l'indépendance de la justice ? Les projets de loi portant sur le statut des magistrats ainsi que sur la composition, le fonctionnement et les attributions du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) semblent aller outre le désir d'autonomie des Robes noires. C'est en tout cas l'avis d'un magistrat qui a préféré garder l'anonymat. Sa lecture des deux textes proposés à l'adoption des parlementaires fait ressortir une série de verrous. Il en est ainsi de l'article 29 (chapitre II) relatif à l'inamovibilité des magistrats. Cet article fixe un délai de 10 ans de service effectif avant la sédentarisation du magistrat. Selon notre source, cette absence d'immunité fragilise les hommes de loi, dans le sens où leur sort dépend, pendant une décennie, du bon vouloir du pouvoir exécutif. “Actuellement, 50% des juges ont moins de dix ans d'exercice”, précise notre interlocuteur. D'où la précarisation de tout le corps réduit à l'errance. Cette fragilisation est accentuée — dit-il — par la réduction des prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature. Dans l'ancien projet de loi, discuté par les magistrats, en janvier 2003, à l'époque où Charfi était garde des Sceaux, il était prévu que cette instance soit consultée en matière de nomination et de promotion des magistrats. “Or, la nouvelle version du texte fait l'économie de cette clause”, fait remarquer notre source. En vertu de l'article 3, les juges “sont nommés par décret présidentiel sur proposition du ministère de la Justice après délibération du Conseil supérieur de la magistrature”. Si le législateur a sauvé la forme en dotant le CSM d'un pouvoir consultatif, dans les faits, son avis ne compte pas beaucoup. Aux yeux de notre magistrat, la vice-présidence du CNM par le ministre de la Justice constitue une intrusion et une atteinte à son indépendance. Cette ingérence du pouvoir exécutif a été largement décriée par le Syndicat des magistrats. À la place du chancelier, il propose que ce poste soit attribué au président de la Cour suprême. Tel que c'est parti, les magistrats craignent que cet organe soit purement disciplinaire. Ils s'élèvent, par ailleurs, contre la définition biaisée de l'indépendance du magistrat. En effet, compte tenu des anomalies précitées, il est à se demander comment le juge peut exercer librement son métier en dehors des pressions et des injonctions du pouvoir politique, puisque sa carrière en dépend. Pourtant, il est défendu à ce même magistrat de s'adonner à une quelconque activité politique, dixit l'article 14 portant sur le chapitre des obligations. “Cet article réprime nos droits en tant que citoyens”, dit notre source. En tout état de cause, l'instrumentalisation de la justice durant la précampagne électorale, notamment dans l'affaire du Front de libération nationale, montre que les textes les plus infaillibles sont dans l'incapacité de protéger le magistrat. Les mœurs politiques voulant que le juge soit du côté du plus fort. S. L.