La vente annoncée des parts de Veon dans Djezzy s'apparente à un exercice complexe pour l'Etat qui doit slalomer entre des exigences de profitabilité et l'impératif d'une acquisition conforme à la législation qui interdit les positions dominantes. Quelques semaines après le retrait annoncé par le groupe néerlandais, Veon, du marché algérien de la téléphonie mobile, les lectures vont bon train quant à la réaction de l'Etat algérien qui risque de se retrouver en position dominante avec deux opérateurs publics, à savoir Mobilis, qui monopolise environ 40% des parts du marché, et Djezzy qui en détient un tiers. Depuis l'annonce de la vente à l'Etat algérien des 45,57% que Veon détient dans Omnium Télécom Algérie (OTA), le gouvernement, représenté par le Fonds national d'investissement (FNI), n'a jusqu'ici soufflé mot et semble confronté à un dilemme cornélien : choisir entre la position dominante réprimée par la loi et l'option d'une ouverture du capital à laquelle l'Etat avait depuis toujours opposé une attitude de méfiance. En témoigne la piste maintes fois abandonnée de l'ouverture du capital des entreprises publiques, dont celui du groupe Mobilis, ajournée à deux reprises pour des considérations - jusqu'ici - inexpliquées. Maître Hind Benmiloud, avocate et spécialiste du droit des affaires, estime qu'il y a bel et bien risque que l'Etat se retrouve dans une position dominante que lui-même a depuis toujours réprimée. La loi elle-même interdit et réprime les positions dominantes, estime l'avocate, contactée par Liberté. Le poids de l'Etat dans Djezzy, acquis pour 2,643 milliards de dollars en 2015, avait déjà soulevé des vagues ; les spécialistes jugeant que Djezzy était surcotée en 2015 et sa valeur réelle ne pouvait dépasser les 2,4 milliards de dollars. C'est le point de vue de Chabane Assad, fondateur du cabinet Finabi Conseil, qui estime que la valeur de Djezzy en 2015 "ne pouvait dépasser les 2,4 milliards de dollars et que l'Etat aurait dû payer 1,22 milliard de dollars" pour l'acquisition d'une part majoritaire de 51%. En 2019, soutient Chabane Assad, la valeur de Djezzy était de seulement 1,6 milliard de dollars et que le prix des 45,45% que Veon voudrait céder à l'Etat algérien ne dépasserait pas les 600 millions de dollars. Ainsi, la sortie de Veon du capital de Djezzy pourrait faire subir à l'Etat une perte sèche de plusieurs centaines de millions de dollars, six années seulement après avoir racheté au prix fort les 51% de parts dans OTA. D'autant plus que les résultats de l'opérateur amorçaient une décrue ininterrompue depuis 2015. Selon l'expert financier Chabane Assad, Djezzy a connu une baisse significative de son activité passant d'un chiffre d'affaires de 112 milliards de dinars en 2016 à 90 milliards de dinars en 2019. Le résultat net de 2019 a été de 17 milliards de dinars seulement, correspondant à 114,5 millions de dollars. Le P-DG de Djezzy rassure L'Etat actionnaire a dégagé une rentabilité financière de 2,79%, soit de 144,5 millions de dollars, rapportée au prix de rachat des 51% de Djezzy, à savoir 2,643 milliards de dollars. "La rentabilité financière de Djezzy a baissé de 46,36%", estime le fondateur de Finabi Conseil. Contacté par Liberté, le P-DG de Djezzy, Matthieu Galvani, n'a pas souhaité faire de commentaires au sujet de la vente annoncée des parts de Veon dans Djezzy à l'Etat algérien, soulignant qu'il s'agit d'une "décision d'actionnaires". "En tant que direction, nous restons pleinement engagés pour assurer la continuité du business afin de poursuivre le développement digital de l'entreprise et améliorer la qualité de service pour nos clients qui demeurent au cœur de la stratégie de l'entreprise", assure le P-DG de Djezzy, nous invitant "à contacter le Fonds national d'investissement et le groupe Veon pour plus d'explication". Au niveau de Djezzy, l'on continue à défendre une "entreprise rentable, solide financièrement et surtout sans la moindre dette". La baisse des indicateurs financiers serait liée au marché des télécommunications qui se stabilise, dans son ensemble, mais aussi à certains éléments de la conjoncture, dont la baisse des prix. Face aux problématiques posées par cette perspective de sortie de Veon du capital de Djezzy, bien que codifiée par le pacte d'actionnaires, le gouvernement doit préparer les conditions d'une cession profitable à l'Algérie, d'autant plus qu'il s'agira d'une ponction sur les réserves de change. A cet effet, le fondateur de Finabi Conseil suggère une ouverture du capital de Djezzy au profit de la diaspora via la bourse d'Alger. "La rentabilité financière espérée est de 12%, alors que la Bourse constitue un bon levier pour attirer l'épargne de la communauté algérienne à l'étranger", estime Chabane Assad qui recommande comme seconde piste, la cession de la partie à acheter de Veon à un fonds d'investissement étranger. "In fine, ce dernier sortira dans cinq ou sept ans du capital via la bourse", soutient-il. De prime abord, cette probable vente des parts de Veon dans Djezzy s'apparente à un exercice complexe pour l'Etat qui doit slalomer entre l'exigence d'une sortie peu coûteuse - car il s'agit, d'abord, de préserver les réserves de change - et les impératifs d'une acquisition respectueuse d'une législation interdisant les positions dominantes.