Dans ce troisième essai de l'auteur tchèque, Milan Kundera, intitulé Le Rideau, on retrouve quelques thèmes récurrents abordés lors des deux premiers essais. Mais, ici, ils sont plus approfondis, à la lumière des nouvelles lectures et de l'hostilité qui l'oppose à certains critiques, depuis qu'il a choisi le français comme langue d'écriture. D'emblée, Le Rideau sonne comme la fin d'une époque ou la fin d'une carrière. Une sorte de testament de l'auteur qui, par le biais de cette œuvre, tente de tirer sa révérence. En effet, après son huitième roman, l'Immortalité, Kundera faisait l'aveu qu'il n'avait plus rien à dire après ça, et que son œuvre est derrière lui. Sur insistance de son éditeur, il est revenu sur sa décision en commettant trois autres romans, sans qu'ils reçoivent l'accueil escompté. Dans cet essai, Kundera continue de défendre la chapelle du roman qu'il considère comme le maître des arts, alors que, historiquement, selon lui, il est né de façon fortuite. Les précurseurs n'ont jamais eu la prétention de fonder un nouveau territoire avec des valeurs esthétiques et spécifiques inédites. Kundera attribue cela au hasard, car la genèse de n'importe quel art est toujours inconsciente. Et ce n'est qu'après bien des siècles que cette fondation prend forme avec le cumul des différents systèmes narratifs. C'est ainsi que le premier romancier par excellence, selon Kundera, reste Miguel de Cervantès, l'auteur du monumental Don Quichotte. Ce dernier est parti avec l'idée d'écrire une satire sur les histoires épiques, qui avaient le vent en poupe dans la péninsule ibérique, avant que les théoriciens de la littérature n'arrivent à la conclusion que l'histoire du chevalier à la triste figure recèle tous les ingrédients d'un art : le roman. Ensuite, l'auteur revient sur le principe de la continuité dans une œuvre artistique. Ce principe de la continuité est la marque de fabrique de chaque artiste ou de chaque écrivain. Ce sont tous les indices esthétiques spécifiques qui nous permettent d'attribuer tel roman à tel auteur, à la première lecture, sans se tromper. Le troisième thème abordé par Kundera, c'est ce qu'il nomme “le provincialisme en littérature”, en opposition à la mondialisation ou à la culture dominante. Dans ce petit village terrestre, où les normes se standardisent et les choses s'uniformisent, il n'y a que le roman qui arrive à résister. C'est pour cette raison qu'on trouve, jusqu'à présent, une littérature sud- américaine, française, algérienne... Pour finir, Kundera n'oublie pas de faire un plaidoyer en faveur du rattachement de son pays d'origine à l'Europe occidental. Dans cet essai, Kundera garde toujours une vision européocentriste très réductrice et qu'étant un grand lecteur, il a le devoir de s'ouvrir sur les autres littératures, car elles existent et peuvent elles aussi séduire les plus exigeants. Le Rideau de Milan Kundera, éditions Gallimard, Paris, avril 2005. Slimane Aït Sidhoum