Plus de cinquante années après l'indépendance de l'Algérie, aucun document officiel n'est venu relater l'histoire réelle de l'emblème national. Pourquoi ? Symbole de la conquête de la souveraineté nationale, le drapeau algérien est celui-là même pour lequel sont morts un million et demi de chahids. Durant la guerre de Libération nationale, il a toujours été présent aux côtés du FLN, de l'ALN et du GPRA. Le 5 juillet 1962, l'emblème national est hissé à Sidi-Fredj, lieu symbolique de l'invasion française. Aujourd'hui, il flotte sur le fronton des édifices représentant les institutions de l'Etat et autres bâtiments, dans les stades, les cérémonies officielles et même dans des manifestations ou marches revendicatives. Outre la définition des caractéristiques techniques, la loi 63-145 du 25 avril 1963 énonce que le drapeau algérien est "celui que le peuple algérien a adopté spontanément dans les montagnes comme dans les villes, celui sous lequel ont accepté de souffrir et de mourir ses martyrs, et derrière lequel se sont rassemblés tous les patriotes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du territoire national". De son côté, la Constitution relève que le drapeau algérien, tout comme l'hymne national "Qassaman", constitue un symbole "immuable" de la République algérienne. Mais, à quand remonte la conception et la confection du drapeau national ? Quels sont ces artisans, les premiers, qui l'ont conçu et qui lui ont donné vie ? Polémique autour de la maternité/paternité de l'emblème L'Algérie a eu différents drapeaux à travers l'histoire, où certaines couleurs et symboles n'ont pas succombé avec le temps. Des écrits remontent à l'Emir Abdelkader, parfois même à l'époque des Turcs, pour expliquer l'origine du drapeau national. Mais, on observe une certaine convergence dans les avis autour de l'idée que le drapeau, dans sa forme actuelle, a accompagné le mouvement national algérien. Dans ce cadre, certains prêtent les premières ébauches proches du drapeau actuel à Ferhat Abbas et aux partisans du Manifeste des libertés. D'autres attestent que la première ébauche a été conçue en 1934 par les dirigeants de l'Etoile nord-africaine (ENA), avant d'être fixée par Emilie Busquant, l'épouse de Messali Hadj, leader de l'ENA, dans sa forme affinée (couleurs, motifs avec le croissant et l'étoile, positionnement). Parmi eux, Messali Hadj, dans ses Mémoires (1898-1938), évoque l'existence, dès 1933, "du drapeau algérien vert et blanc frappé d'un croissant rouge", qui a été présenté le 5 août 1934, à Paris, pour la première fois, lors de l'assemblée générale de l'ENA. Une autre version situe l'apparition du premier drapeau algérien, le 14 juillet 1937 à Alger, entre le quartier de Belcourt et la place des Martyrs, accompagné par des milliers de militants et sympathisants du PPA. Bien que différente, cette version ne vient pas contredire les déclarations de Messali Hadj, sur la participation des militants du PPA "avec nos drapeaux, nos chants patriotiques, nos pancartes", lors d'un rassemblement organisé par le PCA. Le leader politique dévoile également que son parti (PPA) portait deux drapeaux, ce jour-là, le drapeau de l'Islam et "le drapeau algérien, vert et blanc et frappé du croissant et de l'étoile rouges". En apportant cette précision : le drapeau algérien a été confectionné par son épouse, à Tlemcen. En 2013, l'APS a pu approcher El Hadja Aouicha Baghli, 87 ans, sœur de l'historien Mohamed Guénanèche, un des responsables de l'ENA, puis du PPA, et proche de Messali Hadj. "C'est Mme Messali Hadj, à ce que j'ai entendu et retenu à l'époque, qui a conçu et dessiné ce premier drapeau national, avec l'aide de mon frère Mohamed, tailleur de son métier d'origine, pour ce qui concerne la découpe dans le tissu vert et blanc. Pour ma part, j'ai brodé, au point lancé, tout l'intérieur et le pourtour du croissant et de l'étoile en rouge écarlate", a-t-elle témoigné, en signalant qu'elle n'avait que 11 ans, à l'époque. Selon elle, ce drapeau, arboré dans les rues d'Alger, en juillet 1937, a été caché ensuite chez Kheira Mamchaoui, la sœur de Messali Hadj, dans sa maison située dans le vieux Tlemcen, "de peur des services répressifs français". Une étude de son frère aîné, Mohamed Guénanèche, rapporte qu'en 1940, un autre drapeau a été adopté, avec une étoile rouge et un croissant blanc, placés en haut du rectangle. Cet emblème aurait été par la suite transformé par le PPA, pour acquérir sa forme actuelle. Plus récemment, l'histoire du drapeau emmuré chez Kheira Mamchaoui nous a été contée à nouveau par Chawki Mostefaï, ancien membre de la direction du PPA. Ce dernier a aussi rappelé qu'à la suite d'un article paru dans El Watan, en mai 2005 qui s'interrogeait sur la genèse du drapeau algérien, il a pris sa plume et écrit sur l'histoire de sa paternité. Une histoire qu'il revendique à ce jour. D'après le vieux militant, le drapeau algérien, sous sa forme actuelle, est son œuvre et a fait son apparition lors des manifestations du 1er mai 1945 et du 8 mai 1945 (lire l'interview). À l'époque, la commission d'enquête sur les massacres du 8 Mai 1945, dirigée par le général de gendarmerie française, Paul Tubert, a décrit le drapeau saisi par la police comme un "drapeau tricolore rouge (à la hampe) blanc et vert avec un croissant et une étoile rouge à cheval sur le blanc et le vert". Aujourd'hui, Emilie Busquant via sa fille Djenina Messali-Benkelfat et Chawki Mostefaï se disputent la maternité/ paternité du drapeau algérien. À leurs côtés, vient se greffer une 3e version qui privilégie le principe du "travail collectif" ayant impliqué plusieurs militants nationalistes dans la conception et la réalisation de l'emblème, de l'époque de ENA- PPA/MTLD à celle du FLN de 1954. Si la question de l'origine de la conception du drapeau algérien ne soulève plus autant de malaise ou d'embarras, elle a besoin d'être racontée à nos enfants, à l'école. H. A.