Beaucoup de nos ressortissants installés en France vivent dans l'espoir d'une réouverture prochaine de l'espace Schengen. D'autres ont renoncé carrément à leur voyage, par peur de rester bloqués au pays, en cas de nouvelle dégradation de la situation épidémiologique. à l'Agence de La Goutte d'Or, à Barbès, dans le cœur de Paris, des clients viennent tous les jours aux nouvelles. La plupart sont détenteurs d'un billet d'avion pour un voyage en Algérie, cet été. Comme chaque année, Mohand a réservé des places à des prix encore raisonnables, pour lui et sa famille, dès le mois de janvier. Très ordonné, il avait tout prévu, sauf l'épidémie du coronavirus qui a conduit à la suspension du trafic aérien entre la France et l'Algérie. "Je me retrouve avec cinq billets qui risquent de ne pas servir", déplore ce père de famille qui a pris l'habitude au fil des années, de passer une partie de la saison estivale en Kabylie. à La Goutte d'Or, personne n'est capable de le renseigner. "Nous sommes dans l'expectative", explique le gérant. Son enseigne, ouverte il y a cinquante ans, compte une clientèle fidèle, composée essentiellement de vieux émigrés pour qui le retour au pays, en vacances, commence comme un rituel, par l'achat des billets d'avion. À Barbès, d'autres voyagistes ont pignon sur rue. El Djazaïr, Sahel, Soleil.... Contraintes de fermer durant l'épidémie, les agences du quartier rouvrent une à une, en affichant des pertes incommensurables de leurs chiffres d'affaires. En temps normal, La Goutte d'Or vend des centaines de billets d'avion en prévision de la saison estivale, principalement à destination de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie. Mais depuis date du début du confinement en France (16 mars), c'est la dèche. Pour garder ses quatre employés, le propriétaire a dû diminuer leurs salaires. "Pour le moment, nous tenons, mais jusqu'à quand ?", s'interroge-t-il. Le risque de faillite pourrait devenir réel si le trafic aérien ne reprend pas rapidement. Alors à Barbès, tout le monde est suspendu aux lèvres des politiques, des deux côtés de la Méditerranée. "On parle ici en France de la levée des restrictions de déplacement hors espace Schengen, le 1er juillet prochain. L'Algérie pourrait aussi à ce moment-là annoncer la réouverture de ses frontières", espère Hafida qui a prévu, avec son époux, de partir en Algérie le 17 juillet. En février dernier, elle avait acheté quatre billets en ligne sur le site de la compagnie aérienne nationale, pour le prix de 1 000 euros. Ses deux enfants, encore en bas âge, ont toujours hâte de retrouver leurs cousins pour l'été au bord de la mer. "Nous nous privons pour pouvoir leur offrir ce voyage", fait savoir la maman. Des dizaines de milliers d'expatriés en France retournent en Algérie chaque année, dont une grande partie pour les vacances estivales. Certains prennent l'avion, d'autres le bateau, comme Kader, un habitant de la région parisienne. Tous les ans, il embarque femme et enfants dans sa voiture puis roule jusqu'à Marseille pour voyger sur un paquebot de l'Entreprise nationale de transport maritime (ENTMV). "L'air de la Méditerranée me donne à chaque fois le vertige. Dès que je vois la mer, je me sens déjà à Oran", médite ce père de famille très nostalgique. Happé par ses souvenirs de vacances, il relate ses longues parties de pêche avec ses copains, les virées en famille sur les plages de Mostaganem, l'ambiance des noces, ses parents qui lui manquent terriblement. Habituellement, eux aussi, viennent lui rendre visite, généralement au printemps. Mais pas cette fois. "Je les rassure au téléphone, en leur disant que les liaisons maritimes pourraient reprendre bientôt. Sauf que personne ne dispose d'informations fiables pour le moment", souligne Kader. Constamment à l'affût, il consulte régulièrement les sites des compagnies de transport pour s'enquérir des nouvelles. Sur la page d'accueil d'Algérie Ferries figure toujours le même communiqué rendu public en mars pour avertir la clientèle de la suspension des liaisons maritimes. "J'ai essayé de joindre les bureaux de la compagnie à Paris, mais ils sont fermés", révèle l'infortuné voyageur. Hafida et son mari ont tenté à plusieurs reprises d'appeler l'agence d'Air Algérie qui se trouve sur le boulevard de l'Opéra. En vain. "Je tombe constamment sur un message vocal qui indique que l'agence est momentanément fermée", se plaint la mère de famille. Samir, étudiant à l'université de la Seine Saint-Denis, a eu plus de chance. "Après plusieurs tentatives, un agent m'a répondu pour me dire que les vols vont probablement reprendre le 1er juillet. Les réservations sont d'ailleurs ouvertes en ligne à partir de cette date", précise notre interlocuteur. Indécis, le jeune homme ne sait pas s'il doit acheter d'ores et déjà un billet pour un départ au mois d'août ou s'il faut attendre une éventuelle annonce. "Les offres promotionnelles sont assez alléchantes et je suis tenté", commente-t-il. Pour rassurer les clients qui ont réservé avant la suspension du trafic aérien, Air Algérie leur a fait savoir que leurs titres de voyage resteront valables jusqu'au 30 juin 2021. Air France propose également aux détenteurs de billets des bons d'achat valables sur l'ensemble de son prochain programme de vol, ici la fin de l'année prochaine. Cependant, dans le lot des voyageurs figurent ceux qui ont définitivement renoncé à partir en vacances en Algérie et qui exigent d'être remboursés. Après une mise en garde de la Commission européenne, Air France a finalement accepté de rembourser les clients qui ne désirent pas avoir de bons d'achat. Mais elle a indiqué que les opérations de remboursement pourront prendre beaucoup de temps, jusqu'à une année, compte tenu de l'ampleur des demandes. Nabila, qui a réservé des places sur deux vols aller-retour, avec escales (Paris-Madrid-Alger) sur Iberia s'est retrouvé dans une situation ubuesque. La compagnie espagnole lui a envoyé un mail début juin pour l'informer que le trajet Madrid-Alger, prévu le 12 juillet, avait été annulé et qu'elle doit joindre le service clientèle pour changer la date de son départ ou demander un remboursement. Au bout d'une heure d'attente sur un numéro payant, l'Algérienne, ingénieur de profession, est parvenue à avoir un agent au bout du fil. Celui-ci lui a fait savoir, sans certitude, qu'Iberia pourrait rouvrir ses dessertes vers l'Algérie à partir du mois d'Aout ou septembre. "Il m'a demandé de faire une nouvelle réservation sans m'assure r que les vols reprendront vraiment", raconte Nabila. Finalement, la compagnie a accepté de la rembourser mais elle ne sait pas quand son argent lui sera restituer. Yasmina et Farid, parents d'un petit Lyes, 8 ans, cherchent aussi à se faire rembourser. "Avec cette histoire de coronavirus, on ne sait pas ce qui va se passer. Nous avons peur d'être bloqués en Algérie si les frontières sont de nouveau fermées. Je connais des personnes qui sont encore coincées là-bas depuis mars", craint Farid. Yasmina renchérit en indiquant que le risque est gros. "La situation sanitaire n'est pas totalement maîtrisée. Rester en Algérie, malgré nous, pourrait nous coûter notre emploi, faire rater à notre fils sa rentrée scolaire et chambouler totalement notre vie", détaille-t-elle. En France, le gouvernement conseille vivement à la population d'opter pour des vacances à l'intérieur du territoire. Un sondage a révélé récemment que 32% seulement des personnes interrogées ont l'intention de prendre l'avion cet été et 18% espèrent aller vers des pays se trouvant hors espace Schengen.