Longtemps après s'être consacrée à l'enseignement des langues, Najia Abeer s'est mise à l'écriture. Dans ses œuvres, poésie, romans et nouvelles, à caractère fortement autobiographique, elle revient tour à tour à son enfance, à son adolescence et, surtout, à sa ville natale, Constantine. Mais toujours apparaît sa passion, l'enseignement. Il est de ces œuvres que le destin a rendu prémonitoire. Bab El Kantara, dernier ouvrage de Najia Abeer, décédée à 57 ans en octobre de cette année, est certainement de celles-là. Dans son ultime roman, paru un mois seulement avant son décès, la volonté ardente du retour à sa jeunesse, vécue à Constantine, et surtout d'en découdre avec certains personnages, de son entourage immédiat, se lit à chacune des pages de ce roman qui se termine, presque, par cette tirade pas très loin de la catharsis tant attendue : “Mort à Garmia, mort aux imbéciles, mort aux vieux gardiens de cette stupide virginité, à bas les lances acérées de ces traditions débiles et tous les chèches qui abritent des cervelles d'oiseau.” C'est donc chose faite, et Najia Abeer a fini par dire et écrire ce qu'elle avait gardé pour elle des années durant. Avant cet ultime retour au passé, avant que “s'arrête mon sourire dans l'agonie d'un rire trahi”, comme elle semblait le craindre dans son poème Mousse rose de mon enfance. Que de signes et de retours incessants à l'enfance et à Constantine. Car, lorsque que l'on est natif de la vieille ville, Souika, de Constantine “ma chère ville natale”, mille fois torturée par l'histoire, le retour aux origines s'impose de lui-même. Et ce ne sont pas ses séjours aux Etats-Unis et en Jordanie qui lui feront oublier le Vieux Rocher. Comme dans Constantine et les moineaux de la murette, édité par Barzakh en 2003, Najia Abber considère la ville comme un espace intimement lié à son écriture. La narration dans ce roman, structuré en plusieurs chapitres, se construit sur la trame du film des souvenirs, rythmé par les allers et venues entre l'école normale et la maison à l'occasion des vacances. Sont alors évoqués, dans une Algérie tout juste sortie du colonialisme, des souvenirs des premières années passées à l'école normale de Bab El Kantara (d'où le titre), des premières amitiés, des premières amours, des premiers ressentiments vécus dans un univers féminin, mi-clos, celui de l'école qui forme les futures enseignantes dans un pays qui en a tant besoin. Ainsi, en arrière plan, prend naissance la prise de conscience de ses futures responsabilités d'éducatrice. Comme l'auteur l'annonce d'ailleurs dans sa dédicace : “À tous les normaliens et toutes les normaliennes qui continuent, même au-delà de leur retraite, à honorer leur profession.” Roman autobiographique, Bab El Kantara l'est assurément, comme le sont aussi ses autres œuvres. Le souci de témoigner. SAMIR BENMALEK Bab El Kantara, roman de Najia Abeer, 222 pages, les éditions Apic (Alger), 2005.