Le secteur connaît une instabilité chronique : six P-DG de Sonatrach dont deux intérimaires depuis le scandale de 2010, soit "une durée de vie" comprise entre un et deux ans, pas plus. À la surprise générale, les hautes autorités du pays ont décidé de limoger Amine Mazouzi et de nommer Ould Kaddour à la tête de Sonatrach. Ce changement brutal s'est effectué de manière très prompte. Peu de temps après l'annonce, hier, par le ministère de l'Energie, de la désignation d'un nouveau P-DG, Noureddine Boutarfa a réuni le conseil d'administration de Sonatrach et a procédé à l'installation d'Abdelmoumen Ould Kaddour comme nouveau patron de la compagnie pétrolière nationale. "C'est une décision de la Présidence et des services de sécurité. Ce n'est pas une décision de Noureddine Boutarfa, le ministre de l'Energie", confie une source sûre qui a tenu à garder l'anonymat. L'Algérie a connu ainsi six P-DG de Sonatrach dont deux intérimaires depuis le scandale de 2010, soit une durée de vie comprise entre un an et deux ans. Cette instabilité chronique dans le secteur des hydrocarbures risque d'avoir des conséquences néfastes sur la fidélisation des cadres de Sonatrach. Mourad Preure : "Ce changement est inquiétant" "Tout le monde est surpris. Moi, je suis inquiet. D'autant que le traumatisme est toujours là. Le personnel de Sonatrach est toujours traumatisé par le scandale de 2010. Les directeurs ont toujours peur de signer des contrats. Avec cette instabilité, Sonatrach risque de perdre son expertise. Elle risque d'aggraver l'hémorragie de l'expertise de Sonatrach. Dans les pratiques des grandes compagnies internationales, on met six mois pour enlever un P-DG. On présente le remplaçant. Tout cela dans la sérénité." Autre donnée : "Les relations entre le ministre de l'Energie, Noureddine Boutarfa, et Amine Mazouzi se sont détériorées ces derniers mois. Le ministre de l'Energie n'appréciait pas qu'Amine Mazouzi soit seul maître à bord à Sonatrach, qu'il ait le pouvoir absolu. Mais cette situation, il faut l'imputer à une relation entre le ministère et Sonatrach pas bien huilée", confie une source proche du secteur de l'énergie. Noureddine Boutarfa s'est-il plaint en haut lieu ? Mystère et boule de gomme. Mais au-delà de cette instabilité, ce qui inquiète c'est le choix d'un P-DG mis en cause dans des affaires scabreuses, emprisonné puis relâché. "Le choix d'un P-DG à Sonatrach a toujours répondu à des considérations d'équilibre régional. On a remplacé un kabyle de kabylie par un kabyle de Hennaya (Tlemcen)", confie une source sûre du secteur. Il ne faut donc pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre ainsi qu'un proche du clan de Tlemcen, et donc de Saïd Bouteflika, est aujourd'hui à la tête de Sonatrach. C'est un choix sans doute du frère du Président. "Ould Kaddour, l'homme de Chakib Khelil et des Américains" Mais pourquoi faire venir un ex-responsable d'entreprise filiale de Sonatrach qui traîne des casseroles à la tête de la compagnie pétrolière nationale ? "C'est l'homme de Chakib Khelil et des Américains", susurre une autre source. N'oublions pas qu'il entretenait de bonnes relations avec Chakib Khelil et qu'il était à la tête de BRC, la joint-venture entre Sonatrach et la compagnie américaine Brown and Root Condor. Cette société mixte avait remporté de gros marchés de Sonatrach et de l'armée : des hôpitaux militaires à Oran et à Constantine, une base aérienne à Tamanrasset... On se remémore dans le scandale de BRC ces histoires de surfacturation et d'espionnage au profit des Américains. "C'est un brillant dirigeant d'entreprise. Mais il a été embarqué dans des affaires scabreuses par Chakib Khelil", commente Mourad Preure. Abdelmoumen Ould Kaddour, lui, se défend : "Je n'ai rien à me reprocher. C'est le DRS, le général Toufik, qui est derrière ces histoires, derrière mon incarcération." Ould Kaddour a été emprisonné dans des geôles militaires, mais a été vité relâché. "Cela l'a fortement marqué." Des affaires obscures donc toujours opaques dont on ne connaît pas encore les tenants et les aboutissants. Au-delà de ces détails, il est clair que cette nomination est la reprise en main de Sonatrach par le clan de Tlemcen, le clan de Saïd Bouteflika. Mais que signifie cette envie de marquer son terrain, une fois qu'Amine Mazouzi a relancé la production de pétrole et de gaz en moins de deux ans, soit après plusieurs années de déclin. Donner les marchés aux Américains ? Le nouveau partage des marchés ? Se renforcer dans la course à la succession au président Bouteflika, d'autant que Sonatrach est considéré comme la machine à sous du pouvoir ? Soyons donc vigilants. Les prochaines semaines, voire les prochains mois, on sera plus éclairé sur les intentions des hautes autorités de l'Etat. K. Remouche