Le malaise dont a été victime Abdelmadjid Sellini lors du procès en appel de l'affaire Sovac a mis en colère la corporation des avocats. Ils décident de boycotter les tribunaux d'Alger durant une semaine en signe de protestation contre ce qu'ils qualifient "d'humiliation du bâtonnier d'Alger". Les avocats inscrits au barreau d'Alger ne décolèrent pas. Hier, les membres du collectif de défense de Mourad Oulmi, ancien patron de Sovac, renforcés par nombre de leurs confrères, ont exprimé leur révolte dans l'enceinte de la Cour d'appel après récidive du président de la première chambre pénale à ne pas prendre en compte leur requête portant renvoi du procès. Selon Me Hafid Tamert, la demande a été motivée par deux raisons : l'absence de plusieurs membres du collectif de défense, dont Me Sellini en convalescence, et le refus de plaider en protestation contre "l'humiliation dont a été victime le bâtonnier d'Alger jeudi dernier". Le juge de siège s'est astreint à permettre aux accusés de prononcer leurs "derniers mots", puis a mis l'affaire en délibéré pour le 30 septembre 2020. Il a quitté la salle sans un regard en direction de avocats. Furieux, ils ont investi le grand hall du Palais de justice en criant : "Barakat barakat min kadhaa taâlimat" (Nous en avons assez de la justice aux ordres) ; "Nous exigeons la démission du ministre de la Justice". Des membres du Conseil de l'Ordre des avocats d'Alger — une trentaine selon nos sources — ont presque simultanément pris attache avec le président de la Cour d'appel. Ils ont dénoncé le comportement dudit magistrat et lui ont exposé les préoccupations de la corporation, principalement le respect des droits de la défense et le respect de qualité d'avocat. "Il a été attentif à nos arguments. Nous attendrons un retour de sa part durant cette semaine. Le cas échéant, nous conviendrons de nouvelles actions à entreprendre", nous a indiqué Me Amine Sidhoum. L'organisation a décidé, à l'issue d'une réunion tenue vendredi, de boycotter toutes les juridictions de la capitale (tribunaux de première instance et Cour) du dimanche 27 septembre au samedi 3 octobre, ainsi qu'un rassemblement prévu pour ce matin à la Cour du Ruisseau. Boycott de toutes les juridictions de la capitale Ces actions ont été décidées en réaction au manque de considération du juge de siège dans le procès en appel de l'homme d'affaires, Mourad Oulmi, et ses coaccusés envers le bâtonnier, mais pas uniquement. "C'est un acte qui transcende la personne de Me Sellini. Le magistrat a attenté à la qualité de bâtonnier et par là même à la corporation", s'insurge Me Tamert. Le bâtonnier d'Alger avait requis, jeudi, le renvoi du procès de ses mandants, invoquant des raisons de santé. Le magistrat a rejeté la demande au motif que le samedi est un jour férié pour le service de l'administration pénitentiaire chargée d'établir la liaison internet (vidéoconférence) entre la prison et la Cour. Il a ordonné tout de go aux agents de la Sûreté nationale de restaurer l'ordre dans la salle, interrompant brutalement l'échange avec Me Sellini. Ce dernier a eu alors un malaise qui a nécessité son transfert vers un établissement hospitalier. "Il n'est pas possible de parler de procès équitable avant une transition politique qui consacre les droits de l'Homme et de la citoyenneté", corrobore Me Abdelghani Badi, qui série les atteintes aux droits de la défense et, conséquemment, à ceux des justiciables. Les exemples foisonnent. Les anomalies, qui ont émaillé le procès en appel de Karim Tabbou en mars 2020, sont particulièrement édifiantes — il a été jugé en l'absence de ses avocats et condamné à une année de prison ferme sans être présent au moment du prononcé de la sentence. "Si l'avocat n'est pas respecté et n'arrive pas à se défendre, comment voulez-vous qu'il défende les intérêts d'autrui. La stabilité de la justice est tributaire d'une défense solide", relève Me Sidhoum. Les barreaux de Blida, de Bouira et probablement ceux de Béjaïa devraient rejoindre la protesta, sans attendre de connaître la position de l'Union nationale des Conseils des Ordres des avocats (UNCOA). Les membres de l'organisation se réuniront demain matin au siège de la Cour suprême. "Nous sommes obligés d'attendre les décisions de l'Union pour agir", nous a déclaré Me Salah Brahimi, bâtonnier de Tizi Ouzou, plutôt circonspect. "Nous condamnons évidemment ce qui se passe à la Cour d'Alger", souligne-t-il, en reconnaissant que le magistrat n'a pas recouru à la procédure réglementaire en pareil cas. "Quand un incident d'audience survient, le juge de siège doit suspendre la séance et informer son supérieur, c'est-à-dire le président du tribunal ou de la Cour. Apparemment, il a perdu son sang-froid", suppose-t-il. Il estime, néanmoins, plus sage de distinguer un acte isolé et d'une volonté réelle de nuire globalement aux droits de la défense. "Il faut éviter les décisions hâtives qui risquent d'être lourdes de conséquences pour les justiciables", insiste-t-il. Il est quasiment acquis que l'UNCOA soutiendra le bâtonnat d'Alger, ne serait-ce que par une journée de protestation engagée à l'échelle nationale.