Il existe une véritable caco-phonie en matière de politique socioéconomique avec les déclarations des responsables contradictoires à intervalle régulier, désarçonnant les observateurs les plus avertis mais donnant une image de non- gouvernance au niveau tant national qu'international. En réalité, toutes ces enquêtes ne sont que la partie visible de l'iceberg dont la partie cachée est plus large. Malgré le pré-programme 1999/2003 (7 milliards de dollars US), le programme 2004/2009, dont le montant clôturé à 200 milliards de dollars US fin 2009 (aucun bilan à ce jour) et le nouveau programme 2010/2014 de 286 milliards de dollars dont 130 sont des restes à réaliser du programme 2004/2009, les résultats sont mitigés. Le taux de croissance moyen entre 2000/2011 n'a pas dépassé 3% essentiellement tiré par la dépense publique via les hydrocarbures, 98% d'exportation provenant des hydrocarbures et important 70/75% des besoins des ménages et des besoins des entreprises publiques et privées. Comme le taux d'emploi est fonction du taux de croissance, le taux de chômage officiel est un taux artificiel que voile la rente des hydrocarbures où nous assistons à une redistribution passive de revenus pour une paix sociale éphémère. Et ce malgré des réserves de change grâce aux hydrocarbures qui clôtureront à 200 milliards de dollars fin décembre 2012, richesse virtuelle, dont 90% sont placées à l'étranger. L'Algérie, selon un récent rapport international, dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultat par rapport aux pays similaires. Face à ce dépérissement du tissu productif, trois années de report du dégrèvement tarifaire horizon 2020 suffiront-elles à hisser les entreprises algériennes au niveau de la concurrence internationale, cela étant encore plus contraignant si l'Algérie adhère à l'OMC ? Rien n'est moins évident sans de profondes réformes structurelles. Des discours contradictoires sur la rigueur budgétaire La troisième déclaration est celle du ministre des Finances contredisant le gouverneur de la Banque d'Algérie et le président du Conseil national économique et social qui reprenant mes analyses parues il y a de cela plus de deux années dans la presse locale et internationale (voir à ce sujet le dernier numéro de la revue mensuelle du monde arabe — Arabies août-septembre 2012 — dossier Algérie) , après avoir dit le contraire courant 2010, annonçaient officiellement que l'Algérie ne pouvait continuer à dépenser sans compter sur la base de 70 dollars le baril pour le budget de fonctionnement et 40-45 dollars pour le budget d'équipement sans le risque de conduire le pays à la dérive à terme et à une hyperinflation en cas d'un fléchissement durable du cours des hydrocarbures. Je cite le ministre en date du 31 août 2012. «Le gouvernement ne prévoit pas de cure d'austérité ou de rigueur budgétaire pour l'exercice 2013». Ainsi, dans un contexte de ralentissement économique mondial, l'Algérie maintient son programme d'investissement public massif axé surtout sur les infrastructures, cependant avec un important déficit budgétaire pour les années 2011/2012. Pour 2011, le déficit budgétaire a été d'environ 63 milliards de dollars au cours de l'époque, soit 33,9% du PIB. Pour la loi de finances 2012, sur la base d'un taux de change de 75 dinars le dollar, retenu par le projet de loi, cela donne un déficit d'environ 25% du produit intérieur brut. Mais ce léger recul du déficit budgétaire s'explique par le fait que le budget de l'équipement enregistre un recul de 32% par rapport à 2011. Mais quelle est la réalité du déficit budgétaire entre 2011/2012 ? Pour un calcul transparent du budget, il serait souhaitable à la fois de préciser les mécanismes de cotation du dinar par rapport notamment au cours du dollar et de l'euro et de supprimer le fonds de régulation afin de calculer le budget selon le cours moyen du marché et de placer éventuellement la différence au niveau d'un fonds de stabilisation pour les générations futures. En effet, tout dérapage rampant du dinar par rapport au dollar, les ventes d'hydrocarbures étant reconverties du dollar en dinars, gonfle artificiellement le fonds des recettes et voile l'importance du déficit budgétaire. Si on suppose une appréciation du dinar de 50% par rapport au dollar, le déficit budgétaire dépasserait largement 50/60% du produit intérieur brut. Cet artifice d'écritures expliquent que souvent la Banque d'Algérie dévalue simultanément le dinar à la fois par rapport au dollar et à l'euro, ce dernier renchérissant les importations des produits également écoulés sur le marché national en dinars auquel la valeur finale, sans compter les coûts des circuits de distribution, est amplifié par les taxes douanières calculées sur la valeur import en dinars. Quelle gouvernance face à cette cacophonie ? L'économie algérienne est sous perfusion de la rente des hydrocarbures, les lois et la création d'institutions bureaucratiques inefficientes étant contredites par les pratiques sociales quotidiennes que vit dramatiquement la majorité de la population algérienne sans relations de clientèles. Les erreurs de management quotidien sont couvertes grâce au transfert financier qui transite par le système financier et qui irrigue tout le système via la rente des hydrocarbures. Selon le ministre des Finances, déclaration du 20 janvier 2012, la cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) a reçu 11 déclarations de soupçons en 2005, 36 en 2006, 66 en 2007, 135 en 2008 et 328 en 2009 avant que ces déclarations ne s'élèvent à 3 302 en 2010 et 1 398 en 2011. Le constat est unanime pour les experts : il n'y a pas de proportionnalité entre les impacts économiques et les dépenses monétaires assistant à la déconnection de la sphère financière par rapport à la sphère réelle, les réserves de change allant vers 200 milliards de dollars fin 2012, richesse virtuelle provenant de la rente. Or, la vraie richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. D'une manière générale, l'on peut établir une règle de l'évolution des réformes de l'Algérie durant ces trois dernières décennies plus les cours des hydrocarbures sont élevés plus les réformes structurelles qui forcément déplacent des segments de pouvoir, les gagnants d'aujourd'hui ne sont pas forcément ceux de demain, sont freinés par le poids des couches rentières. Force est de reconnaître que l'Algérie en cette année 2012 est en plein syndrome hollandais. Or, l'Algérie ne saurait vivre dans une île déserte étant concernée par l'actuelle crise mondiale et a besoin d'une planification stratégique qui colle aux nouvelles mutations mondiales. Ces mutations conditionnent un développement durable hors hydrocarbures sachant que l'Algérie ayant actuellement 37 millions d'habitants en 2012, et dans 30 ans, 50 millions) sans hydrocarbures – entendu en termes de rentabilité financière posant la problématique de la transition d'une économie de rente à une économie productive rentrant dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux. Il existe un lien dialectique entre développement et démocratie tenant compte des anthropologies culturelles supposant de profonds réaménagements des structures du pouvoir algérien. Et comme fondement la moralité de ceux qui dirigent la cité, si l'on veut éviter ce cycle de la décadence, cette société anomique mise en relief par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun. (Suite et fin)