Résumé : Maissa apprend que sa sœur avait été retirée du lycée au moment où elle devait passer son bac. Curieuse, elle lui demande de lui raconter ces réalités qu'elle ignorait jusque-là. Nacéra demeure silencieuse un moment avant de lancer d'une petite voix : -Il était écrit quelque part que je devais m'arrêter là, et prendre un autre chemin. C'était mon destin. -C'est notre père qui t'y avais obligée ? Nacéra hoche la tête. -Hélas ! Oui. -Pourquoi donc ? -Pour des raisons familiales. -Je ne comprends pas. Il n'y a aucune raison au monde qui pousse un père à retirer son enfant de l'école. C'est un crime. -Et pourtant dans notre société ce n'en est pas un. C'est tous les jours que des filles sont malmenées et retirées de l'école par leurs parents. Ce sont des choses courantes. Lorsqu'on est l'aînée de la famille, souvent on est obligée de passer sous le joug pour porter le fardeau des responsabilités. -C'est incroyable. Je n'arrive pas à admettre ce que tu racontes. -Je ne t'ai encore rien dit. Nacéra se tut et Maissa respecte son silence. Il y a des moments dans la vie où l'être humain est confronté à des situations qui le contraignent à faire un choix et à changer les données de son existence. Cela semblait être le cas de sa sœur Nacéra qui replonge dans les souvenirs avant de lancer : -Il y a un peu plus de vingt ans maintenant. C'était avant ta naissance. Notre mère venait de faire deux fausses couches consécutives, et la grossesse qui avait suivi n'était pas de tout repos pour elle. Elle était enceinte de toi, et son médecin lui avait prescrit le repos absolu au lit. Les frangins, Omar et Fayçal, avaient respectivement 15 et 10 ans. Tu vois. Aujourd'hui, ils sont partis chacun de son côté. Ils ont fondé leur foyer et sont responsables de famille. Par contre moi (elle soupire encore), je me retrouve, à plus de 40 ans, seule et désorientée. Maissa presse les mains de sa sœur. -Tu n'es pas seule, Nacéra. Je suis là. Nous sommes tous avec toi. -C'est gentil, petite sœur. Mais toi aussi, tu finiras un jour par quitter la maison. Ainsi va la vie. C'est d'ailleurs tout à fait légitime. Ne sachant quoi répondre à sa sœur, Maissa garde le silence et Nacéra poursuit : -Je disais que maman était alitée pour de longs mois. Père n'avait alors trouvé aucune autre solution que celle de me faire quitter l'école pour m'occuper de mes deux jeunes frères et de la maison. -Mais c'est injuste ! -Oui. Mais il m'avait promis de me réinscrire pour l'année suivante. Je devais reprendre mes cours dès que maman serait totalement rétablie. -Et ça n'a pas été le cas ? -Eh bien, non. Je ne devais pas reprendre l'école. Ni l'année d'après ni par la suite. C'était fini. On avait définitivement mit fin à ma scolarité. -Tu avais pris goût aux travaux ménagers ? lance Maissa avec un sourire amusé. -Ce n'était pas du tout ça, ma chère sœur. Non. Elle soupire et poursuit : -Un matin, alors que je revenais du marché, je retrouvais père au salon. Il était en pleine discussion avec un homme. Un vieil homme. À ma vue, il baisse la voix et referme doucement la porte du salon. J'étais dans le couloir, mais j'ai pu saisir quelques bribes de sa conversation. L'homme en question venait pour demander ma main. Il avait travaillé de longues années à l'étranger et fondé une famille. Il était père de quatre grands garçons qui gagnaient bien leur vie. Appréhendant le fait que ses enfants pourraient se lier à des étrangères, il avait décidé de rentrer au bled pour les marier. De ce fait, il voulait dénicher lui-même ses futures brus. Ainsi donc, une voisine avait dû lui parler de moi. J'étais toute désignée pour m'occuper d'un foyer et élever des enfants. La preuve, c'est moi qui avais pris en charge ma famille depuis que ma mère est souffrante. Cela suffisait donc pour que cet homme se présente chez nous. Mon père verra tout de suite un bon parti pour moi. Bien sûr, il demandera tout d'abord l'avis de maman qui s'empressera de m'en parler. Je fus sidérée ! Moi qui voulais reprendre mes études, me voici confrontée à une situation inattendue. Le mariage était à cette époque la dernière chose à laquelle je devais penser. J'étais très jeune et je voyais l'avenir d'un œil nouveau. J'avais des projets plein la tête. Des ambitions. Hélas ! Comme toutes les femmes de sa génération, mère ne voyait pour mon avenir que le mariage. L'homme qui venait demander ma main pour son fils était aisé, vivait à l'étranger, et même si on ne connaissait encore rien de mon futur prétendant, on ne cessait de me répéter que je ne pouvais tomber sur meilleur parti. (À suivre) Y. H.