"Le problème est que cette qualification de cessation de paiement n'a été mentionnée ni dans les rapports de fonds des différentes inspections, ni dans l'arrêt de renvoi et encore moins présentée comme argument de liquidation par l'administrateur provisoire de Khalifa Bank", disait Mohamed Djellab auditionné dimanche par le tribunal criminel près la Cour de Blida. "Cela signifie-t-il que le gouverneur de la Banque d'Algérie et l'administrateur sont en désaccord sur ce point ?", n'a pas manqué de s'interroger, hier, devant le juge, Me Lezzar, l'avocat de Moumen Khelifa. Le gouverneur de la Banque d'Algérie, qui a été la deuxième personnalité à être auditionnée en qualité de témoin par le magistrat en charge de l'affaire, après l'ancien ministre des Finances, Mohamed Djellab, a déclaré assumer la responsabilité de ses propos. "Je ne suis pas un expert-comptable comme Djellab, mais je peux dire que la cessation de paiement dans le cadre d'une entreprise est une chose, et pour une banque, c'est autre chose. Une banque qui ne peut plus faire face aux retraits de ses clients est en cessation de paiement." M. Laksaci soutient qu'à la fin février 2003, le solde de Khalifa Bank auprès de la Banque d'Algérie était de 18,9 milliards de dinars, à la fin mars de 5,3 milliards de dinars et entre avril et mai de la même année, il a baissé à 500 millions de dinars. Djellab avait indiqué, lui, que la trésorerie de Khalifa Bank, à la date de sa désignation en tant qu'administrateur, était de 20 milliards de dinars. "La Banque d'Algérie a demandé aux actionnaires de Khalifa Bank un soutien financier. Maintenant, au-delà du déséquilibre financier, il y avait des faits de culpabilité incarnés par des infractions aux règles de changes." Laksaci poursuit son argumentation : "Le principal paramètre de la Banque centrale est le volume des dépôts à son niveau. Il y a même un taux de réserve obligatoire pour faire face à des retraits éventuels des clients. J'ai parlé d'indisponibilité de fonds face à l'érosion. L'argent n'était pas disponible pour faire face à la demande des déposants. Khalifa Bank ne présentait pas une éligibilité au refinancement car ses fonds propres étaient inférieurs à 8% du risque encouru." Là encore, Laksaci va à contresens de Djellab qui a reconnu, la veille, n'avoir constaté aucun incident lié aux retraits. Laksaci rappelle que 10 rapports couvrant la période de 1999 à mai 2003 ont été établis par des inspecteurs de la Banque d'Algérie. "À partir de 2002, on a intensifié les contrôles sur place parce qu'on a observé un emballement des transferts extérieurs. On s'est basé sur deux rapports particulièrement pour motiver la décision de la Banque d'Algérie de procéder au gel du commerce extérieur de Khalifa Bank." Il explique que le contrôle de changes relève de la Banque d'Algérie qui peut déléguer cette activité à une banque agréée, à la suite d'une autorisation délivrée par la commission de la monnaie et du crédit. Selon le gouverneur de la Banque d'Algérie, la décision prise le 27 novembre 2002 de suspendre le commerce extérieur de Khalifa Bank est la conséquence notamment de la non-déclaration de ses engagements extérieurs, la non-déclaration des sorties de devises dont le montant s'est avéré ne pas correspondre à l'entrée des biens en Algérie. Le président de l'audience veut s'assurer si toutes ces anomalies n'étaient pas dues à un manque de compétence. "La défaillance d'informatique n'explique pas tout. La situation mensuelle de la banque Khalifa qui arrivait à la Banque d'Algérie montrait que les comptes d'ordres et d'organisation étaient anormalement élevés. Alors que les comptes d'ordres devaient être autour de 10% du total de la trésorerie. Les flux des fonds vers les sociétés apparentées n'étaient pas déclarés." Medelci récuse des données provenant d'inspecteurs non assermentés Le juge : "Qu'en est-il du rapport de 2001 envoyé par le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie, Touati, au ministre des Finances de l'époque, Mourad Medeci ?" Mohamed Laksaci précise : "Le rapport date de novembre 2001 et a été envoyé par le vice-gouverneur Touati pour des suites à donner face à des insuffisances et des violations des règles de procédure de la loi sur la monnaie et le crédit par Khalifa Bank." La défense de Khelifa dénie à la Banque d'Algérie la prérogative de procéder au gel du commerce extérieur. Sur ce point, Laksaci est catégorique : "La Banque d'Algérie est habilitée par la loi à retirer la qualité d'intermédiaire régulier à une banque exerçant des pratiques contraires aux règles, telles que l'absence de déclaration des engagements extérieurs. Ce sont autant de motifs de gel des opérations de transferts à l'étranger, par la Banque d'Algérie." Le magistrat renchérit : "Dans son PV d'audition, Medelci a dit qu'il n'a pas porté plainte contre la banque Khalifa parce qu'il n'a pas été informé directement et légalement des violations des règles de procédures." Laksaci reconnaît que le rapport en question comprenait des PV de constatation établis par des inspecteurs non assermentés. "Cela, je l'ai appris par la suite. J'ai pris le problème en charge. Résultat : il y a eu 12 PV établissant des infractions aux règles de changes entre mai et décembre 2003." Il ajoute : "Le problème qui s'est posé est le reporting qui comportait de fausses déclarations, à tel point que quand le contrôle prudentiel s'est fait, on a découvert que Khalifa Bank déclarait tous les dépôts des entreprises publiques dans la rubrique secteur privé. J'ai mesuré l'ampleur du problème, réellement, à la désignation de l'administrateur provisoire. Beaucoup d'informations nous ont été communiquées à partir de cette date." Le swift est la preuve que des fonds ont été constitués à l'étranger Le président de l'audience demande pourquoi Moumen Khelifa a sollicité en 2001 le gouverneur de la Banque d'Algérie pour une entrevue. Laksaci affirme que M. Khelifa a été reçu par le vice-gouverneur Touati et non par lui. "La discussion a tourné autour de la banque qu'il voulait acheter grâce à ses ressources personnelles et familiales à l'étranger. Il a aussi demandé une autorisation d'ouvrir une représentation de Khalifa Bank à Paris. Mais elle ne lui a pas été accordée." Pour ce qui est de la préoccupation du procureur général concernant le taux d'intérêt variable pratiqué par les agences de Khalifa Bank, Laksaci réplique que du point de vue de la loi, le taux d'intérêt est libre et négociable entre la banque et son client. Toutefois, une augmentation du taux d'intérêt peut constituer un facteur de risque pour la banque. Me Lezzar relève que la décision de gel du commerce extérieur de Khalifa Bank a été signée par le vice-gouverneur Touati. "C'est une décision de la Banque d'Algérie et pas d'une personne. La loi permet à un gouverneur d'être assisté par ses trois vice-gouverneurs. On doit séparer cette question de celle du retrait d'agrément qui est une mesure disciplinaire. Le gouverneur assume toutes les décisions de la Banque d'Algérie." "Donc, c'est le gouverneur qui assume et qui signe", ironise l'avocat, précisant que la décision du retrait d'agrément a été notifiée en retard d'un mois et demi, seulement à l'un des actionnaires. En l'occurrence, le frère de Moumen Khelifa, après expiration des délais du pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Le gouverneur de la Banque d'Algérie donne certains détails : le retrait de l'agrément à Khalifa Bank a été décidé le 29 mai 2003 et a été précédé par une audience disciplinaire le 26 du même mois, suite à laquelle l'information a été rendue publique. L'acte de griefs, quant à lui, a été adressé aux actionnaires le 24 avril, sans qu'ils donnent suite. Me Medjhouda, avocat de Khelifa, demande comment les transferts de devises ont pu persister après le gel du commerce extérieur imposé à Khalifa Bank. Laksaci affirme qu'après cette décision, la Banque d'Algérie n'a plus vendu de devises. "A priori, des ordres de virement ont été effectués à travers le système swift. Le swift est la preuve que des fonds ont été constitués à l'étranger." Le juge veut savoir sur quelle base Djellab a été désigné administrateur provisoire de Khalifa Bank. "C'est un banquier", dit tout simplement Laksaci. Il ajoute que sa mission n'était pas limitée dans le temps. Il devait gérer la banque et en même temps transmettre des informations à la commission bancaire. "Depuis qu'il a été désigné, on a eu un plus grand éclairage de la situation. Le déséquilibre financier de Khalifa Bank était dû au non-respect du ratio de solvabilité. On a adressé, je crois, 60 correspondances à Khalifa Bank pour recapitaliser sa trésorerie", précise encore le gouverneur de la Banque d'Algérie, visiblement épuisé après des heures d'audition. N. H.