Dans cet entretien, l'avocat des Ahmadis, Me Salah Dabouze, par ailleurs président d'une aile de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh), revient sur ces procès à répétition contre cette communauté religieuse qui n'est visiblement pas en odeur de sainteté auprès des autorités. Liberté : Comment expliquez-vous ces procès à répétition contre les Ahmadis ? Me Salah Dabouze : C'est une campagne déclenchée par les autorités et pilotée par le ministre des Affaires religieuses auquel on a confié la mission de mener la communication publique. Il s'est révélé maladroit dans ses déclarations en bafouant les lois de la République. Récemment, lors du colloque sur le rite malékite, au lieu de parler des vertus de la pensée de cette école et de la promouvoir, il s'est laissé aller à insulter les autres écoles. Selon lui, les autres écoles sont mauvaises et présentent des risques sur la sécurité religieuse du pays en évoquant la référence religieuse. Il présente les Ahmadis comme des "terroristes" alors qu'ils sont présents dans plusieurs dizaines de pays dans le monde. Il y a même un ministre ahmadi en Grande-Bretagne. Ce sont les musulmans les mieux connus dans le monde. En Algérie, ils sont poursuivis dans 31 wilayas alors qu'il n'y a aucun fait qui justifie les poursuites. Cela constitue une violation grave des droits de la citoyenneté et une violation de l'article 42 (*) de la Constitution. Dans son dernier message à l'occasion de Youm el-ilm, le président de la République a fait référence au sunnisme en relevant que "l'unité du peuple algérien sunnite" est, aujourd'hui, confrontée "à des idées qui nous sont complètement étrangères et à d'effrayantes thèses religieuses qui ont été, dans un passé très proche, source de fitna..." C'est un scandale. Personnellement, cela m'a profondément choqué. Pourquoi se réfère-t-il au sunnisme alors qu'il est censé être le Président de tous les Algériens ? Cela aurait pu se comprendre si c'était au Liban. Il n'a pas le droit de faire référence à une appartenance religieuse. C'est pourquoi, je dis qu'on doit continuer à militer pour séparer la religion de l'Etat, seul à même d'éviter ces dérives. Si ce message est bien celui du Président, cela signifie que la campagne anti-Ahmadi est ordonnée par les hautes autorités de l'Etat. S'il lui est attribué, c'est qu'il y a une manipulation quelque part, de quelque partie. L'attitude du pouvoir est à contresens des conventions internationales signées par l'Algérie. J'ai lu, il y a quelques jours, que les autorités algériennes sont sommées par des instances onusiennes d'apporter des clarifications quant à leur comportement vis-à-vis des Ahmadis. On croit savoir que vous avez remis votre mandat de président de la Laddh au conseil national... J'ai été honoré de présider la Ligue pendant quatre ans. Mon mandat devait expirer en décembre dernier en vertu des statuts. Je suis de ceux qui favorisent le renouveau et je suis hostile au cumul des mandats. Mais la question est discutée de façon sérieuse au sein du conseil national. Y a-t-il d'autres raisons ? Des pressions sur la Ligue ? La Ligue a subi des pressions depuis sa création. Nous avons pas moins de 10 militants, membres de la Ligue, qui ont des soucis avec la justice. Les pressions sont terribles sur la Ligue, mais nous sommes habitués. Je veux que la Ligue continue à travailler. Je ne peux pas en dire plus. (*) Art. 42— La liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables. La liberté d'exercice du culte est garantie dans le respect de la loi.