La normalisation des relations israélo-émiraties a provoqué des réactions divergentes, entre soutien et rejet de l'accord conclu entre Tel-Aviv et Abou Dhabi jeudi, certains le qualifiant d'"historique" et d'autres de "trahison" de la cause palestinienne. Si la Palestine est considérée comme la "grande perdante", l'accord en question est loin de concerner la seule Palestine, selon Amina Rabahi, professeure en Sciences politiques à l'Université d'Alger 3. Liberté : La normalisation des relations entre les Emirats et Israël a été qualifiée de trahison par la Palestine. Est-ce vraiment le cas ? Rabahi Amina : La normalisation des relations entre Israël et les Emirats arabes unis (EAU), qui sera actée en septembre à Washington (La grande trahison), a surpris tout le monde, même si l'existence de relations officieuses était connue en Israël et dans les Emirats. Politiciens, militaires et hommes d'affaires des deux pays se rencontrent régulièrement à Dubaï ou ailleurs. L'industrie militaire israélienne fournit du matériel militaire à l'armée émirienne et ces dernières années, des sportifs israéliens ont été autorisés à participer à des compétitions aux Emirats. Les Emirats arabes unis s'efforcent de présenter cela comme une sorte de sacrifice pour la Palestine, alors qu'ils trahissent la cause palestinienne pour servir leurs petits intérêts. Car Israël, avec cet accord, n'a pas renoncé, mais il a apporté la paix et garanti l'accès au marché de Golfe. Malheureusement, cet accord est un coup de poignard dans le dos des Palestiniens qui se sentent abandonnés, car l'annexion est envisagée. Qu'est-ce qui justifie la démarche des Emirats pour normaliser ses relations avec Israël, en dehors de l'arrêt du plan d'annexion israélien que Tel-Aviv a vite démenti d'ailleurs ? Cette normalisation pourrait probablement ouvrir la porte à des accords de paix avec d'autres pays arabes comme Bahreïn et même l'Arabie saoudite qui partagent l'ennemi commun avec l'Etat hébreu : Téhéran. Cet accord vise à isoler l'Iran dans la région et à l'encercler de toute part, même si dans les relations internationales, tous les scénarios sont possibles. Car, il y a aussi la Turquie qui peut se constituer comme un allié de Téhéran, même si cette hypothèse est d'un faible pourcentage, parce que chacun de ses deux pays a ses propres ambitions et agenda dans la région. Le véritable perdant reste donc la Palestine. Israël acceptera-t-il, avec cette normalisation, l'abandon de son plan d'annexion d'une partie de la Cisjordanie occupée et revenir aux frontières de 1967 ? Jamais. L'annonce du prochain accord n'exige aucune concession de la part de l'Etat juif hormis la suspension d'un processus d'annexion de la Cisjordanie qui n'avait pas encore débuté. "Un accord a été trouvé pour mettre fin à toute annexion supplémentaire", a affirmé le prince héritier, Mohammed ben Zayed al-Nahyane. Sauf que le Premier ministre israélien a martelé le contraire, en affirmant qu'Israël avait "reporté", mais "pas renoncé". "J'ai apporté la paix, je réaliserai l'annexion", a résumé Benjamin Netanyahu. Israël passera à l'acte II de son plan d'annexion, une fois qu'il aura réalisé son plan de paix et de normalisation de ses relations avec les autres pays arabes de la région. En dehors du conflit israélo-palestinien, que cache ce processus de normalisation des relations entre Israël et les pays arabes ? L'occupant israélien n'a pas l'intention de s'arrêter à la normalisation de ses relations avec les Emirats arabes seulement. Il compte le faire également avec les autres pays arabes de la région, comme le Bahreïn et l'Arabie saoudite. Quelles sont ses implications sur le plan régional ? La normalisation risque de remodeler le contexte politique de la région. Cela modifierait profondément les équilibres géopolitiques au Proche-Orient en rompant définitivement l'isolement d'Israël dans la région et en renforçant sa position face à l'Iran, et le rapport de force est pour l'instant du côté d'Israël, même si les Iraniens s'efforcent de dire le contraire et de qualifier cet accord de "stupidité stratégique". Les Israéliens vont poursuivre leur plan dans l'ensemble de la région, en poussant à la scission de la Syrie. Sur le plan économique, l'accord va permettre à Israël de devenir la première puissance économique dans la région, en développant son tourisme local. Il y a aussi l'enjeu pétrolier dans cette région qui regorge d'importantes réserves. Tel-Aviv pourra s'intégrer dans ce marché pétrolier et gazier grâce cet accord, sans oublier l'accès à l'investissement dans le domaine du nucléaire dont va bénéficier Israël. D'autres pays arabes sont sur les pas des EAU, de l'Egypte et de la Jordanie. Cela signifie-t-il que la cause palestinienne a perdu définitivement sa guerre ? La cause palestinienne n'a pas perdu sa guerre, mais un allié de taille qu'est Abou Dhabi. La cause est toujours là. Le problème qui se pose maintenant, c'est celui du financement de la Palestine en tant que cause et institutions. Avec la normalisation de leurs relations avec Israël, les Emirats arabes unis, l'Egypte, la Jordanie, l'Arabie saoudite et Bahreïn vont-ils continuer à assurer leurs aides financières aux Palestiniens ? Les pays du Golfe ne se sont jamais impliqués dans les conflits armés israélo-palestiniens, mais ils ont apporté leur aide financière qui risque aujourd'hui de s'interrompre. Cela risque évidemment de compromettre la création d'un véritable Etat palestinien, tel qu'envisagé par les Palestiniens. Car, les pays arabes sont aujourd'hui affaiblis par la guerre, la crise économique et les crises politiques internes. En résumé, c'est le plan de paix américain, tel que proposé par Donald Trump, qui est en train d'être progressivement mis en place. Ce processus de normalisation est sa première phase. Entretien réalisé par : Lyès Menacer