Les médecins résidents ont réussi, hier, un véritable coup de force en battant le pavé dans les rues d'Alger-Centre. Ils étaient, en effet, plus de 1 000 manifestants à braver l'imposant dispositif sécuritaire déployé pour la circonstance. Un dispositif tellement impressionnant que la circulation automobile a été bloquée, toute la matinée, dans les grandes artères de la capitale, notamment les rues et les avenues menant à la Grande-Poste d'où la marche a démarré. Des résidents qui ont affiché une détermination inébranlable à braver l'interdiction qui frappe les manifestations de rue dans la capitale. Pour contourner et tromper la vigilance des forces de l'ordre déployées dès les premières heures du jour, les délégués du Camra ont annoncé, selon leur déclaration de la veille, l'organisation d'une manifestation pacifique d'envergure nationale sans donner de précisions quant au lieu de son déroulement. Cela pendant que, sur les réseaux sociaux, on faisait croire que la protestation allait avoir lieu, comme il y a 15 jours, à l'intérieur du CHU d'Alger. Mais la ruse a vite été décelée, puisque, le matin, au rond-point central de l'hôpital Mustapha-Pacha, rien n'indiquait qu'un rassemblement se préparait. Les médecins résidents n'étaient pas au rendez-vous. Mais les fourgons et les camions des brigades d'intervention rapide étaient là pour quadriller l'hôpital. Ce n'est que vers 9h30 qu'une information faisant état d'un rassemblement des blouses blanches à la Grande-Poste, fait le tour des rédactions. Les forces de sécurité ont dû se redéployer à la hâte. De gros fourgons, toutes sirènes hurlantes, se dirigent à vive allure vers la Grande-Poste. Premier réflexe des renforts de police ou plutôt première consigne : contrôler les manifestants et, du coup, bloquer l'accès à l'esplanade jouxtant l'emblématique édifice de la Grande-Poste. C'est dire combien l'alerte était maximale. Des véhicules de police sont stationnés tout le long de la rue Asselah-Hocine, de l'avenue Mohamed-Khemsiti et du boulevard Mustapha-Ben-Boulaïd. Tout est encerclé par des policiers en uniforme ou en civil. C'était à croire que tous les effectifs de la police avaient été mobilisés pour empêcher les médecins de marcher dans la capitale. Mais les futurs médecins spécialistes, venus des quatre coins du pays, étaient déterminés à faire entendre leur cause à travers les grandes artères d'Alger et, ainsi, envoyer des signaux forts aux hautes autorités du pays. En face de la Grande-Poste, environ trois cents résidents protestataires, assis à même le sol, étaient encerclés par des policiers antiémeutes lourdement équipés. D'autres manifestants, sans blouses blanches, surgissent de la rue Larbi-Ben-M'hidi pour tenter de rallier un autre carré de protestataires bloqué sur l'accotement qui débouche sur le boulevard Mustapha-Ben-Boulaïd. Des bousculades commencent alors, notamment quand des médecins tentent de franchir le cordon de sécurité de la police. Une police qui, cette fois-ci, n'a pas recouru à la matraque pour bloquer les médecins. Les policiers ont essayé de contenir les manifestants, mais sans violence. L'instruction a, certainement, été donnée de ne pas user de la matraque, pour ne pas rééditer les scènes de brutalité du 3 janvier dernier qui ont offusqué tous les Algériens et l'opinion internationale. Le bilan, établi ce jour-là, s'est élevé à 20 résidents blessés, selon le Camra. La police a fait également cas d'agents blessés. À l'avenue Asselah-Hocine, un autre groupe de résidents est cerné par des policiers dans le but de les empêcher de rejoindre leurs confrères immobilisés au boulevard Mohamed-Khemisti. En attendant de trouver une brèche pour rejoindre leurs confrères, des protestataires scandaient des slogans hostiles au ministre de la Santé : "Ya wazir, ya wazir (ministre), nous ne nous tairons que le jour où il y aura du changement." D'autres criaient : "Y en a marre, y en a marre", ou encore : "Résidents civilisés, pas besoin de sécurité." Vers 11 heures, des résidents, une centaine environ, qui scandaient : "Nous voulons une marche pacifique", tentent de franchir le cordon de sécurité. Ils y parviennent. Les policiers cèdent devant la témérité des manifestants. Il n'y aura pas d'affrontement, et ce, au grand soulagement de tout le monde. Devant l'APN, la situation a failli dégénérer Les résidents, dans un mouvement confus, gagnent le boulevard Mustapha-Ben-Boulaïd et cheminent jusqu'au boulevard Abane-Ramdane où des brigades antiémeutes surgissent pour les contrecarrer en face du tribunal Sidi M'hamed où ils ont marqué une longue halte, pour reprendre leur souffle et poursuivre leur marche jusqu'au siège de l'Assemblée nationale. Après avoir observé une pause tout en scandant d'autres slogans, les protestataires empruntent alors la rue de la Liberté et rallient le boulevard Zighoud-Youcef. Les policiers encadrent les marcheurs jusqu'à la placette aménagée en face de l'imposant siège de l'APN, complètement quadrillé. Alors que leurs collègues étaient parqués dans ce parvis qui offre une vue imprenable sur la gare ferroviaire d'Alger, une dizaine de résidents tente, une nouvelle fois, de défier l'imposant dispositif sécuritaire mis en place, pour pénétrer à l'intérieur de l'hémicycle Zighoud-Youcef. La situation a failli dégénérer. Des officiers supérieurs de la police, sans recourir à la matraque, interviennent pour ramener à la raison les médecins, en leur demandant de respecter le cordon de sécurité. "Nos chers médecins, vous êtes des intellectuels, il faut respecter les lois de la République", lancera un commissaire de police à l'adresse des délégués du Camra. Saisissant la présence des blouses blanches à proximité de leurs bureaux, des députés se proposent de plaider la cause des médecins grévistes. "Un parlementaire qui se réclame du Parti de Louisa Hanoune, est venu nous voir pour nous demander de désigner quelques délégués qui seront reçus au niveau du groupe parlementaire. D'autres députés représentant d'autres tendances politiques, nous ont, également, proposé de leur soumettre un courrier circonstancié résumant les revendications des médecins résidents", témoignera le Dr Belhi qui s'est montré satisfait de la manifestation d'hier lundi. "Nous avons atteint notre objectif : nous avons jeté aujourd'hui notre mouvement dans les rues d'Alger pour que le peuple saisisse la portée de notre cause. Nous nous battons d'abord pour notre dignité et ensuite pour améliorer le système de santé algérien de manière générale", ajoutera le Dr Belhi. D'autres résidents venus d'Oranie nous ont pris à témoin pour nous relater leurs pérégrinations avant de pouvoir rallier la Grande-Poste. "Ce matin, à l'aube, à l'entrée d'Alger depuis Boufarik, des policiers qui ont dressé des barrages, nous ont arrêtés et fouillés. Il y avait des confrères d'Oran, de Tlemcen et de Sidi Bel-Abbès. Cela n'a pas été facile de regagner le centre d'Alger. Tout est contrôlé. Mais, Dieu merci, nous avons réussi notre pari, à savoir crier notre colère dans les rues d'Alger. C'est une marche historique." Les résidents restent déterminés à poursuivre leur mouvement jusqu'à l'abrogation du caractère obligatoire du service civil. Hanafi H.