Je n'aime pas emprunter les chemins battus. Dans notre société riche en psychopathes politiques de tous bords, en islamistes et en pseudo-nationalistes, dès qu'il s'agit du corps féminin, les langues se délient, s'aiguisent. Déversent leur venin et leur rancœur. À leurs yeux, le corps féminin est la cause de toutes les sales guerres du monde, la source de tous les maux de l'Histoire humaine. Du bannissement du paradis ! Ainsi, les psychopathes politiques sont en guerre permanente contre toute présence du corps féminin dans l'espace public. Ils ne cherchent qu'à dépouiller la femme de son corps et de sa langue. Le corps féminin est une honte âawra. La voix de la femme, elle aussi, est une honte âawra. Il faut impérativement lui rogner la langue et lui cacher le corps. Cadenasser sa langue piquante et gommer son corps séduisant. Dans l'imaginaire psychopathe-machiste, le corps féminin est réduit au plaisir, à la corvée et à la reproduction. Dans tous les cas, il est du domaine de la consommation. Dans une société où la femme est propriétaire de son corps, elle est automatiquement propriétaire de son opinion. Productrice de ses idées. Maîtresse de son génie. Dans une société où la femme sait comment défendre la liberté de son corps, elle est inévitablement capable de défendre celle de sa patrie. La société qui respecte la dignité de la femme est naturellement respectueuse de celle de l'homme et de celle du pays en général. En Algérien, en cette campagne électorale tambour battant, sur les affiches des listes des candidats appartenant à des partis islamiques et des partis dits nationaux, les visages des femmes candidates sont effacés, escamotés ou remplacés par des croquis inconnus. Sur ces affiches, la femme est présentée comme un fantôme, dépourvue de toute son humanité et de sa féminité. Dans leur tombe ou en vie, sont tristes : Djamila Bouhired, Zohra Bitat, Z'hour Ounissi, Hassiba Ben Bouali, Malika Gaïd, Maliha Hamidou, Assia Djebar, Baya, Aïcha Haddad... Dans une société de psychopathes politiques, on n'aime pas la femme, on use d'elle, on l'utilise. On ne respecte pas la femme, on l'étouffe. On ne soutient pas la femme, on déplace les murs de la prison pour l'encercler là où elle se trouve, dans la politique, dans son travail ou dans l'espace public. L'homme musulman est né dans la peur du corps féminin. Dans son imaginaire, le corps féminin est condamné à vivre dans les zones interdites. Il est provocateur. Il faut le domestiquer. Le corps féminin, dans l'imaginaire d'un islamiste, est condamné à vivre entre la tentation, la diablerie, la souillure et la procréation. Et dans une telle situation équivoque, à l'image de l'homme, la langue est perturbée. Frustrée. Dans la vie d'un couple encerclé dans une société machiste, il n'y a pas de lexique d'amour. Dans la vie d'un couple musulman victime de cette culture masochiste, il y a beaucoup de blanc. De silence. De sous-entendus. Dans l'imaginaire islamiste, l'image de la femme est entre celle de la mère et de la pute. En permanence, elle est soupçonnée dans tous ses actes. En permanence, il lui est mandé de se justifier. Dans cette situation sociétale pathologique, la culture de l'amour comme le langage qui le formule sont, de plus en plus, bannis de l'espace public quotidien. La langue est blessée. Boiteuse. Ses griffes coupées. L'amour se replie et la haine se répand. Le respect s'éclipse et la violence se généralise. La langue par laquelle, dans laquelle, les individus s'expriment pour dire leurs sentiments, leur intimité est de plus en plus restreinte ou codifiée. Elle s'est rétrécie comme une peau de chagrin. Notre société est devenue pauvre en langage d'amour. Une société sans langue. L'idéologie pseudo-puritaine entrave le désir linguistique individuel et humain chez l'homme musulman pris en otage dans une société guidée par une classe politique hypocrite et misogyne. Dans une société machiste, la seule image du corps féminin qui occupe l'imaginaire masculin est celle de la mère. Celles de la fille, de l'épouse, de la tante, de la belle-fille... font peur. Déstabilisent. Dérangent. Cette situation sociétale et psychoculturelle a marqué aussi les écrivains quelle que soit leur langue d'expression, francophones ou arabophones. Ils se sont retrouvés dans leurs textes, inconsciemment, otages de l'hégémonie d'une seule image : celle de la femme-mère. Les écrivains, comme les religieux, comme les politiques, comme les chanteurs, placent l'image de la mère au-dessus de toute autre image féminine. Elle est présente, sacralisée, angélique et unique. Les autres sont absentes, effacées ou diaboliques.