La production nationale de pomme de terre a baissé de 30 à 40% à cause notamment du mildiou, des pluies abondantes d'avril, ainsi que des semences qui seraient de mauvaise qualité. Le prix de la pomme de terre connaît ces jours-ci, une nette hausse frôlant le seuil symbolique des 90, voire 100 DA, le kilogramme dans certaines régions. Une flambée qui érode un peu plus le budget des ménages. à Bouira, une wilaya leader en matière de pomme de terre avec une production annuelle dépassant les 2,5 millions de quintaux réalisée par quelque 400 producteurs recensés, le prix de ce tubercule donne le vertige. Ainsi, depuis le début du mois en cours, la fourchette des prix est comprise entre 65 DA/kg pour la pomme de terre bas de gamme et 75 DA et plus pour celle de meilleure qualité. Le consommateur est pour ainsi dire mis devant le fait accompli et ne peut que se résoudre à mettre la main à la poche, sans pour autant s'empêcher de rouspéter. "C'est carrément du vol !". Cette phrase est pratiquement sur toutes les lèvres des consommateurs croisés au niveau des différents marchés de la ville. Les commerçants, quant à eux, avancent un argument qui fait mouche à chaque fois pour expliquer ce prix à la limite de l'indécence. "On achète le produit aux grossistes entre 65 et 70 DA pour le revendre à entre 75 et 80 DA. On a une marge bénéficiaire de 5 DA. Il faut bien qu'on fasse un minimum de profit", soulignent nombre de détaillants interrogés. Selon eux, actuellement ce tubercule se fait rare, ce qui expliquerait l'envolée de son prix. Une production en baisse Du côté des producteurs de pomme de terre, la période située entre les mois de juillet et août est une période dite de "flottement" entre l'arrière-saison et la production de saison. "Toute la production d'arrière-saison a été écoulée et nous sommes en train de préparer la terre pour la campagne de septembre", explique Kamel Dahmani, producteur au niveau de la commune d'El-Esnam. Il faut dire qu'actuellement tous les champs destinés à la culture de la pomme de terre ont des allures de terrain vague. Pas un tubercule à l'horizon. Interrogé au sujet du prix auquel il cède sa marchandise, M. Dahmani dira "entre 35 et 42 DA/kg, pas un centime de plus". Et d'ajouter : "On travaille quasiment à perte et tout ce qui se dit sur les producteurs n'est que pures affabulations." Selon lui, la production de cette année est loin d'être fameuse, car impactée par les pluies tardives et le mildiou. Ainsi, et selon d'autres d'agriculteurs tel Bachir Messaoudi, le mildiou a été causé par les pluies tardives et abondantes qui se sont abattues sur la région. "Ma production a été affectée à hauteur de 30% avec une perte nette qui se chiffre à plus de 300 millions de centimes", a-t-il affirmé. Pour la plupart des producteurs interrogés, la baisse de production à Bouira avoisine les 25%. Mais comment peut-on passer d'un prix d'achat brut estimé entre 42 et 45 DA le kilogramme à 80, voire 90DA/kg chez le commerçant dans certaines villes ? À cette question, la plupart de nos interlocuteurs ont désigné un seul et unique coupable à leurs yeux : les spéculateurs. "Ces parasites (spéculateurs, ndlr) imposent leur loi à tout le monde et défient l'Etat", nous a-t-on affirmé. Les spéculateurs à l'affût Cet avis est partagé également par Hacene Guedmani, président national du conseil interprofessionnel de la filière pomme de terre. Pour ce dernier, il est "inconcevable" d'avoir un tel écart entre le producteur et le consommateur final. "Sincèrement je suis stupéfait de constater qu'il peut y avoir 30 à 40 DA d'écart entre le prix de vente du producteur et le consommateur. Nous faisons réellement face à une folie spéculative très dangereuse", a-t-il déploré. Selon M. Guedmani, le producteur de pomme de terre ne perçoit que 10 à 15 DA de bénéfice par kilo, ce qui est, selon ses dires, "insignifiant" par rapport au prix pratiqué. Pour mieux étayer ses propos et mettre en exergue le "rôle" des spéculateurs dans cette affaire, Hacene Guedmani dira qu'il y a des "personnes occultes" qui manipulent le marché au gré des crises. "Actuellement nous faisons face à une certaine baisse de la production et à un retard de la pomme de terre de l'arrière-saison et certains cercles occultes profitent de l'occasion pour spéculer", a-t-il, en outre, affirmé. Interrogé à propos d'une hypothétique baisse des prix, le président du conseil interprofessionnel de la filière pomme de terre s'est montré nuancé. "Nous prévoyons la stabilisation des prix, mais pas une baisse. Il ne faut pas s'attendre à des prix à moins de 40 DA", a-t-il indiqué. Pour lui, les nouvelles récoltes qui vont être mises, incessamment, sur le marché par les producteurs des wilayas des Hauts-Plateaux, à l'instar de Sétif, de Tébessa, de Tiaret et d'Aïn Defla, vont contribuer à stabiliser les prix, en attendant la production de janvier. L'Onilev au banc des accusés Mais au cours de cette période de flottement, un organisme, en l'occurrence l'Office national interprofessionnel des légumes et viandes (Onilev), le successeur du Système de régulation des produits de large consommation (Syrpalac), devrait en principe déstocker la pomme de terre emmagasinée. Et à Bouira, selon la Direction des services agricoles (DSA), la capacité de stockage est estimée à 200 tonnes et devrait atteindre à court terme les 250 tonnes. Or dans les faits, et à en croire M. Mustapha Bouzini, vice-président du conseil interprofessionnel de la filière pomme de terre, le stockage est "limité" à 100 tonnes. "Les affirmations du DSA et autres responsables des Directions de l'agriculture à travers le pays sont farfelues. À Bouira, malgré une capacité de stockage sur papier de 100 tonnes, nous sommes contraints de stocker 100 tonnes et pas plus", affirmera M. Bouzini. Ce dernier a, en outre, dénoncé le "dumping" de l'Onilev, le considérant carrément comme un "concurrent déloyal". "Il y a une défaillance manifeste au niveau de cet office", a-t-il assené. Et d'ajouter : "Les responsables de cet organisme (Onilev, ndlr) n'ont pour l'heure montré aucun intérêt pour notre marchandise", a-t-il regretté. "Déstocker, mais quoi ?" Selon Akli Moussouni, expert agronome et chercheur en développement durable, la filière de la pomme de terre, ainsi que les autres filières de légumes et de viandes rouge et blanche "n'ont jamais été organisées dans un cadre économique viable". Pour lui, le consommateur paie actuellement la lourde facture d'une gestion archaïque et purement administrative. "La filière de la pomme de terre a été gérée avec une incompétence et un amateurisme sans égal", a-t-il tranché d'emblée. Cet expert fera savoir que la production nationale de pomme de terre a baissé de 30 à 40% à cause notamment du mildiou, les pluies abondantes d'avril, ainsi que des semences qu'il a qualifiées de mauvaise qualité. "Le traitement contre le mildiou a été effectué avec des produits désuets, ce qui explique sa résistance et les semences de cette année sont de mauvaise qualité. D'ailleurs, selon une étude que j'ai menée, elles donnent au maximum 8 à 12 quintaux à l'hectare, alors qu'avec les semences des années précédentes, on pouvait atteindre les 20 à 30 quintaux à l'hectare", a-t-il affirmé. Selon notre interlocuteur, si on ajoute les pertes liées à l'arrachage et aux petits calibrages des pommes de terre, les pertes de production atteignent les 15 à 20%. "Le consommateur actuellement, et en conséquence, paie sa patate à 100% du prix de revient", a-t-il estimé. Mieux encore, et selon M. Moussouni, les pouvoirs publics tentent de "berner" l'opinion publique, en promettant un déstockage rapide. "Il faut cesser de mentir au peuple ! Il n'y aura pas de déstockage de masse, du moment qu'il n'y pas eu de production qui a été stockée à la base (...) c'est là où mon propos de gestion hasardeuse prend tout son sens. On colmate à tout va, dans un navire qui coule à pic !" Un brin ironique, cet expert indiquera qu'"heureusement" le pouvoir d'achat des ménages est en berne et que ces derniers font plus attention à leur porte-monnaie, sinon selon lui, les prix auraient été plus élevés. "Une simple maladie et des conditions climatiques désavantageuses ont suffi à mettre à nu la défaillance de toute une politique de gestion basées sur l'archaïsme et la politique politicienne", a-t-il conclu. RAMDANE BOURAHLA