“Nous n'avons pas le droit de commenter une décision de justice, mais nous avons le droit de nous étonner”, disait un jour un présentateur de journal télévisé sur une chaîne étrangère. Pour la première fois, dans l'Algérie indépendante, un journaliste est condamné à deux ans de prison ferme ; pour la première fois, une telle peine est prononcée dans la première affaire de transfert de bons de caisse. Procès inédit et conjonctions troublantes. Si bien que personne n'osait penser que l'excès allait se confirmer. Même la condamnation supplémentaire émise à l'encontre de Ghoul Hafnaoui ne nous avait pas dissuadés d'espérer. Erreur : la lourde peine prononcée par le tribunal de première instance contre Benchicou est reconduite. La stupeur est avivée par la sévérité confirmée du châtiment avant qu'elle ne le cède à la consternation qui, forcément, nous saisit devant une telle sentence. Le directeur du Matin devra donc “payer”… Pour nous aider à domestiquer la terreur, Djaout nous avait, d'une formule de génie, réconciliés avec le risque : “Dis et meurs.” Cette terreur n'a pu fermer le moindre titre. Puis, nous eûmes la naïveté de croire que, pour la profession, le plus dur est passé, et que la réduction du terrorisme islamiste annonçait la fin proche de la peur d'écrire et de signer. Mais voici la menace se transformer en implacable sanction et s'installer en compagne réincarnée de ce métier de dire. Au moment où se préparait le procès en appel de Benchicou, un projet de code de l'information maison s'élaborait pour nous être énoncé dans les prochains jours comme le nouveau cadre d'exercice de notre fonction. La pression actuelle se renforce d'un système de vigilance en préparation. Ce verdict pose la question de la survie de ce qui, jusqu'ici, tenait lieu de liberté de presse. L'expression libre peut-elle continuer à vivre de la seule témérité de desperados ? Ou bien est-ce sa vocation de se créer ses exterminateurs ? L'été 2004 sera retenu comme une saison funeste à la liberté de presse. Le triomphe printanier du régime de l'arbitraire avait annoncé le désastre. La classe politique semble l'avoir compris : elle s'est éparpillée, guillerette sur de lointaines plages, les préférant aux étouffantes étuves que sont souvent nos salles d'audience. Presque aucun de ceux qui, dans leur vie publique ou leurs ambitions, ont savouré l'ivresse d'être portés par la plume distinguée de Benchicou, n'a consenti à marquer de sa présence au procès, sinon la marque du soutien, au moins celle de la reconnaissance. Il n'y a donc pas que l'adversité du pouvoir qui éprouve le monde de la presse. Pourtant ce sont les combats du pot de terre contre le pot de fer qui ont toujours fait avancer ce monde. M. H.