Un collectif d'avocats du barreau de Nantes vient de lancer une campagne de référés devant le tribunal administratif concernant plusieurs demandes de visa. Des ONG de défense des droits de l'Homme prennent part à cette mobilisation. Raouf est informaticien dans une grande société de médias à Paris. Marié depuis un an et demi en Algérie, il a bénéficié du regroupement familial et s'attendait tout naturellement à accueillir sa jeune épouse. Sauf que rien n'a marché comme prévu et le couple se voit toujours obligé d'entretenir une relation à distance. À l'origine de cette séparation forcée, le gel par la France des mesures de délivrance de visas, au titre de regroupement familial dans certains pays, dont l'Algérie. Dans la pile de dossiers en instance au consulat de France à Alger, figure celui de Raouf qui prend son mal en patience, péniblement. "Je ne sais pas combien de temps cette situation va encore durer et je ne comprends pas pourquoi les visas sont suspendus uniquement pour les conjoints des résidents", dit-il désarmé. Depuis le début de la crise sanitaire du coronavirus, l'Etat français a pris le parti de réduire le volume des visas octroyés aux étrangers. Toutefois, en matière de regroupement familial, les restrictions concernent uniquement les résidents étrangers. Les conjoints de Français ont toujours la possibilité d'entrer sur le territoire français. Les étudiants et certaines catégories de travailleurs y sont également admis. Dans une lettre de relance adressée fin novembre au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, (la première date du 23 octobre), le député En Marche, Hubert Julien-Laferrière, a dénoncé "une différence de traitement infondée et discriminatoire". "À l'heure où le gouvernement appelle à vivre avec le virus, où l'UE appelle à permettre la réunification des familles séparées par la pandémie, jusqu'à quand ces résidents vont-ils vivre loin de leurs familles ? Ils vivent et travaillent en France pour certains depuis toujours et pour d'autres depuis quelques années. Ils ont leurs appartements en France. Ils sont fiscalement des résidents français. Quel est le sens de cette mesure ? Comment justifier ce traitement qui leur est réservé en pleine crise sanitaire ? Leurs familles ne représentent pas un risque sanitaire plus élevé que les conjoints de Français, les étudiants et les travailleurs", s'est insurgé le parlementaire. Rezkia qui vit encore à Béjaïa, n'a pas vu son époux depuis leur mariage en octobre 2019. Résident à Nantes, celui-ci a introduit une demande de regroupement familial et a obtenu une réponse favorable de la préfecture, pile au début de la pandémie, en mars 2020. Depuis, le couple multiplie les déconvenues et se voit contraint de se battre sur le terrain judiciaire pour obtenir le droit de vivre dans le même pays et sous le même toit. Tout a commencé le 28 juin dernier, soit un mois et demi après la fin du premier confinement dans l'Hexagone, lorsque le consulat général de France à Alger a publié un communiqué pour annoncer que certains types de dossier de visas seront de nouveaux traités, dont le visa d'installation dans le cadre du regroupement familial. Deux mois plus tard, un communiqué contradictoire limite l'étude des dossiers, à titre dérogatoire, aux familles de ressortissants français. Les conjoints des résidents étrangers doivent, de leur côté, attendre la réouverture des frontières. Epuisés par ces péripéties, Rezkia et son mari suivent l'exemple de quelques autres couples et introduisent le 1er décembre dernier, un référé devant le tribunal administratif de Nantes. La procédure leur a coûté 1 200 euros en frais d'avocat. Une dépense importante, dont ils auraient pu se passer. Maître Loïc Bourgeois fait partie d'un collectif d'avocats qui tente de faire pression sur la justice pour lever les blocages sur la délivrance des visas au titre du regroupement familial. Cette mobilisation est soutenue par le Syndicat des avocats de France, l'association d'aide aux étrangers et aux sans-papiers Cimade, la Ligue des droits de l'Homme, ainsi que l'ONG Gisti de conseils juridiques aux étrangers. "Les restrictions à la délivrance des visas d'installation ciblent particulièrement des pays comme ceux du Maghreb et uniquement des résidents. Elles sont à ce titre, discriminatoires. Les blocages sont en outre illégaux, car ils n'ont pas de fondement juridique. On ne peut pas utiliser la crise sanitaire comme un motif pour limiter les visas", explique Maître Bourgeois. À la question de savoir pourquoi les familles de résidents étrangers en France sont privées de visas d'installation, l'avocat nantais se montre dubitatif. "Les raisons sont assez mystérieuses. On ne peut faire que des suppositions. Certains consulats veulent-ils se dispenser de travail supplémentaire ou s'agit-il d'une volonté politique de restreindre les regroupements familiaux sous prétexte de crise sanitaire ?", se demande notre interlocuteur en évoquant des "conséquences pratiques insupportables pour les familles". En déposant collectivement des référés, ses confrères et lui espèrent faire réagir les hautes autorités politiques françaises. "Nous voulons faire passer un message juridique, bien sûr. Mais à nos yeux, il s'agit aussi de discrimination humaine. Et la posture politique nous interpelle", souligne Loïc Bourgeois. Sur le groupe Facebook "Délivrance visas de regroupement familial pour les conjoints de résidents en France", les 4 957 membres sont en permanence à l'affût de nouvelles informations. Plusieurs d'entre eux ont décidé à leur tour de saisir la justice pour défendre leur cause. Du côté des autorités consulaires, le discours reste néanmoins inchangé. "Toutes les demandes de visa pour regroupement familial ont été suspendues. Les dossiers feront l'objet d'une décision définitive à l'ouverture des frontières", stipule une réponse du consulat de France à Alger, que Soumia, une jeune femme du groupe, a reçue le 8 décembre dernier.