Certains parmi les marchands d'Arzew ont eu la réaction qui ne manquera pas de se reproduire à chaque fois que des citoyens auront à subir la brutalité de l'Etat : “on pardonne aux terroristes et on maltraite de paisibles citoyens qui protestent.” Le propos résume tout le malentendu que charrie la “charte”. La campagne pour le plébiscite du projet a consisté à persuader l'électorat d'une ère de paix post-référendaire. Matraqués de promesses de quiétude, les Algériens voyaient dans les lendemains du 29 septembre une époque d'indulgence où les préjudices passés seront légalisés. On sera tranquille dans un statu quo qui consolidera nos agissements les plus répréhensibles. Chacun a objectivement intérêt à ce que certains errements perdurent, beaucoup trouvent leur compte dans cette philosophie du fait accompli. Ainsi en est-il du commerce sauvage qui souille les villes et qui fait de nombreuses rues des bazars. Les agissements clientélistes des élus locaux et la démission timorée des pouvoirs publics ont fait que, depuis des années, étals et étalages colonisent progressivement la voie publique. L'effet de masse a rendu certaines places hors de portée de la fonction d'ordre et attiré, en plus du commerce illicite, la délinquance de toute sorte. Fourmillants de vendeurs, de camelots, de trafiquants, de détrousseurs et de clients qui tous se confondent dans un compact capharnaüm, ces endroits en deviennent inaccessibles à agents publics et à la discipline civique. Certaines de ces “zones franches” de fait, longtemps dispensées de contrôle, ont fait la preuve de leur organisation, à l'occasion de quelques tentatives d'assainissement. Les hésitations politiciennes et la réserve craintive des responsables ont renforcé la résolution des réseaux qui vivent de ces marécageux îlots urbains qu'on appelle parfois, et pudiquement, bazar, souk, rue piétonnière. Les menaces récurrentes de prohibition de ces marchés hors la loi a, semble-t-il, poussé leurs exploitants à se forger une conviction de victimes potentielles. Et comme il n'y a pas que les vendeurs à avoir intérêt dans ce que ces troubles espaces s'éternisent, ils ne seront pas seuls à les défendre. D'un côté, le temps perdu par les autorités à tolérer l'illicite l'a rendu licite. Un ordre établi finit toujours par produire ceux qui y ont intérêt et, partant, s'engagent à le défendre. D'un autre côté, il se développe désormais, une “pédagogie du pardon”. Qui peut le plus peut le moins, n'est-ce pas ? Le quidam ne s'explique pas qu'on puisse admettre le crime du terroriste à l'impunité et refuser d'assumer son petit et alimentaire délit ! Le pouvoir a présenté une démarche politique comme démarche humaine. Le citoyen attend qu'elle se généralise en état de prévenance pour tous ; le dirigeant entend sévir pour régner l'ordre maintenant que la lutte antiterroriste ne l'accapare théoriquement plus. Avec les évènements d'Arzew, on découvre ainsi “l'effet charte” et ses victimes. Avec tous les mécontentements qui s'annoncent et au vu de la culture de la répression mécanique, il y a de réelles raisons de s'inquiéter. M. H.