Le jour d'après, et comme par enchantement, plus rien n'était comme avant. C'est un peuple apaisé qu'on croise dans les rues et sur les routes. Il n'y a plus de rixes et presque plus de chauffards. Les enfants sont heureux, souvent nippés de “chinoiseries”. Les garçons — et pas mal de filles — ont tous le même jouet : un pistolet. À quoi jouent-ils ? Au flic ? Au terroriste ? Qu'importe. À quoi jouent leurs parents ? À quoi joue l'Etat ? Les premiers s'ébahissent sûrement devant l'agressivité naissante et sécurisante que suppose la pédagogie de ce divertissement ; le second y voit probablement une expansion salutaire, jusque dans les plus bas âges, de la doctrine de réconciliation nationale. N'est-ce pas la religion qui commande cette démarche d'accommodement réciproque ? Quoi de plus naturel que l'arme du crime se réconcilie avec l'innocence de l'enfant en ce jour dédié aux retrouvailles ! Et les contrebandiers sont là pour nous aider à réaliser nos célébrations perverties. Le jour d'après, c'est toujours le paradis des commerçants et des passeurs de camelote. La notion de service public a vécu. Il y a ce qui est licite et ce qui est illicite ; ce qui est pieux et ce qui est impie. De la même manière que ni l'Etat ni la société ne se sont sentis obligés de laisser quelques gargotes ou estaminets ouverts à l'intention d'éventuels visiteurs non musulmans, les boulangers ne se sont sentis obligés d'assurer un service minimum pour le deuxième jour de l'Aïd, dans certaines villes. Ou alors le minimum du minimum. Mais, la veille, ils avaient pris la précaution de préparer du pain pour deux jours. Peut-être parce que quelque contrainte administrative les oblige à ouvrir. Ce qui fait que dans les boulangeries d'Alger, on répondait aimablement et invariablement à votre commande : “C'est le pain d'hier.” Manière de vendre du pain même les jours où l'on n'en fabrique pas. Pourvu qu'ils n'aient pas été trop prévoyants, sinon, avec le week-end islamique qui vient s'amarrer à l'Aïd, on risque, par endroits, de manger de la baguette de trois jours. L'Aïd, ce n'est pas la fin du Ramadhan ; c'est sa continuation. Avec les mêmes dépenses ritualisées, le même assujettissement au bon vouloir du mercanti. Une seule différence : les plus bilieux d'entre nous se contraignent à l'affabilité de rigueur. En attendant que ça passe. Vivement samedi ? Oui. Mais alors, nous n'aurons plus d'excuse pour l'absentéisme et notre pieuse oisiveté, pour le sommeil de bureau ou de chantier, pour l'heure d'avance à la sortie des femmes, décidément toutes cuisinières. Du moins, il faudra d'autres excuses pour notre vacuité. Tant qu'il y aura du pétrole… À ceux qui ont fait de bonnes affaires, saha likoum ! À ceux qui s'en plaignent, saha aïdkoum ! M. H. [email protected]