Dimanche 26 février, il pleut à torrents. Il fait froid. Un froid qui a gelé la relation des couples, convoqués ce jour-là au tribunal de Sidi-M'hamed par la chambre du statut particulier. Ils sont des dizaines à se succéder devant le juge pour une ultime tentative de réconciliation (les audiences consacrées au divorce se déroulent à huis clos). Le hall de la cour d'Alger ressemble à une ruche d'abeilles bourdonnantes. Les robes noires se mêlent à une foule d'anonymes qui arpentent les couloirs en quête d'un relevé du casier judiciaire, du certificat de nationalité… et aussi de conjoints en instance de divorce. Pas moins de 116 dossiers seront traités en ce jour. Dans la salle d'audience n°2, l'assistance est si nombreuse qu'il est difficile de trouver une place assise. La plupart des bancs sont occupés par des femmes, certaines emmitouflées dans leurs manteaux, d'autres en majorité voilées. Elles attendent patiemment leur tour, alors que les hommes font les cent pas, grillant cigarette sur cigarette. Dossiers 680, 681, 682… ; aujourd'hui toutes ces personnes n'ont plus vraiment de noms, mais juste un numéro que le greffier a bien voulu leur attribuer et par lequel elles seront appelées à la barre. Les absents auront tort car leurs dossiers seront reportés systématiquement. 9h tapantes, la présidente de la cour rejoint son siège, portant sous le bras un tas de dossiers. “Affaire 695”, annonce-t-elle. Aussitôt deux avocats se précipitent à la barre. S'ensuit un dialogue de cinq minutes, et la présidente passe à l'affaire suivante. Pendant tout ce temps, au fond de la salle, un homme et une femme s'épient. Sans proférer le moindre mot, ils s'échangent des regards furtifs où se lisent du ressentiment et de l'amertume. À peine les avocats ont quitté la barre que le couple accourt vers eux pour s'enquérir de l'évolution de leur affaire, en instance depuis 2005. “Alors, la magistrate veut bien me divorcer de lui. Qu'a-t-elle dit ?” s'impatiente Nassiba. Son avocate lui explique qu'elle requiert la réconciliation ou le kholâa (achat de la liberté). “Impossible. Plutôt mourir que de me remettre avec lui. Les médecins ont établi qu'il est schizophrène, mais il refuse de suivre le traitement qui lui a été prescrit”, sanglote la jeune femme visiblement effondrée. Modéliste, Nassiba a subi toutes sortes de violence : harcèlement moral, coups de poing, tentative de meurtre… Elle a tout supporté en bonne fille de famille comme lui ont recommandé ses parents, lesquels n'ont jamais été d'un grand secours : “Il faut être patiente, il ne faut pas provoquer ton mari.” “Mais un jour après une bagarre très violente où mon mari armé d'une hache a tenté de me tuer, j'ai décidé de quitter le domicile conjugal et de déposer une plainte”, raconte la jeune femme, âgée de 27 ans. Blessée dans sa chair et dans sa dignité, Nassiba n'a qu'un désir : se libérer de son tortionnaire. Même si les certificats des médecins attestent des violences physiques qu'elle a subies, au regard de la loi Nassiba doit payer sa liberté. Une somme de 100 000 dinars et le remboursement de sa dot de 50 000 dinars lui sont réclamés. Elle devra hanter pendant des mois le palais de justice afin d'obtenir le droit, pour elle et son enfant, au logement conjugal et le paiement d'une pension alimentaire que le mari ne versera certainement jamais, puisqu'il prétend être au chômage. Le dossier 3 130 est un vrai casse-tête judiciaire. Comment Lila peut-elle demander à sa belle-famille de reconnaître leur petit-fils si, au regard de la loi, elle n'a jamais été mariée ? Comble de malchance, l'imam qui a béni son union est devenu sénile. “Je sais que l'imam a été menacé par ma belle-famille afin qu'il ne témoigne pas en ma faveur. Elle ne veut pas que mon enfant hérite de son défunt père”, nous confie-t-elle. Lila a fait l'erreur de se marier sans acte. Deux mois après son union, son époux décède des suites d'un accident de voiture, la laissant enceinte : “Une semaine après l'enterrement de mon mari, ma belle-famille m'a intimé l'ordre de quitter le domicile conjugal.” Ils ne lui ont pas laissé le temps de faire son deuil. “Je suis sa femme et je porte son enfant, ai-je rétorqué dans un sursaut de dignité”, se rappelle la malheureuse. “Je ne veux pas d'héritage ni d'argent. Je veux juste que mon fils porte le nom de son père.” Âgé de trois mois, Fouad est considéré comme un enfant illégitime, au regard de la loi, puisque ses grands-parents lui dénient le droit d'une reconnaissance légale. Chaque dimanche, lundi et mercredi, le tribunal de Sidi-M'hamed vibre au gré des affaires de divorce, de véritables drames humains qui ne semblent jamais en finir, malgré les timides amendements introduits dans le code de la famille. Nabila Afroun