Les tests, inaccessibles aux petites bourses, font que beaucoup d'Algériens, qui soupçonnent une contamination par le Covid-19, évitent de se faire dépister et recourent à l'automédication non sans courir des risques de complication. Devant une clinique privée à Staouéli, commune balnéaire de l'ouest d'Alger, deux douzaines de personnes font la queue pour subir le test Covid-19. La flambée récente des contaminations par le coronavirus a provoqué une véritable psychose à travers tout le pays. Beaucoup redoutent de contracter, à tout moment, le virus. Au moindre symptôme, toux, éternuement ou encore fièvre, c'est la course vers le laboratoire. Hamid, la trentaine, attend son tour, ce lundi, dans le hall de la clinique depuis près d'une heure. Une grippe, sans grande méchanceté, précise-t-il, l'a mené quand même devant les portes de ce laboratoire pour se faire tester, mais surtout se mettre rapidement sous traitement. "J'ai contracté une grippe depuis deux jours. Je ne développe pas encore les symptômes habituels de la Covid-19, comme la perte de l'odorat, de goût ou encore les vomissements, mais je préfère éliminer le doute en me faisant tester", explique-t-il. À la réception de la clinique, trois employés enregistrent les noms des personnes avant de les orienter au premier étage où des professionnels les accueillent et les font tester. Seuls les tests antigéniques ou encore sérologiques sont proposés... à 3 000 DA. Pour beaucoup de ménages, cela reste une dépense, bien que nécessaire, mais dont l'impact est certain sur le budget personnel ou de la famille. Une fonctionnaire de l'éducation à la retraite trouve que les prix des tests Covid sont relativement chers, notamment pour les familles modestes. "C'est une dépense dont je me serais volontiers passée, comme la plupart des ménages d'ailleurs, n'était la nécessité", dit-elle, en assurant que si "on ne compte pas quand il s'agit de notre santé, côté budget financier, c'est la saignée", regrette-t-elle. Eprouvée par une crise économique déjà aiguë, avec une inflation qui ne fait que grimper et le dinar se dévaluer, une grande partie de la population perçoit cette nouvelle dépense sanitaire comme une véritable épreuve. Pour Hamid, la trentaine, gérant d'un restaurant à Staouéli, le prix de son test n'a pas d'incidence sur son budget, d'autres, en revanche, réfléchissent deux fois avant de se rendre dans un laboratoire pour se faire tester. Hamid avoue que l'un de ses employés, "même avec des symptômes de la Covid-19, a décidé de se passer du fameux test". Automédication Son employé, explique-t-il, a préféré l'automédication. "Il n'a pas les moyens. Il perçoit un salaire à peine plus élevé que le SMIG (20 000 DA). Avec une famille à charge, je comprends, déplore Hamid, qu'il ne veuille pas dépenser encore de l'argent pour son test, au moment même où la crise sanitaire fait peser un risque sur la pérennité même de son emploi." Comme l'employé de notre interlocuteur, beaucoup préfèrent en effet se mettre sous traitement anti-Covid sans préalablement se faire dépister et s'épargner de débourser encore de l'argent pour un test à 3 000 DA ou à 7 000 DA, ou plus, quand il s'agit du test PCR. Noureddine, enseignant de langue anglaise dans une école privée, est parmi ceux qui ont choisi l'automédication. "J'ai un poste précaire. Je ne peux pas me permettre de débourser 7 000 DA pour le test PCR", affirme ce quadragénaire qui dit avoir guéri, après son traitement, de la Covid. Il y a une semaine, une toux légère a fait son apparition, puis des éternuements et une fièvre au bout du troisième jour. "J'en ai parlé avec un ami médecin, pneumologue. Il m'a indiqué le protocole de soins à adopter, j'ai acheté les médicaments nécessaires et me suis soigné moi-même en me confinant chez-moi", affirme-t-il, en ajoutant se sentir complètement rétabli. Mais dans ce cas, l'automédication est-elle la solution pour les petites bourses ? Loin s'en faut. Les complications dues à une automédication ne sont pas rares. Sans suivi et sans que le médecin détermine l'origine de la maladie (Covid-19), l'automédication peut s'avérer dangereuse, voire fatale. "C'est un tort que de croire que l'automédication est la solution", explique, à ce propos, le professeur Mohamed Bekkat-Berkani, praticien et président de l'Ordre national des médecins. "L'automédication est contre-indiquée. Elle comporte des risques, c'est certain et nous ne cesserons jamais de le rappeler", prévient-il, tout en disant, comprendre, cependant, que les prix des tests, "qu'il s'agisse des antigéniques, sérologiques ou encore PCR, sont trop élevés". Conséquence, ajoute-t-il, "autant les gens qui se mettent à l'automédication courent des risques, autant, pour nous, professionnels de la santé ou encore les pouvoirs publics, n'avons aucune donnée, la plus ou moins proche de la réalité de la pandémie chez nous". Les pouvoirs publics sont interpellés. Appeler les Algériens à se faire vacciner massivement, c'est bien. Mais l'Etat peut très bien faire également l'effort, en diminuant les prix des tests et permettre ainsi au plus grand nombre de citoyens de se faire dépister. L'Etat, estime encore le professeur Bekkat, "doit, à son tour, prendre à son compte une partie du prix des tests. Les Algériens ont participé, et de manière formidable, à l'élan de solidarité nationale pour venir en aide aux hôpitaux à court d'oxygène. L'Etat devrait, peut-être, participer, dans cette même perspective, à cet élan de solidarité et trouver le moyen de soulager le prix du dépistage". Les tests, suggère-t-il encore, gagneraient à se faire rembourser, même en partie, par la sécurité sociale. "Si les tests étaient accessibles au remboursement partiel, nous aurions, fort probablement, un plus grand taux de dépistage et une meilleure visibilité sur la pandémie elle-même", soutient-il, avant de lancer un appel aux pouvoirs publics pour entamer des négociations avec les laboratoires privés afin d'adapter les prix des tests aux bourses moyennes des ménages. "C'est une question de solidarité nationale", affirme le Pr Bekkat. Et c'est particulièrement le secteur de la solidarité qui est pointé du doigt en raison de son absence devant cette situation de détresse qui frappe à la fois les structures sanitaires qui font face à une pénurie d'oxygène, absence à laquelle suppléent parfaitement, faut-il le reconnaître, la solidarité citoyenne, et des malades qui se retrouvent dans l'incapacité à payer les tests nécessaires. PCR ou autres. Et l'effort de l'Etat, à ce niveau, s'est avéré insuffisant, tant il se limite à ne laisser qu'une marge de 3 000 DA à payer par le citoyen quel que soit le test. La majorité des pays sont passés aux tests massifs gratuits. Pourquoi pas l'Algérie ?