Ce nouvel ouvrage de Samir Toumi est un roman percutant qui se lit d'un trait, tant son narrateur est attachant, voire poignant. Nos parents sont des héros. Oui, comment ne le seraient-ils pas, alors qu'ils ont combattu le colonisateur pour faire de nous les hommes libres d'aujourd'hui. C'est ce que pense cette génération post-indépendance qui se voit "sacrifiée" pour glorifier encore et toujours une génération sacralisée. Des jeunes écrasés par des pères dont l'héroïsme est constamment remis sur le tapis se retrouvent à suivre une voie toute tracée et sont détenteurs de passe-droits et de privilèges qui leur ouvrent toutes les portes : belle maison, bon poste, belle voiture, belle future épouse... Un avenir en somme tout tracé. Une vie que tout bon "fils de moudjahid" a le droit d'avoir. "Alors que j'étais tout jeune, mon père avait décidé que je devienne diplomate de carrière. Toutefois, le prestige de son nom et l'étendue de son réseau de relations se sont avérés insuffisants pour me placer au ministère des Affaires étrangères. Les positions dans cette institution étant extrêmement prisées, il s'est rabattu sur la Sonagpa qui faisait preuve de bien plus de complaisance dans l'accueil des jeunes diplômés "recommandés"..." Vrai ou faux moudjahid, là n'est pas la question, bien que l'allusion soit présente dans quelques passages de ce roman percutant qui se lit d'un trait tant son narrateur est attachant, voire poignant. On apprend que son père, le commandant Hacène, est un vrai moudjahid, un vrai héros comme on n'en fait plus ; mais là n'est pas le problème... Ou peut-être que si ? Mais jusqu'à quand notre narrateur va-t-il devoir vivre dans son ombre, suivre la voie qu'il lui a tracée, épouser la femme qu'il lui a choisie ? Quelque temps après la mort de son géniteur, notre narrateur, cet être docile et effacé – contrairement à son frère aîné Fayçal – se retrouve déstabilisé. Là s'annonce une remise en question de l'ordre des choses qui l'entourent. Peu à peu, une petite descente aux enfers commence. D'abord à travers cette glace qui refuse de lui renvoyer son reflet. Son corps est bien là puisqu'il arrive à le palper et tout le monde le voit gesticuler, mais le miroir refuse de le lui renvoyer. Au départ, le phénomène est peu fréquent, mais au fur et à mesure des jours, les choses s'aggravent, et l'effacement s'installe de plus belle. Le narrateur n'a plus de face... Elle s'efface... Et il n'arrive plus à y faire face tout seul. Un tour chez le psy s'impose. Hamid, son collègue qui le répugne bien malgré lui, lui conseille d'aller voir le docteur B. qui le suit de près, très près... trop près, lui semble-t-il, puisque le doute s'installe en lui. Nous voilà avec notre personnage déambuler à Alger l'austère, puis une fuite vers Oran la radieuse s'improvise. "Je trouvais l'atmosphère des rues moins austères qu'Alger. Hommes et femmes semblaient se mouvoir plus librement et occupaient l'espace public de manière plus naturelle. Les femmes déambulaient et s'interpellaient, alors qu'à Alger, je les voyais raser les murs." Là, une métamorphose s'opère, et Kada, Houaria, Santa Cruz entrent en jeu. Mais bientôt, c'est la mémoire qui foire, c'est la tronche qui flanche... Notre fils de bonne famille commence à perdre peu à peu la tête. C'est la faute aux autres. C'est une conspiration. Une traîtrise. Non, il refuse. Rien ne doit l'éloigner de son père, son seul et fidèle compagnon, le commandant Hacène, ce héros. Il doit fuir et revenir chez lui... "Il n'y a plus de bruit, il y a juste cette lumière blanche. Il n'y a personne, tout s'est effacé. Il n'y a plus que moi et je sais enfin qui je suis. Je suis vivant. Je suis fort et invincible. Je suis le commandant Hacène, glorieux moudjahid de l'Armée de libération nationale, valeureux bâtisseur de l'Algérie indépendante." Un roman cinglant qui dévoile le mal-être de cette génération qui, certes, n'a pas fait la guerre, mais qui voudrait tant enfin arracher sa liberté de construire autrement son avenir que par le reflet d'un souvenir. Samira Bendris Roman L'effacement, de Samir Toumi, Editions Barzakh, 2016, 216 pages, 700 DA.