Dans cet entretien, l'économiste Farouk Nemouchi revient sur les mesures monétaires et prudentielles prises par la Banque d'Algérie courant 2020, à l'effet de réduire l'impact du choc pandémique sur l'économie et les entreprises. Notre interlocuteur explique le pourquoi de la faible application par certaines banques de la place de ces mesures, tout en faisant le constat d'un faible retour sur investissement des dites mesures. Liberté : La Banque d'Algérie a indiqué la semaine dernière que certains établissements bancaires n'ont pas appliqué ses mesures monétaires et prudentielles censées réduire l'impact de la pandémie de Covid-19 sur l'économie et les entreprises. D'après vous, pourquoi ces mesures n'ont été que faiblement appliquées par certaines banques de la place ? Farouk Nemouchi : En avril 2020, la Banque d'Algérie a pris des mesures d'ajustement pour faire face aux conséquences économiques et financières de la pandémie. Ces mesures visent deux objectifs : atténuer les contraintes imposées aux banques par la réglementation prudentielle et proposer de meilleures conditions de refinancement pour leur permettre d'accompagner les entreprises en difficulté. Sur un plan macroéconomique, il s'agit d'apporter une réponse à une crise de liquidité dont les premières manifestations sont antérieures à la crise sanitaire. Néanmoins, ces mesures d'allègement prises par l'autorité monétaire placent les banques publiques entre le marteau et l'enclume. Le dispositif prudentiel moins contraignant les invite à augmenter les crédits aux entreprises qui sont confrontées à de graves déséquilibres financiers. Cependant, elles courent le risque de se retrouver avec un volume plus important de créances non performantes dans le cas où les ressources affectées au financement de l'activité économique n'amélioreraient pas la situation des entreprises. Outre la baisse du taux des réserves obligatoires, la Banque centrale a revu à la hausse les seuils de refinancement des titres publics négociables et rallongé à un mois la durée du refinancement. Ces mesures ont-elles eu un impact sur la situation du secteur bancaire ? Sur ce plan, il faut savoir que les facilités accordées en matière de refinancement peuvent gonfler le portefeuille des banques avec des effets éligibles au réescompte qui sont de mauvaise qualité. Et pour la énième fois, l'Etat sera alors obligé de prendre des mesures d'assainissement en rachetant les créances des banques détenues sur les entreprises. La solution apportée par la Banque d'Algérie se heurte à deux contraintes majeures. En premier lieu, elle se contente d'injecter des liquidités pour stimuler une économie qui peine depuis des lustres à s'inscrire dans une dynamique de croissance durable. Ensuite, une partie importante de la monnaie créée par les banques lorsqu'elles financent les entreprises quitte le circuit bancaire. Certains économistes estiment que la politique monétaire en application depuis 2015, dont les éléments sont nettement plus visibles depuis le début 2020, a montré ses limites. Qu'en pensez-vous ? Lorsque la gestion de la monnaie est soumise aux aléas de la conjoncture, la déconnexion entre l'économie réelle et la sphère financière s'accentue, et il en résulte alors une exacerbation des tensions inflationnistes, dès lors que le taux de croissance de la quantité de monnaie en circulation est supérieur au taux de croissance du PIB. La politique monétaire gagne en efficacité si elle est en cohérence avec une démarche économique globale. Cette délicate mission ne relève pas de la seule responsabilité de la Banque d'Algérie. La non-application des nouvelles mesures s'explique par la crainte de fragiliser encore plus les banques publiques et semble exprimer le souci d'en finir avec des injonctions qui sont aux antipodes de refondation du système financier.