Le premier roman de Youcef Zirem est un chassé-croisé de vies chaotiques et de destins déchirés, ceux d'une génération de mal-aimés empêtrés dans des errements politico-sentimentaux. Youcef Zirem est décidément sur tous les fronts et pratique tous les genres. Et pour conforter cette idée, voilà qu'il signe son premier roman qu'il vient de sortir chez sa propre maison d'édition (fondée avec son frère), après avoir publié plusieurs ouvrages, Les enfants du brouillard (poésie) ; L'âme de Sabrina (nouvelles), Barzakh (2000), ou encore l'excellent Algérie : la guerre des ombres (essai), éd. Le Grip-Complexe Bruxelles (2001). La Vie est un grand mensonge. Ainsi s'intitule donc le roman en question. La trame tourne en gros autour des errements politico-sentimentaux d'une jeunesse perdue. C'est le parcours enchevêtré/inachevé de deux amours impossibles : celui de Farid et Sabrina, et celui de Khaled (alias Jeff) et Malika. Ils se sont connus en cité U alors qu'ils poursuivaient leurs études supérieures. Le roman est construit par petits chapitres numérotés à la Kundera, avec des flashes, des bribes, des cris, des voix parfois sans tronc… Le dispositif narratif est intéressant : les personnages s'emparent à tour de rôle de la tribune narrative pour donner voix aux chapitres. Histoires d'amour inachevées donc, sublimées autour du mythe de Sabrina, la Nadja, la Nedjma zirémienne. Amours malheureuses, rêves en suspens, âmes en peine, pays en lambeaux. Mais Farid et Jeff, eux, ne sont pas le genre capitulard. Ils ont le cœur battant. Batteur. Aussi sont-ils de tous les combats : la cause berbériste, les événements d'Octobre 1988, les luttes démocratiques des années 1990… Farid devient journaliste mais entre très vite en dissidence pour échapper à la censure et aux nouveaux manichéismes de la presse normative. Jeff a eu son quart d'heure militant, lui aussi, lui, le rescapé d'Octobre qui a subi “la question” dans les geôles du régime. Bref, ils en ont bavé. Ils ont été les témoins de toutes nos turpitudes nationales. Des tableaux noirs, des destins déchirés. Sabrina termine violée par un capitaine mégalo. De fait, les bons et les méchants ne sont pas toujours ceux que l'on croit et chacun en prend pour son grade. Les “décideurs” sont épinglés presque à chaque ligne, conférant au roman une dimension pamphlétaire : “(…) Egaré dans un brouillard d'amertume, je me demande qu'est-ce qui peut bien m'arriver en ce début de guerre civile non déclarée, moi qui suis désillusionné déjà au départ, moi qui n'ose même pas faire de promesse sérieuse à Sabrina. Je pense à ces malheureuses décennies passées sans que le citoyen, à aucun moment, n'ait choisi quoi que ce soit. Je me dis : c'est un drame. À chaque fois, des décideurs se sont chargés de lui dicter ce qu'il devait faire…” (p44). Le roman se décline ainsi comme un hymne aux mal-aimés, tous ces largués de la vie. Partout, des jeunes sans gloire, sans avenir, et dont l'unique rêve est de partir. Il tombe sous le sens qu'une telle thématique ne pouvait que “piéger” l'auteur en le confinant dans une narration plus proche de la prose contestataire que du projet romanesque proprement dit. C'est en tout cas le grief que pourraient faire les “puristes” à ce roman qui semble privilégier le discours vindicatif et revendicatif sur le travail, sur la trame, l'intrigue, les personnages. Un roman cru donc. Un roman cruel. Concentré de notre détresse juvénile, quitte à fâcher les petites coquetteries de dame Littérature. M. B.