Les salafistes algériens s'inspirent dans leur majorité de la doctrine madkhali, fortement répandue en Libye. Le salafisme prend des propensions alarmantes, voire dangereuses depuis quelques années. Le phénomène a pris racine au sein de la société, à telle enseigne qu'il constitue une menace réelle pour la collectivité nationale. Imbriqué dans plusieurs secteurs, allant de l'école, des médias, en passant, bien entendu, par les lieux de culte, jusqu'aux réseaux sociaux, les activistes salafistes ne perdent pas de vue le fait que "la victoire" viendra, d'abord, après avoir nivelé par le bas, à travers la remise en cause de tout référent national, qu'il soit identitaire, spirituel, social et même politique. Les autorités algériennes ont pris conscience du danger. Aussi, se sont-elles résolues de livrer une lutte en amont et en aval contre un fléau qui menace la collectivité nationale. La création du mécanisme de lutte contre le salafisme, dénommé mécanisme d'évaluation, de prévention et de lutte contre le salafisme, participe de cette volonté d'endiguer, sinon de réduire l'expansion de ce courant de pensée aux antipodes de l'émancipation politico-religieuse. C'est, sûrement, l'ampleur relevée des campagnes salafistes qui a fait que les autorités s'éveillent et réagissent au danger. Le mécanisme de lutte contre le salafisme est, en fait, un cadre multisectoriel placé sous la tutelle du Premier ministère. Il regroupe plusieurs secteurs. Sa mission première est l'évaluation de la présence et de l'étendue de cette doctrine mortifère dans la société. Au sein de cette structure dédiée exclusivement à l'étude du phénomène et à la recherche des voies et moyens de lutter, des universitaires, des hommes de loi, des services de sécurité, des départements ministériels... siègent. "Comme première décision, ses membres ont décidé de protéger les lieux de culte". Le mécanisme plaide, par ailleurs, pour la promotion d'un référent religieux national avec la création de Dar el-Fatwa, et ce, afin de couper court aux agissements salafistes. "L'objectif étant de dégager une démarche afin de contrer ce fléau et ensuite asseoir une politique nationale de prise en charge au plus haut niveau de l'Etat", nous a précisé une source impliquée dans le projet. "Le salafisme est une réelle source d'inquiétude", a-t-elle encore ajouté, tout en soulignant que le financement du salafisme "se pose avec acuité et constitue une préoccupation majeure". La doctrine madkhali, matrice du salafisme algérien Les salafistes algériens s'inspirent, pour une part non négligeable pour ne pas dire dans leur majorité, explique notre source, de la doctrine madkhali, fortement répandue en Libye. Les djihadistes libyens s'en inspirent fortement. Cette doctrine, qui doit son nom au théologien Rabia Benhadi Al-Madkhali, un théologien proche des wahhabites au pouvoir en Arabie saoudite, a été utilisée, notamment, contre les Frères musulmans. Menace sur la sécurité nationale Doctrine nihiliste, par son rigorisme qu'il répand en opposition à la diversité de la communauté nationale, le salafisme se pose ainsi comme une alternative qui fonde ses conceptions, son origine et sa survie d'un passé lointain vécu dans l'idéal des fondateurs de la pensée. Ses manifestations sont souvent violentes, notamment lorsqu'il s'agit de s'en prendre à des communautés nationales qui poursuivent de célébrer des rites populaires. Il en est ainsi des attaques répétées contre les différents rites populaires (interdiction de Timechret-Lawziâ à Tixeraïne à Alger par exemple), les pratiques culturelles (dénonciation des galas et autres spectacles), la remise en cause du référent religieux national (squat des lieux de culte), attaques et intimidations contre les femmes et la promotion du burkini comme tenue de plage "halal", les campagnes de dénigrement contre l'actuelle ministre de l'Education nationale, Mme Nouria Benghabrit, accentuent les clivages régionaux, religieux, identitaires et sociaux. Ce sont là autant de signes qui renseignent sur l'agitation salafiste qui s'empare de la sphère sociale. Au-delà de ces agissements qui constituent, en premier lieu, une atteinte à l'ordre public, ils sont l'émanation d'une opération conçue et réfléchie à partir de l'étranger. Nul doute. Certains pays du Golfe sont pointés du doigt comme étant les pourvoyeurs de fonds à ces groupuscules. Manipulés depuis l'étranger, les groupes salafistes, notamment ceux s'inspirant du courant madkhali, sont une réelle menace pour la sécurité nationale. Un financement occulte Il n'est un secret pour personne que l'islamisme se nourrit de l'argent de l'informel, quand il n'est pas directement financé par l'argent de la contrebande, des rackets, de la drogue et du trafic en tout genre. Le cas du salafisme écumant en Algérie est édifiant. Des sources très au fait de la question évoquent des financements étrangers. "Des preuves existent sur des financements occultes de l'activité salafiste", nous ont-elles affirmé, précisant qu'il a été vérifié que "les salafistes chargés de la Kabylie sont pris en charge directement par un Etat du Golfe". Nos sources ajoutent que le financement du salafisme vise à asseoir des territoires complètement acquis à cette idéologie, ce qui ne peut être considéré que comme une forme d'ingérence qui devrait en appeler aussi à des ripostes diplomatiques. Nos sources précisent que des hommes d'affaires nationaux servent de relais dans les opérations de financement des salafistes depuis l'étranger, autrement dit, ils servent de pourvoyeurs de fonds. "Des hommes d'affaires algériens sont des bailleurs de fonds des salafistes", affirment nos sources. Les cibles privilégiées Les salafistes agissent avec méthode. Une étude réalisée par le mécanisme d'évaluation et de lutte contre le salafisme sur le phénomène et son mode opératoire, fait ressortir que "le haut commandement" de l'action subversive salafiste a partagé le pays en zones. Les cibles privilégiées restent les régions où le mysticisme domine l'ordre spirituel. C'est ainsi que les régions de Kabylie, d'Adrar et de Tamanrasset sont considérées comme des zones "sensibles". Aussi, et au-delà de la profondeur religieuse qui les caractérise, ces régions sont d'abord réfractaires à la politique officielle. L'organigramme mis sur pied par les maîtres penseurs de l'action salafiste consiste, d'abord, en le partage des territoires en zones, ensuite, en la désignation d'un leader pour chacune d'elles, avec une hiérarchisation des responsabilités. Les salafistes sont également très actifs sur les réseaux sociaux. Leur méthode : susciter de la polémique et accentuer les clivages, régionaux et politiques. Cet activisme n'est pas fortuit. C'est un procédé en sorte que les salafistes exploitent à leur profit, en phagocytant et en pervertissant les débats. L'activisme salafiste n'ignore aucun espace. C'est ainsi qu'il a investi également l'espace médiatique où il agit de manière sournoise. L'étude citée précédemment a relevé des suggestions salafistes dans les programmes d'une télévision offshore. Une télévision, feront remarquer des spécialistes, qui "tente", notamment, avec le conflit irano-saoudien, "d'imprimer à sa ligne un soutien sans concession à l'Arabie saoudite. C'est une manière de rapprocher les téléspectateurs du bastion du salafisme". Par : Mohamed Mouloudj