Nous n'avons pas pu résister à la tentation de retourner au MaMa après avoir assisté au vernissage de ce 3e FIAC d'Alger qui a eu lieu le 3/12/2011 et qui a drainé une foule d'invités, d'amateurs et de curieux qui se sont plu à se tremper dans une atmosphère où l'inventivité et l'insolite le disputaient à la pertinence d'œuvres transcendées à travers l'équilibre savamment scénarisé des différentes altérités techniques et discursives présentées à notre appréciation. Périphérie versus «centralité» La thématique retenue – «Le retour» – est utilement précisée par Mme Nadira Laggoune-Ak-louche, commissaire de l'expo-sition, connue et reconnue tant chez nous qu'à l'international, quand elle affirme : «…Retour sur la problématique de la spéci-ficité/identité qui reste latente dans le développement croissant des festivals et biennales du Sud et sa double acception : le mouvement physique, réel, du déplacement dans l'espace géographique et le processus mental du retour à soi». Un retour à soi qui voudrait dire un refus de subir l'histoire que d'autres écri-vent pour nous et pour tout le monde, un retour au quant-à-soi par des pays sous-représentés dans le concert des «sociétés chaudes» (formule empruntée à Claude Levy-Strauss) qui ne supportent pas d'être cantonnés dans des rôles d'arrière-monde que leur assignent les occupants de la «centralité». Lesquels ne se privent pas de les «périphériser» sans toutefois s'empêcher d'en écumer la substance par mar-chands du temple interposés. Les interventions pertinentes qui ont eu lieu lors des conférences d'accompagnement du 4 décem-bre 2011, délocalisées pour la circonstance à la galerie Racim, sur le thème du «Retour sur les biennales et les festivals du Sud : stratégies et enjeux», ont mis l'accent sur ces problématiques, elles ont eu pour protagonistes d'éminentes personnalités nationales et internationales de la culture, des arts visuels en particulier (commissaires d'expositions, critiques et historiens de l'art, écrivains, philosophes) tels Salwa Mikdadi, Gerhard Haupt, Abdallah Keroum qui ont traité du premier thème («Les biennales/festivals du Sud dans la cartographie de l'art international : un échange inégal?») ; tels Simon N'jami, Gabriela Salgado, Marco Stamenkovic et Caroline Hanckok qui ont défriché le thème : «Parrainage occidental et identité des biennales/festivals du Sud». Un programme et un casting judicieux et équilibrés Mme Nadira Laggoune-Aklouche, commissaire de l'exposition, a procédé à une programmation et à un casting, pertinent parmi une population d'artistes jouissant d'une visibilité certaine au gré de CV significatifs d'une dimension réputationnelle confirmée et parfois même d'une notoriété établie d'artistes fréquentant régulièrement des manifestations et des institutions bien en vue comme la Tate Modern de Londres, le Centre Georges- Pompidou, le Nichido Contemporary Art de Tokyo, la Biennale de Dakar, Marrakech Art Fair, le Panaf d'Alger, la Biennale du Mercosul de La Havane… entre autres. Le choix des œuvres a été opéré en respectant un certain nombre d'équilibres : celui des médiums (peinture, sculpture, installation, vidéo, photographie, dessin sur mur… et même messagerie audio) ; celui des générations d'artistes ; celui des profils professionnels (des autodidactes aux super diplômés) ; celui des aires culturelles (pas moins d'une vingtaine de nationalités) ; celui des expressions culturelles (arts plastiques, conférences-débats, musique). Ce dernier volet est une première au MaMa qui a prévu, dans un but de sensibilisation du grand public, trois concerts relevant de grands courants du XXe siècle (impressionnisme, dodécaphonisme, néo-classicisme et musique d'avant-garde). Le programme retenu pour le 14 janvier 2012 était particulièrement intéressant, il avait pour thème l'histoire de la musique contemporaine, avec une thématique traitant de l'apport de l'Américain John Cage (1912-1992) qui dès 1952 «inventa» le happening en mixant la musique de David Tudor, la danse de Merce Cunningham, la peinture de Robert Rauschenberg et la poésie de Charles Olsen et Mary C. Richards. Il influença par la suite le groupe Flux US fondé dans les années 1960 qui expérimenta l'association du son et de l'image en réunissant des protagonistes de réputation universelle. Des médiums et des hommes… Un retour au MaMa un mois après le vernissage nous a permis de préciser une lecture superficielle qui s'est avérée insuffisante au regard des textes d'accompagnement placardés dans les espaces réservés à chacune des œuvres. Nous avons pu ainsi apprécier à notre convenance les travaux de : Aïcha Filali (Tunisie). Avec un photomontage sur tissus de 400 X 270 cm, elle manifeste son désir de transcender certains problèmes sociaux par le truchement d'images de la vie réelle qu'elle plaque sur la neutralité des vitres des fenêtres de la façade grandiloquente du ministère tunisien de la femme, de la famille, de l'enfance, des personnes âgées, etc., «et d'un pays souterrain», dixit l'artiste excédée. Alice Anderson (Royaume-Uni) évoque, dans une vidéo de 14 minutes, ses souvenirs d'enfance, une façon pour elle de travailler sur la thématique du temps et de la mémoire. Amal Benattia (Tunisie) relate, dans une vidéo de 7 minutes 51 secondes, les projections politiques fantasmées par un groupe de citoyens astreints à un couvre-feu par les nouvelles autorités du pays. Andrey Kuzkin (Russie) s'adonne à une performance relatée par une vidéo de 40 minutes 45 secondes qui le montre en train de tourner en rond jusqu'à épuisement afin de tenter de pérenniser son empreinte dans une aire remplie de béton frais qui finira par le vaincre par sa force d'inertie. Une sorte de parabole de la lutte de l'homme contre l'inéluctable prégnance du temps. Atef Berredjem (Algérie) présente des photographies numériques insérées dans des caissons lumineux représentant deux portraits de la même personne dont la partie inférieure du visage est envahie par l'image d'un gros robinet. Une manière, pensons-nous, de «métaphoriser» la faculté de l'homme à réguler les pulsions intimes qui le colonisent. Bouchra Khalili (Maroc) relate, dans une vidéo de 3 minutes 30 secondes, les tribulations d'un voyageur clandestin désireux de se rendre de Ramallah à Jérusalem. Elle illustre son discours par une carte de la région où elle nous restitue le tracé des itinéraires semés d'embuches rencontrés du fait du contrôle implacable de la région par les forces israéliennes. Cheikho BA (Sénégal) privilégie l'installation papier pour signifier les ambiguïtés que charrient les foules et les multitudes qui peuplent ce monde. Claudia Casarino (Paragay) dé-nonce par une installation constituée de près d'une centaine de chemises de nuit, en tulle rose et blanc, tout en transparences, l'emprise du marketing sur les jeunes, les filles notamment, cibles privilégiées de ce que l'artiste nomme «princess system». Dan Perjovschi (Roumanie) «squatte» plusieurs pans de mur en y inscrivant une prolifération improbable de dessins sché-matisés et de graffs, stigmatisant la société actuelle avec tous les problèmes politiques, écono-miques et culturels qui la traversent. Driss Ouadahi (Algérie) s'intéres-se, dans une huile sur toile en triptyque (200x180 cm) d'une facture quasi hyperréaliste, à l'enfermement claustrophobe de certains espaces urbains qu'il matérialise par un grillage éventré par endroits signifiant l'évasion d'une quotidienneté contraignan-te. Giorgio Andreotta (Italie) ne présente aucune œuvre visuelle. Il s'exprime dans un message audio relatant son voyage à pied d'Amsterdam à Venise, sa ville natale. Ce message a été traduit et déclamé en arabe pour la version destinée à Alger. C'est cet étrange bruit de fond qu'on perçoit tout au long de notre présence au MaMa et qui pique notre curiosité, nous incitant à nous intéresser à cette œuvre invisible mais ô combien présente de manière ubiquiste. Une œuvre qui nous suit et qu'on «voit» avec les oreilles. Astuce à laquelle il fallait penser. (Suivra)