Après l'accueil du cercueil au salon d'honneur de l'aéroport par la délégation officielle, dans une ambiance quelque peu tendue, le corps du défunt quitte l'aéroport sous les clameurs de la foule, en direction du siège national du FFS pour une soirée de recueillement populaire. Si les capitales du monde se préparaient, en ce jeudi 31 décembre 2015, à bien accueillir le nouvel an, Alger, elle, était mobilisée pour accueillir la dépouille mortelle de l'un des pères de la glorieuse Révolution, Hocine Aït Ahmed, décédé le 23 décembre à Lausanne, sa ville (suisse) d'exil. Un moment historique que les Algériens en général et les militants de son parti, le FFS, en particulier, ne tenaient pas à rater. Le pouvoir, même s'il l'avait contraint à l'exil, a, pour sa part, compris qu'il n'avait pas le droit de faire l'impasse sur un tel rendez-vous pour "imposer" sa cérémonie officielle d'accueil du plus vieil opposant que fut le défunt. Sur instruction du président Bouteflika, c'est tout le staff gouvernemental, mené par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et les responsables des hautes institutions qui sont dépêchés à l'aéroport pour se recueillir à la mémoire de Da L'Hocine. Pour être en accord avec l'envergure du précurseur de la lutte armée contre la France coloniale, la Garde républicaine est mise en place, du tarmac au salon d'honneur, quelques heures avant l'arrivée de la dépouille mortelle de Si L'Hocine à 16h. Aux alentours de l'aéroport, un important dispositif de sécurité est déployé pour contenir les cohortes de citoyens qui affluent de partout avec l'espoir de rendre hommage à leur "symbole national". Pendant ce temps, les "lakhouane", venus de la région natale du défunt, entonnent, en kabyle, des chants religieux qui donnent la chair de poule aux nombreux automobilistes contraints de rouler à faible allure, voire "bloqués" au rond-point dont l'axe menant vers le salon d'honneur de l'aéroport. Toujours en hommage au fondateur du plus vieux parti de l'opposition, les militants du FFS reprennent, de leur côté, leur cher slogan, scandé depuis le premier retour du "zaïm" au pays, après les événements de 1988 : "Assa azzekka, Si l'Hocine yella yella". Cérémonie furtive Au salon d'honneur, le staff gouvernemental et les hauts responsables sont alignés en ordre protocolaire, quelques minutes avant l'arrivée, à bord d'un vol régulier d'Air Algérie, du cercueil du défunt accompagné de sa famille. Ils seront suivis, par les membres de la direction du FFS qui se sont respectueusement tenus à distance. Le cercueil, recouvert de l'emblème national, porté par les éléments de la Protection civile, sera exposé juste le temps de la "Fatiha" avant d'être acheminé, sous une escorte présidentielle, vers le siège du parti où il passera toute la nuit de jeudi à vendredi pour être, ensuite, transporté au village natal, Ath-Ahmed, où le défunt a choisi d'être enterré. La cérémonie officielle sera vite expédiée, sous le regard frustré des hauts responsables visiblement "indésirables" et pour les militants et pour les membres de la famille du défunt. Même les représentants des médias n'ont pas jugé utile d'interviewer les membres du gouvernement, préférant plutôt accompagner le cortège funèbre. "Tout le front (FLN) est en deuil pour Aït Ahmed qui mérite tout notre respect et notre considération. Je considère que nous avons été injustes à son égard. C'est pourquoi nous devons nous remettre à l'histoire du grand homme qu'il a été et que personne ne peut effacer. Nous devons le reconsidérer et lui donner la place qui lui sied dans l'histoire de l'Algérie. Aujourd'hui, nous devons tous être fiers d'Aït Ahmed en tant que zaïm des zaïms (Zaïm ezzouâma)", a commenté le chef du FLN, Amar Saâdani, qui a préféré se déplacer à l'aéroport pour, vraisemblablement, éviter de se rendre au siège du FFS... L'ancien chef de gouvernement, Réda Malek, lui, estime que "le défunt a eu tous les honneurs qu'il méritait compte tenu de son long parcours : 20 ans de lutte pour l'indépendance et 50 ans après l'indépendance durant lesquels il n'a jamais baissé les bras pour continuer à défendre la démocratie, la République et les droits de l'Homme. C'est une continuité, une vocation et une réussite pour lui". Le défunt Aït Ahmed dont la veillée funèbre drainera une foule nombreuse de citoyens et un ballet d'hommes politiques nationaux et étrangers, de toutes obédiences, impose le respect même à ses opposants les plus farouches. "Je n'étais pas d'accord politiquement avec lui certes, mais j'ai toujours eu beaucoup de respect pour lui, en tant que membre du commandement de la Révolution mais aussi en tant que symbole de la lutte armée depuis sa jeunesse. Ce qu'il a fait en rejoignant dès son jeune âge la lutte armée est un message fort qu'il a légué à la jeunesse algérienne, c'est un exemple de patriotisme", a dit à son propos Belaïd Abdesselem, ancien chef de gouvernement du temps du Haut-Comité de l'Etat, (HCE). Message du peuple et de l'opposition... Lors de la longue veillée funèbre, au siège du FFS, seuls les personnalités et les chefs des partis politiques de l'opposition ont osé se "mêler" à la grande foule des citoyens venus se recueillir à la mémoire de l'éternel opposant au régime ! "Un hommage grandiose du peuple algérien. Les nombreux citoyens présents, sont des témoins extraordinaires que nous n'avons jamais vus dans des obsèques quelles qu'elles soient. Cela est lié à la grandeur de l'homme que nous avons perdu ; c'est un patrimoine national", souligne, au passage, Louisa Hanoune, SG du PT. Pour l'ancien officier du DRS, Mohamed Khelfaoui, "ces obsèques populaires grandioses sont une gifle donnée au pouvoir lequel doit désormais en faire une lecture lucide et se rende compte que le peuple se situe d'un côté et lui de l'autre". L'allusion est claire ! Saïd Sadi et Mohcine Belabbas (RCD), Abderrezak Makri (MSP), Abdellah Djaballah (FJD), Ali Benflis (Talaie El-Hourriyet), ou encore l'ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche, et même des hauts gradés de l'armée à la retraite, à leur tête le général Mohamed Mediene, dit Toufik, sont autant de personnalités à défiler au siège du FFS pour rendre un dernier hommage au défunt Da L'Hocine. Visiblement conscient de son "poids", même à la retraite, pour avoir régné plus de 25 ans sur le DRS, Toufik a attendu minuit pour se recueillir "en catimini" à la mémoire de Da L'Hocine. Parmi les étrangers, l'on a remarqué, entre autres, le leader du parti islamiste tunisien, Ennahda, Rached El-Ghannouchi et l'ancien chef de gouvernement, du même parti, Hamadi Jebali, l'ancien Premier ministre marocain Abderrahmane Youssoufi, ou encore l'ambassadeur de la Palestine à Alger. Ghannouchi garde d'Aït Ahmed l'image d'un "symbole de la Révolution dans le monde". "Je suis là pour partager ce moment historique avec mes frères algériens. J'ai eu l'honneur de le rencontrer une fois, à ce même siège, (du FFS), où il m'avait reçu avec beaucoup de respect. Je l'avais auparavant, rencontré lors d'une rencontre à Londres et je le voyais comme un symbole et un guide pour notre génération. J'ai beaucoup de respect pour lui, c'est un symbole de la Révolution dans le monde", a-t-il confié en marge. Après le recueillement sur la dépouille du défunt exposée sous un chapiteau dressé dans la cour du siège du parti, les personnalités politiques se rendent dans le salon pour présenter leurs condoléances à l'épouse, à la fille, aux deux fils et aux petits-enfants du défunt, mais aussi à la direction du FFS. C'est notamment le cas de l'ancien président du RCD, Saïd Sadi qui a été invité par Ahmed Djedaï, ancien Premier secrétaire du FFS, à entrer dans le salon où tous les secrétaires nationaux du FFS, à leur tête Mohamed Nebbou, l'ont salué avant d'échanger longuement avec lui... Emotion et espoir Dans le même temps, les citoyens sont systématiquement conduits vers la sortie pour céder la place aux suivants dont la chaîne s'étend, au début de soirée, jusqu'en haut du boulevard Souidani-Boudjema, fermé, en cette occasion, à la circulation. Epaulé par un important cordon de policiers, plusieurs militants du parti se sont volontairement transformés en vigiles pour "maîtriser" la marée humaine. Il y avait tellement de monde que certaines personnalités, dont des chefs de partis politiques non moins connus, ont humblement fait la queue derrière les citoyens, pour se recueillir, dans l'anonymat, à la mémoire de Si L'Hocine. La foule aurait été plus importante, si l'enterrement n'était pas prévu, comme voulu par le défunt, dans son village natal, Ath-Ahmed où la grande majorité des citoyens s'était déplacée pour y assister. En la circonstance, le siège du FFS est décoré de guirlandes du drapeau national et portraits géants retraçant le parcours du défunt. Les murs sont aussi ornés de banderoles sur lesquelles sont portées ses célèbres citations, mes messages politiques... Des messages qu'épousent bien d'autres partis politiques de l'opposition lesquels partagent néanmoins le même combat qu'Aït Ahmed. "Le combat d'Aït Ahmed est aussi le nôtre. Aït Ahmed avait mené deux "djihads'' (combats) ; l'un pour libérer le pays du joug colonial qui a été réalisé et l'autre pour les droits de l'Homme, la dignité, la démocratie et la réalisation d'un consensus entre les Algériens. Ce (dernier) combat ou djihad d'Aït Ahmed continue et continuera toujours et nous sommes des soldats pour le même combat que nous souhaitons réaliser un jour", souhaite le président du MSP, Abderrezak Makri. La veillée funèbre sur la dépouille d'Aït Ahmed a été animée par "ichaouiken" (chants religieux), récités en boucle par "lakhouane", jusqu'à 7 heures du matin. Soit l'heure du dernier départ de la dépouille mortelle vers son village natal Ath-Ahmed où "culminera" désormais sa tombe comme un repère pour les générations à venir... F. A.