La sortie pouvait bien être inscrite dans le registre des discours rituels de circonstance, n'eût été le contexte national marqué par une espèce de paralysie politique, de marasme économique et d'effervescence sociale porteurs d'incertitudes. à Constantine, dimanche dernier, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense nationale, chef d'état-major de l'Armée nationale populaire (ANP), a insisté sur ce qui s'apparente à une sévère mise en garde. "L'Algérie est une ligne rouge, nous avons insisté maintes fois, et nous le rappelons, aujourd'hui, qu'il est absolument hors de question de toucher à sa sécurité ou aux ressources de son peuple... L'Algérie qui a souffert du joug du colonialisme, et dont le peuple a fait le serment de faire retentir, sous les yeux de son ennemi, une Révolution populaire globale et unanime, faisant ressortir la crème d'entre ses enfants en chouhadas et moudjahidine, qui ont arraché la liberté après de grands sacrifices", a indiqué Gaïd Salah lors d'une visite d'inspection à la 5e région militaire. Gaïd Salah, dont la "tournée des popotes" se poursuit à un rythme soutenu depuis plusieurs mois, a saisi l'opportunité de la célébration de la Fête de la victoire pour rappeler les "limites" que nul ne devrait se hasarder à outrepasser. Et cette mise en garde n'a pas manqué de faire réagir un parti comme le FFS qui n'a pas pour coutume, depuis quelque temps, de commenter de telles sorties. "Les parlementaires du FFS prennent acte de la dernière déclaration du vice-ministre de la Défense qui considère que l'Algérie est une ‘ligne rouge'" et "qu'il est hors de question de toucher à sa sécurité ou aux ressources de son peuple", a affirmé le parti dans une déclaration de son groupe parlementaire. Les parlementaires du FFS rappellent qu'"il y a longtemps qu'ils interpellent les tenants du pouvoir sur le fait que l'Algérie est une ligne rouge pour la majorité du peuple algérien, mais que les dysfonctionnements actuels de l'Etat et de sa gouvernance sont, aujourd'hui, plus que jamais une menace à la sécurité du pays et à son unité et sont la cause de la dilapidation des ressources du peuple par une oligarchie vorace qui a la main haute sur l'administration du pays". En filigrane, le FFS, qui "prend acte" de la "profession de foi" de l'armée, pointe du doigt les sphères qui risquent, à ses yeux, de mettre en péril la stabilité du pays. Il ne s'agit pas, suggère le FFS, de la "majorité du peuple" consciente des enjeux, mais que ce sont plutôt "les dysfonctionnements actuels de l'Etat et de sa gouvernance". Mais l'ANP, elle, à qui s'adresse-t-elle ? Début février, dans la foulée de la contestation des retraités de l'armée, elle avait riposté, via la revue El Djeïch, à "certaines plumes malintentionnées, utilisant des expressions volontairement mensongères, empreintes d'amalgames, ainsi que des interprétations orientées dans le but de semer le doute au sein de l'opinion publique et de susciter le trouble avec pour arrière-pensée de porter un coup au cœur des mutations qui ont cours au sein de l'institution Armée nationale populaire". "Ainsi et de temps à autre, chaque fois qu'il s'agit de l'institution militaire, certaines parties nourries par de mauvaises intentions et mues par des objectifs précis tentent de porter atteinte à l'image de l'ANP", avait écrit la revue. Si là, la cible de l'ANP est plus ou moins circonscrite, la récente sortie évoquant la "ligne rouge" apparaît encore plus diffuse. Faut-il y voir un message de réponse à la situation à Tamanrasset après le rassemblement des Touareg réclamant "le respect de l'autorité de l'Amenokal" et dénonçant "une marginalisation" ? S'agit-il de mettre en garde les acteurs des mouvements sociaux, notamment dans les secteurs de la santé et de l'éducation ? Ou Gaïd Salah cherche-t-il à rappeler à leur devoir les "responsables politiques" ? En tout cas, cette mise en garde suggère que l'armée n'est pas prête à supporter d'éventuels dérapages comme en 1988. Un rappel que semble appuyer le message de la Présidence. "La scène politique doit connaître une diversité, une confrontation de programmes et une course au pouvoir. Cependant, le devoir de tout un chacun est de contribuer à ce mouvement démocratique pluraliste en plaçant l'Algérie et les intérêts suprêmes de son peuple au-dessus de toute autre considération." Karim Kebir