Saisir directement le juge pour faire annuler ou même suspendre une transaction qui, somme toute, demeure une transaction commerciale régie par le code de commerce, c'est indéniablement méconnaître la loi et commettre un excès de pouvoir. Dans un communiqué de presse publié le 27 avril 2016, le quotidien El Khabar fait état d'une assignation devant le juge des référés du tribunal administratif de Bir-Mourad-Raïs notifiée à son représentant tendant, suivant les termes de ce communiqué, "à faire annuler la convention de vente de la société par actions El Khabar au profit de Issad Rebrab pour non-conformité à la loi". Cette citation à comparaître a été délivrée par le ministre de la Communication en tant que demandeur dans l'instance et pour l'audience du 2 mai 2016. Une autre assignation ayant le même objet et tendant aux mêmes fins mais portée devant le juge du fond du même tribunal administratif a été notifiée au même défendeur. C'est la première fois qu'un litige de cette nature mettant en cause une transaction portant sur la cession d'actifs d'un organe de presse régi par le nouveau code de l'information est porté devant une juridiction. Ce litige inédit qui devra faire jurisprudence soulèvera des questions juridiques non moins inédites que le juge (ici le juge administratif) devra trancher en l'absence de règles procédurales claires et précises régissant ce genre de contentieux. L'affaire se résume suivant ce qui a été rapporté par la presse à un projet de cession d'actions de la société par actions SPA El Khabar au profit de la filiale Ness-Prod du groupe Cevital détenu par l'homme d'affaires algérien Issad Rebrab. Une fois cette transaction finalisée par un acte notarié et par une insertion au Bulletin officiel des annonces légales, le ministère de la Communication décide de faire opposition à cette cession arguant de sa nullité pour non-conformité aux dispositions du code de l'information, notamment aux dispositions de l'article 25 et subsidiairement aux dispositions des articles 16 et 17 de la même loi et décide d'une double action en justice : la première est introduite en urgence devant le juge des référés administratifs du tribunal administratif de Bir Mourad-Raïs qui sera jugée le 2 mai 2016 et la seconde devant le juge du fond du même tribunal qui sera jugée ultérieurement. Les actions intentées par le ministre de la Communication, notamment l'action en référé, peuvent-elles aboutir au regard des arguments juridiques sur lesquels sont fondées ces deux actions ? Tout d'abord, que ce soit pour l'action portée devant le juge des référés administratifs ou pour l'action portée devant le juge du fond, il y a lieu de s'interroger sur la qualité du ministre de la Communication à saisir le juge d'un tel litige qui relève pour certaines règles d'une procédure spéciale régie par le code de l'information. Dans toute procédure judiciaire, l'action en justice n'est recevable que si le demandeur a la qualité d'agir (article 13 du code de procédure civile et administrative). Le code de l'information, et eu égard à la spécificité des règles de l'exercice du droit à l'information et de la liberté de la presse, a créé des autorités spéciales chargées de contrôler et de réguler l'activité des médias, en l'occurrence "l'Autorité de régulation de la presse écrite" et "l'Autorité de régulation de l'audiovisuel". C'est à ces deux autorités qui jouissent de la personnalité morale et de l'autonomie financière et non au ministère de la Communication que revient la charge de veiller au respect par les organes de presse des dispositions de la loi sur l'information, y compris le respect de l'article 25 de ce même code sur lequel ont été fondées essentiellement les deux actions en référé et au fond (art. 40 et 64). En outre, il s'agit dans cette affaire non d'une vente d'un organe de presse à une personne physique mais d'une cession "d'actions" par une société anonyme à une autre société commerciale, c'est-à-dire une transaction qui relève du code de commerce dans ses articles 715 bis 40 à 715 bis 60. Dès lors, on peut légitimement et juridiquement soutenir que le ministre de la Communication n'a pas qualité pour intenter une action en justice pour remettre en cause une décision prise par un organe de presse, qui plus est activant sous forme d'une société par actions. C'est à l'Autorité de régulation qu'il revient de se prononcer sur la validité et la légalité de cette cession, soit par saisine ou par auto saisine et c'est à cette autorité qu'il échoit, en cas de nécessité, de porter le contentieux devant la juridiction compétente sachant que cette autorité jouit de la personnalité morale, c'est-à-dire qu'elle a qualité d'agir en justice. Il est vrai que les dispositions du code de l'information qui régissent l'organisation et le fonctionnement de l'Autorité de régulation (articles 40 à 57 et 64 à 66) ne mentionnent pas expressément que c'est cette autorité qui doit saisir la juridiction compétente en cas de violation des dispositions de la loi sur l'information mais l'article 42 de cette même loi dispose clairement que les recommandations et observations de cette autorité sont adressées à l'organe de presse et qu'elle fixe les conditions et délais de leur prise en charge, ce qui implique nécessairement que faute d'obtempérer, l'organe de presse y sera contraint par toutes les voies de droit y compris par voie de justice. Cette procédure de saisine du juge par l'Autorité de régulation aurait dû être affinée et précisée par des textes réglementaires conformément aux articles 45 et 65 de la loi sur l'information mais ces textes ne sont toujours pas publiés. Une application stricte de la loi sur l'information voudrait que le juge administratif, aussi bien celui des référés que celui du fond, saisi par le ministre de la Communication aux fins d'annulation de la cession d'actions de la société de presse El Khabar prononce l'irrecevabilité de l'action pour défaut de qualité et incidemment renvoyer le demandeur à saisir l'autorité de régulation. On pourrait rétorquer que devant le vide juridique, il faudrait bien qu'une autorité, en l'espèce le ministère de la Communication, agisse pour mettre un terme à la violation alléguée de la loi, en l'espèce la violation de l'article 25 du code de l'information. Dans ce cas, et justement parce qu'il y a absence de textes précis autorisant le ministre de la Communication à faire annuler d'office ou par voie de justice une cession d'un organe de presse ou de tout autre organe d'information, le ministère de la Communication aurait dû s'en tenir aux compétences et prérogatives que lui reconnaît la loi et ne pas les dépasser ou les transgresser. Il ne pourra, dans cette affaire, que retirer l'agrément de l'organe objet de la cession s'il considère cette cession nulle et non avenue, à charge par lui de notifier sa décision écrite et motivée qui sera susceptible de recours devant la juridiction administrative. Mais saisir directement le juge pour faire annuler ou même suspendre une transaction qui, somme toute, demeure une transaction commerciale régie par le code de commerce, c'est indéniablement méconnaître la loi et commettre un excès de pouvoir. Concernant précisément l'action en référé, le communiqué publié par le quotidien El Khabar fait état d'une demande "d'annulation de la convention de vente de la SPA El Khabar à Issad Rebrab". Si tel est l'objet de la requête, il est à parier que le juge des référés du tribunal rendra à la première audience une décision d'incompétence à la seule lecture de cette requête et sans aborder les arguments et moyens de fond soulevés par le ministre de la Communication. L'un des principes fondamentaux régissant les référés tant administratifs que civils est que le juge des référés ne se prononce que sur des demandes ne touchant pas le fond du litige, c'est là une jurisprudence constante du Conseil d'Etat et de la Cour suprême. La demande tendant à "l'annulation de la convention de vente de la SPA El Khabar à Issad Rebrab" étant une demande qui touche au fond du droit, elle ne rentre pas dans la compétence du juge des référés. La seule action qui serait valable pour ce genre de litige susceptible d'être jugé par un juge des référés est le référé suspension, c'est-à-dire un référé où on demandera à ce juge non pas l'annulation de l'acte (en l'espèce la convention de cession) mais seulement sa suspension provisoire dans l'attente du jugement de l'affaire principale portée devant le juge du fond. Même ici, le juge administratif du tribunal administratif va se trouver devant un casse-tête juridique puisque la demande en suspension, comme d'ailleurs la demande en annulation, qu'il est appelé à juger, ne concerne pas un acte administratif mais une "cession d'actions d'une société anonyme au profit d'une autre société", c'est-à-dire une opération purement commerciale qui ne peut en aucun cas être assimilée à un acte administratif. Il est vrai que la compétence de la juridiction administrative est fondée sur le critère organique c'est-à-dire que le juge administratif est compétent dès lors qu'une partie est une entité à caractère administratif et c'est le cas du ministère de la Communication demandeur dans l'action en référé. Mais le juge administratif est-il réellement compétent pour décider de la suspension puis de l'annulation d'une transaction commerciale entre des sociétés privées qui, de surcroît, est officialisée par un acte notarié ? Assurément non, car ce serait là un excès de pouvoir. Le litige soulevé ayant un rapport d'une part avec les règles du code de commerce et d'autre part avec les procédures de création, de fonctionnement et de cession des organes de presse écrite et audiovisuels prévues par le code de l'information, le ministre de la Communication ne peut intervenir que par le biais de décisions administratives compatibles avec ses prérogatives légales, en l'occurrence et comme déjà mentionné, refuser ou retirer les agréments aux entités suspectées d'avoir méconnu la loi. Revenons maintenant au fondement des deux actions introduites par le ministre de la Communication en l'occurrence les articles 16, 17 et 25 de la loi sur l'information. L'article 25 dispose ce qui suit : "Une même personne morale de droit algérien ne peut posséder, contrôler ou diriger qu'une seule publication périodique d'information générale de même périodicité éditée en Algérie." La transaction en cause concerne non pas la vente au sens stricto sensu du terme mais une cession d'actions du groupe de presse SPA El Khabar qui comprend, entre autres, le quotidien du même nom et la chaîne de télévision KBC, et ce, au profit d'une autre société, Ness-Prod, une filiale de Cevital. Il est reproché à l'acquéreur de ce groupe de presse en la personne d'Issad Rebrab de posséder déjà un autre quotidien, en l'occurrence le quotidien Liberté. Cet article 25 ne peut en aucun cas être applicable à cette cession pour les raisons suivantes : Tout d'abord, si l'article 25 n'autorise que la possession d'une seule publication périodique d'information et interdit la possession d'autres périodiques de même périodicité, c'est sous réserve qu'il s'agisse de la même personne morale. A contrario, cette disposition ne s'applique pas au cas où c'est une personne morale autre que celle qui possède déjà un périodique qui a acquis le nouveau périodique. Dans le cas d'espèce, les actions du groupe de presse SPA El Khabar ont été cédé à la société Ness-Prod qui est une personne morale. Cette dernière société ayant une personnalité morale propre, elle ne doit pas être confondue avec les autres filiales de la société Cevital qui ont, elles aussi, la personnalité morale. Pour faire appliquer l'article 25, le juge administratif va vérifier si l'acquisition du groupe El Khabar, à qui appartient la publication, est le fait de la même personne morale qui possède le quotidien Liberté. Ce dernier journal appartient à une autre société qui a sa propre personnalité morale, en l'occurrence la Société algérienne d'édition et de communication (SAEC). Ness-Prod et SAEC étant deux sociétés indépendantes et ayant deux personnalités morales distinctes, il n'y a pas lieu, donc, d'appliquer l'article 25 et, en conséquence, la demande d'annulation ou de suspension de l'acte de cession des actions n'est pas fondée. Une décision contraire serait pour le moins étrange. En fait, il ne s'agit pas de la cession d'une publication périodique mais de la cession d'actions d'une société par actions qui gère en sus de ce périodique une chaîne de télévision. L'article 25 ne concerne que les publications périodiques, ce qui exclut son extension aux médias audiovisuels. Suivre le raisonnement du ministère de la Communication dans sa demande d'annulation de cette cession et lui donner gain de cause en ordonnant la suspension de l'opération de cession puis son annulation aura des répercussions sur les autres actifs objet de la cession, notamment la chaîne de télévision et les moyens d'impression et de diffusion qui font partie des actifs de la société, alors que les articles de loi invoqués au soutien de cette demande ne concernent que la publication périodique. D'autre part, quel sera le sort des actions acquises par les nouveaux associés, a fortiori, si les sommes afférentes à ces actions ont été libérées, ce qui doit être le cas puisque cette cession a été officialisée par acte notarié et publiée au Boal. L'article 16 dispose, quant à lui, que "l'agrément est incessible sous quelque forme que ce soit". Cette disposition est aussi inapplicable au cas d'espèce, pour la simple raison qu'il ne s'agit, en fait, que d'une modification des statuts d'une société anonyme par cession d'une partie de ses actions à d'autres actionnaires, l'agrément en tant que tel ne subissant aucun transfert. Même à supposer qu'il s'agisse d'une cession d'agrément au sens de l'article 16, la seule action que peut engager le ministre de la Communication est de prendre une décision de retrait de l'agrément. Quant aux deux actions en référé et du fond tendant à faire annuler la transaction, elles resteront infondées. Enfin et concernant l'article 17 qui dispose que "dans le cas de vente ou de cession de la publication périodique, le nouveau propriétaire doit demander un agrément", les mêmes remarques lui sont appliquées. Et dans tous les cas de figure, le retrait de l'agrément ou son octroi au nouveau propriétaire ne relève nullement de la prérogative du ministère de la Communication mais de celui de l'Autorité de régulation, et ce, conformément aux articles 13 et 14 du code de l'information. En résumé, l'interprétation exacte et rigoureuse des article 16, 17 et 25 du code de l'information sur lesquels le ministère de la Communication compte asseoir son argumentaire pour faire annuler par voie de justice la cession d'actions devrait déboucher, inéluctablement, sur une décision d'irrecevabilité ou de rejet de la demande portée aussi bien devant le juge des référés que devant le juge du fond. Dans cette affaire, les autorités en charge de la communication se sont elles-mêmes piégées en retardant la promulgation des textes réglementaires régissant le fonctionnement et les prérogatives de l'autorité de régulation. Devant ce vide juridique, le juge rechignera à suivre l'argumentaire de l'administration surtout qu'il s'agit de protéger deux libertés fondamentales réaffirmées par le nouvel amendement constitutionnel : la liberté de la presse et la liberté d'entreprendre. Me M. A. (*) Avocat