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Mouloud Mammeri, le savoir et le savoir-être
Il nous quittait il y a trente ans
Publié dans Liberté le 26 - 02 - 2019

La première fois que je le rencontrai, ce fut durant l'année universitaire 1965-1966. Il assurait de manière semi-officielle un cours de berbère à une douzaine d'étudiants, dont j'étais du nombre.
"Eh bien alors", me dit-il, avec son sourire mi-complaisant, mi-moqueur, et son inclination, toute latine, à la formule lapidaire, "bon Dakar !" Il, c'était Mouloud Mammeri. La scène se passait à El-Biar, dans l'agence d'Air Algérie. C'était la mi-février de l'année 1989. Je quittais le guichet au moment où il s'y présenta. Cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus. Et nous fûmes, l'un et l'autre, ravis de nous retrouver. Il m'apprit ainsi qu'il était en partance pour un colloque à Oujda ; je lui appris que je partais moi-même pour un autre colloque, à Dakar. "Eh bien alors, bon Dakar !" À mon tour, je lui souhaitai bon voyage et sortis. J'étais loin de me douter que je venais de l'entendre et de le voir pour la dernière fois. Lorsque j'appris son décès dans un accident de la route en ce funeste 26 février 1989, j'en fus atterré. Et intrigué. Il devait se rendre à Oujda par la voie des airs. Par quelle ironie du sort avait-il fallu que son ‘‘itinéraire de lucidité''(1) se terminât ainsi par cette funeste nuit d'orage ? Avait-il changé d'avis ? Pour quelle raison ? Rechignait-il à faire le long détour par Casablanca alors qu'Oujda n'était qu'à quelques encablures de la frontière algérienne ? "Teččur-as", me répétai-je, faute de réponse à mes lancinantes interrogations. Ce ne fut que quelques mois plus tard qu'un collègue américain, Eric Sellin(2), qui était également présent à Oujda, m'apprit qu'il avait reproché à Mammeri d'avoir entrepris ce long périple, à son âge, sur sa frêle 205 Peugeot. "J'avais un billet supplémentaire", me dit-il, "et insistai pour qu'il rentre avec moi à Alger par avion. La voiture, quant à elle, aurait été ramenée à Alger par un des jeunes Algériens, présents au colloque, qui rentraient par Tlemcen. Mais il ne voulait rien entendre", conclut-il, avec un léger tremblement dans la voix. Je compris alors que l'amphore de sa vie était effectivement pleine à ras bord et qu'elle allait se fracasser contre un fatidique tronc d'arbre dans la froidure de furar.
Et aujourd'hui encore, en ce matin envahi de brumes et de gelées de la mi-février 2019, je vois jaillir, comme fulgurances vives, ces moments chaleureux de partage de savoir et de savoir-être, que j'eus l'insigne privilège de vivre à ses côtés, comme élève d'abord, puis comme collègue, à l'université d'Alger.
La première fois que je le rencontrai, ce fut durant l'année universitaire 1965-1966. Il assurait – de manière semi-officielle – un cours de berbère à une douzaine d'étudiants, dont j'étais du nombre. Trois d'entre nous étaient exclusivement arabophones. Et Mammeri recourait parfois à la graphie arabe pour faire saisir un point de grammaire ou de prononciation. Il nous faisait travailler essentiellement sur la transcription et la traduction des poèmes de Si Mohand Ou Mhand. Je me souviens encore des discussions que nous avions pour faire ressortir la nuance qui pouvait exister entre isuɣ et yuɣwas(3). Et j'imaginais, à la déclamation et à la scansion des vers, le déchirement ressenti par Si Mohand, exilé à Annaba, en voyant s'éloigner du quai, le caboteur qui allait ramener – sans lui ! – les ouvriers kabyles vers Azeffoun. Et je me souviens encore avoir été interpellé par l'actualité brûlante de ce tercet :
Berzidan ittusamma d
Slqanun yusa d
Zzwamel ɣers mmizwaren(4)
À vrai dire, pour nous à l'époque, la poésie était loin d'être de la "littérature". Nous venions d'horizons divers ; mais nous étions tous conscients de la nécessité de sauvegarder un patrimoine inestimable menacé de déshérence. Et la maïeutique débonnaire de notre maître nous permit de garder le cap.Décembre 1969, au Cercle du Grand Maghreb, à Alger. Mammeri était l'un des invités, venus assister à la remise par Mohammed Seddik Benyahia, alors ministre de l'Information et de la Culture, du Prix national Reda Houhou de la nouvelle. (Voir photo). Bagtache Merzak eut le premier prix pour la langue arabe et j'eus l'équivalent pour la langue française. Je n'étais pas peu fier ; mais ce qui me toucha le plus furent les encouragements chaleureux que Dda L'Mulud me prodigua à la fin de la cérémonie. Ce ne fut que le lendemain que j'appris par la presse qu'il avait été membre du jury ; jury qui se composait également de Mohammed Salah Dembri, Zoheir Ihaddaden et Malek Haddad. Une ou deux années plus tard, il me fit venir au CRAPE. "J'ai une surprise pour toi", m'avait-il soufflé avec un clin d'œil complice. La surprise, ce n'était pas seulement la traduction de ma nouvelle en russe par les Editions de Moscou mais ma photo, grossièrement retouchée en quatrième de couverture. "Te voilà affublé d'une moustache de corsaire barbaresque par la grâce de quelque orientaliste attardé de l'Union des écrivains soviétiques !", s'exclama-t-il dans son bon rire franc. Il était moins enjoué lorsque nous nous revîmes en 1973. Nous étions sept ou huit ‘disciples' réunis par lui en son domicile, au haut du Telemly. Il nous apprit l'interdiction qui lui avait été faite d'enseigner le berbère – même pas sous le couvert de l'ethnologie (cette matière ayant été déjà supprimée des programmes dans le sillage du Festival culturel panafricain de 1969). Il énuméra les diverses démarches qu'il avait entreprises pour faire cesser cet ostracisme. Il était particulièrement déçu, mais pas du tout surpris, par la réponse que lui fit un ancien chef de la Wilaya III (5) : "Cessez donc de marcher sur les travées des pères blancs ! Ce ne sont là que manœuvres de division destinées à affaiblir l'islam !" Nous étions outrés et perplexes. Que faire ? Ce fut notre aîné à tous, Mohand Saïd Lechani (6), qui nous indiqua la voie à suivre. Les quelques paroles qu'il prononça nous firent prendre conscience de la profondeur historique de la résilience identitaire ; et que celle-ci était inséparable de la longue marche vers la modernité et la démocratie dans l'Algérie nouvelle. Les cours de berbère reprirent de plus belle avec une audience accrue et militante (7). Ce fut le premier revers infligé aux tenants du monolithisme. Portée et amplifiée par la nouvelle fournée d'étudiants, la lutte solitaire et têtue de Mammeri allait se transformer en un vaste mouvement populaire qui allait, au prix du sang et des larmes, balayer les écueils placés par les faussaires de l'Histoire sur la voie d'une algérianité pleine et entière.
28 février 1989. L'amarḍil (8) lugubre avait fait place à un soleil printanier. Les doigts enneigés de Talleṯaṭ, là-bas du côté du col de Kouilal, jetaient des reflets d'argent dans un ciel d'azur. Des bourgeons précoces apparaissaient sur les cerisiers qui parsemaient les pentes remontant vers Taourirt Mimoun. Taourirt Mimoun qui donna naissance à Mouloud Mammeri et qui allait bientôt le reprendre en son sein. Par tous "les chemins qui montent" (9), les siens arrivaient par milliers pour les dernières retrouvailles. Hommes, femmes, enfants remontaient des vallées, descendaient des collines, occupaient les crêtes. Comme une avalanche, ils dévalaient des contreforts du Djurdjura. Comme une houle écumante, ils déferlaient de Béjaïa. Comme un immense haïk jonché de jasmins, ils arrivaient de L'Dzaïr Mezghenna. Comme une tempête de sable, ils accouraient du Hoggar et d'Ouargla, du M'zab et du Gourara. Oui, ils venaient tous ; de Constantine et de Annaba, de Sétif et du mont Chelia, d'Oran et de Beni Snous, de l'Ouarsenis et de Tipasa, de Blida et du mont Chréa ; et de plus loin encore, du Rif et du Moyen-Atlas, de l'Edough et de Djerba. Ils arrivaient, unis et solidaires, des quatre points cardinaux de Tamazgha. Ils venaient accompagner, pour son dernier voyage, celui qui n'avait que la foi en tamazight pour viatique et qui ralluma, au plus profond de leur être, la flamme inextinguible de Tirrugwza. Repose de ton "sommeil du juste" Dda L'Mulud. L'asalu (10) que tu traças, jamais ne désemplira. Inchallah !
Aït Oumalou, février 2019.
(*) Professeur honoraire.
Notes
1. L'expression est de Mammeri lui-même.
2. Eric Sellin était Fulbright Professor à l'université d'Alger. Ce fut lui qui initia un programme d'échange d'enseignants entre l'université d'Alger et l'université Temple de Philadelphie. Il est, avec Mildred Mortimer, un spécialiste américain de la littérature algérienne de graphie française.
3. Isuɣ et yuɣwzas
Sliɣ i lbabur isuɣ.
J'écoutais hurler le bateau.
Idewwer lbabbur yuɣwzas.
Le bateau a viré de bord et hurlé.
cf. Mouloud Mammeri, Les Isefra, poèmes de Si Mohand Ou Mhand (Paris : Maspero, 1969) pp. 230 et 231.
J'estime encore aujourd'hui que la traduction peut être améliorée.
4. On a nommé un président
Il est venu officiellement
Et les crapules de courir à qui mieux mieux vers lui.
(Ibid, Les Isefra, pp. 150 et 151.)
Là encore la traduction peut être améliorée.
5. On le retrouve caricaturé sous les traits du capitaine Si Zoubir, dans La Traversée.
6. Pédagogue, syndicaliste, homme politique, Mohand Saïd Lechani (1895-1985) fut de toutes les luttes dans l'Algérie colonisée. Sa vie et son œuvre gagneraient à être connues par les jeunes d'aujourd'hui.
7. Ils se déroulaient, non plus dans une salle de TD du département des sciences humaines mais à l'amphi B de la faculté des lettres. Et c'est là que Salem Chaker prit courageusement la relève de Mammeri, malgré brimades et harcèlements.
8. Journée prêtée par yennayer à furar pour lui permettre de prendre sa revanche sur la mégère qui croyait, à tort, qu'elle avait survécu à l'hiver et s'en vantait outrageusement.
9. Titre d'un roman de Mouloud Feraoun.
10. Chemin ouvert dans la neige traîtresse par le plus expérimenté du village (en haute montagne) pour permettre aux villageois de marcher dans ses pas et échapper ainsi à l'isolement.


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