, Après avoir poursuivi durant plusieurs semaines son artisanat meurtrier quotidien à Ghaza et maintenu hermétiquement bouclée depuis six ans la plus gigantesque prison du monde à ciel ouvert, l'Etat hébreu se pose en pauvre victime de roquettes que les emmurés envoient sur son territoire, histoire de se prouver à eux-mêmes que les mesures coercitives dont ils sont accablés jour et nuit par le colonisateur ne les ont pas encore transformés en zombies rampants et prêts à lécher les mains et les pieds du dompteur qui les guette du haut de son mirador, le fouet levé bien haut. Le sionisme a pris son essor à la fin du XIXe siècle et c'est à la fin de la Première Guerre mondiale que des immigrés en grand nombre, issus notamment d'Europe de l'Est, se sont élancés en direction de la Palestine. Très rapidement, se constituèrent de puissants groupes armés que l'Angleterre, colonisateur en titre de la région après le Traité de Sèvres du 10 août 1920, qualifiait de terroristes. Ils ne se contentaient pas de tuer des Palestiniens, mais pratiquaient des attentats meurtriers contre l'armée et les sujets de sa gracieuse majesté en véritables artistes d'un terrorisme aveugle et cynique, d'une efficacité redoutable. Sans la domination financière de la City sur la planète jusqu'à la Seconde Guerre mondiale et la création de sa monnaie privée le 23 décembre 1913 — le dollar — par les soins de ses filiales dans le Nouveau Monde, le sionisme serait resté une excroissance nationaliste hérétique, localisé en Europe de l'Est, d'un judaïsme principalement pharisaïque d'influence talmudique. Sans la domination financière anglo-saxonne sur la planète, l'Etat d'Israël n'aurait pas pu exister et les fidèles du dieu Jahvé auraient continué à vivre entre eux dans les multiples Etats dont ils étaient devenus nominalement les citoyens, selon les préceptes ségrégationnistes d'Esdras pour la majorité d'entre eux, ou se seraient convertis à un judaïsme spirituel qui, sautant à pieds joints par-dessus les principes du Talmud, trouve sa source chez ses grands prophètes bibliques. Il survit aujourd'hui dans le petit groupe des Naturei Karta , mais leur nombre est devenu infime. La Seconde Guerre mondiale a rebattu les cartes et le centre du pouvoir s'est déplacé de la City de Londres à Wall Street. De plus, les persécutions dont les juifs furent victimes dans l'Allemagne nazie et dans une grande partie de l'Europe ont fourni des arguments nouveaux au mouvement sioniste. Ils ont permis, dans la foulée son officialisation au mépris du principe fondateur de toute légalité internationale, à savoir le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le rôle du pion sioniste et le destin des Palestiniens dans la «realpolitik» des grands blocs aujourd'hui L'impunité dont jouit l'Etat sioniste s'explique par sa situation privilégiée dans la tectonique des plaques que constituent les deux grands blocs géopolitiques qui s'affrontent dans la région moyen-orientale. Pour continuer dans la métaphore de la géologie, Israël se trouve sur la ligne de fracture de deux gigantesques plaques intercontinentales : la plaque russo-chinoise qui se déplace du nord au sud et la plaque américano-européenne qui progresse d'ouest en est. Chacune de ces plaques entraîne dans son sillage des nations qui partagent plus ou moins les mêmes intérêts, mais surtout qui ont les mêmes ennemis : l'Iran, la Syrie, partiellement l'Irak et le Sud du Liban pour la plaque russo-chinoise, alors que le continent européen, ficelé à l'Amérique du Nord, sa projection au Moyen-Orient -— l'Etat sioniste — augmentés de la Turquie et d'un groupe d'étaticules artificiels dans la péninsule arabique dont les frontières correspondent globalement aux gisements d'hydrocarbures, se déplacent à vive allure et tentent de couler la plaque russo-chinoise rivale en la coupant en son centre, la Syrie. C'est ce qu'on appelle la Realpolitik, c'est-à-dire une politique étrangère fondée sur le seul intérêt national dont la réalisation dépend du calcul des forces en présence. Dans ce genre de confrontation, les références aux droits de l'homme, à la démocratie et autres chamarrures morales sont utilisés comme des rideaux de fumée médiatiques destinés à masquer les conflits d'intérêt et à enfumer les cervelles des peuples. «La première victime d'une guerre est la vérité». Au cours de ce choc titanesque et à l'intérieur des deux grands groupes, les Etats qui les composent en profitent, s'ils en ont l'occasion, pour grapiller des avantages qui leur sont propres et que l'avancée globale du groupe auquel ils appartiennent leur permet d'amasser. Pour l'instant, seule la diplomatie européenne semble assez aveugle - ou trahie par ses élites - pour ne travailler que dans l'intérêt des Etats-Unis et d'Israël. Il semble que la Turquie ait, elle aussi, «travaillé pour le roi de Prusse», c'est-à-dire pour Israël, dont elle est, en principe l'ennemie depuis l'assassinat de neuf de ses ressortissants sur le Mavi Marmara lors de la tentative de la première flotille de briser le blocus de Gaza. Le rôle d'accélérateur principal dans le choc des intérêts des deux groupes revient aujourd'hui au lilliputien, mais richissime Qatar, qui vient de jaillir comme un diable de sa boîte sur la scène internationale, la besace remplie de dollars. L'omniprésence de son dirigeant et la politique de corruption universelle de tous les dirigeants qu'il rencontre — et il se déplace beaucoup — afin de les plier à ses intérêts sont si capitales qu'il est avec Israël, son compère et complice, le principal deus ex machina du tourbillon guerrier que connaît la région. Il veut, par tous les moyens, la destruction de la Syrie, parce que cette dernière s'oppose au passage d'un gazoduc entre son croupion d'Etat et la Méditerranée et refuse de changer d'alliance pour rejoindre le bloc occidental. Ce gazoduc à travers l'Arabie, l'Irak, la Syrie et débouchant à Homs est vital pour cet Etat gazier, obligé, pour l'instant, de faire transiter son gaz par mer avant de déboucher en Méditerranée. Le remuant Cheikh a réussi à allécher les Européens croulant sous les dettes et à les agréger à son projet. Quant à Israël, il est son allié depuis belle lurette. Dans le scénario gazier concocté par le Cheikh Al Thani, à partir de Homs, une bretelle allait rallier Israël et une autre la Turquie et faire de ces pays des distributeurs du gaz qatarien en direction de l'Europe pour la Turquie, vers l'Afrique pour Israël et leur assurer un pont d'or grâce aux royalties récoltées au passage. L'inexplicable et brutale hostilité du gouvernement Erdogan à l'égard de son ancien allié, commence peut-être à trouver là un début d'explication. [1] Or, les Palestiniens et leurs revendications nationales, notamment celles du Hamas, ne sont aux yeux du Qatari que des gêneurs. Au diable la solidarité sunnite ou arabe, vive la solidarité gazière. C'est pourquoi il a tenté d'acheter ses dirigeants et semble avoir rencontré un os auprès de M. Haniyé et un plein succès auprès de Khaled Meschaal. Le Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani finance toutes les formes de traîtrise et poignarde les Palestiniens dans le dos tout en se présentant comme leur bienfaiteur. C'est également lui qui paie tous les djihadistes égorgeurs racolés sur la planète entière - appelés terroristes lorsqu'ils opèrent dans les Etats occidentaux et résistants lorsqu'ils décapitent ou défenestrent des Syriens chrétiens ou shiites. La ligne de fracture entre les plaques géopolitiques source du tremblement de terre actuel au Moyen-Orient, passe donc par la Syrie et Israël. C'est pourquoi la guerre se déroule sur le sol d'une Syrie récalcitrante depuis deux ans, après que le réel mouvement d'opposition démocratique a été étouffé et phagocyté par le Qatar qui entend y installer ses propres créatures — ce qu'il a commencé de faire au cours de la récente rencontre de Doha. La France s'est empressée de faire chorus. Quant à l'Etat hébreu, il a jugé favorable à sa realpolitik à long terme de provoquer aujourd'hui, non pas une guerre, car il n'y pas d'armée à Gaza, mais un de ces massacres de populations dont il a le secret depuis des décennies, en rompant la trêve avec le Hamas par quelques assassinats ciblés et symboliques, comme celui de Ahmed Jabari, commandant en chef du Hamas à Gaza, afin de continuer à broyer la résistance et de tenter de la dompter. Le ministre de l'Intérieur israélien Eli Yishai déclarait à propos de Gaza : «The goal of the operation is to send Gaza back to the Middle Ages. Only then will Israel be calm for forty years.» («Le but de cette opération est de renvoyer Gaza au Moyen-Age. Alors seulement, nous serons tranquilles pour quarante ans.» (Haaretz) Pour l'Irak, c'était «l'âge de pierre». Le «Moyen-Age», pour les Palestiniens. On progresse, et après ça certains diront encore que les Israéliens ont un cœur de pierre ! Après avoir lancé sa machine de mort, assis sur sa ruse de guerre et assuré de la complicité de tous les alliés de son groupe, l'Etat hébreu se pose en victime d'une nouvelle «shoah» parce que son territoire reçoit quelques roquettes de représailles. Immédiatement, le chœur des «droit-de-l'hommistes» occidentaux répercute les lamentations : «Israël a le droit de se défendre...». Elémentaire, mon cher Watson. Il est vrai que cette fois, ces méchants Palestiniens se sont défendus d'une manière que les faucons israéliens n'avaient pas prévue. On sait que la politique poursuivie avec opiniâtreté par tous les partis sionistes, demeure l'élimination pure et simple de tous les Palestiniens de leur terre, avec pour choix le cercueil, l'exil ou le transfert en Jordanie. Pour cela, tous les moyens sont bons : après «Pluie d'automne», «Plomb durci», «Pilier de défense», il y aura d'autres campagnes aussi cyniquement dénommées. C'est pourquoi avant la signature d'une trêve que Ahmed Jabari n'est plus de ce monde pour apprécier la manière dont Israël la respectera, les Palestiniens seraient bien inspirés de se plonger dans la lecture du Talmud et notamment de l'ajout qui lui a été apporté au XIe siècle, le Kol Nidre, la prière qui ouvre la fête de Yom Kippur et qui dispense celui qui la prononce de respecter tout serment, tout vœu et tout engagement. Certains des prisonniers libérés dans le cadre de l'échange contre Shalit et réemprisonnés illico ont vu de quelle manière les Israéliens tiennent leurs engagements. Kol Nidre «Tous les vœux que nous pourrions faire depuis ce jour de Kippour jusqu'à celui de l'année prochaine (qu'il nous soit propice), toute interdiction ou sentence d'anathème que nous prononcerions contre nous-mêmes, toute privation ou renonciation que, par simple parole, par vœu ou par serment nous pourrions nous imposer, nous les rétractons d'avance ; qu'ils soient tous déclarés non valides, annulés, dissous, nuls et non avenus ; qu'ils n'aient ni force ni valeur ; que nos vœux ne soient pas regardés comme vœux, ni nos serments comme serments. (Traduction d'Elie Munk, Le Monde des Prières, pp. 347-348, éditions Keren HaSefer ve HaLimoud) (Wikipedia) Comme par hasard, le trône du roi Abdallah est, en ce moment, ébranlé. Les révoltes et les manifestations se multiplient en Jordanie et attendent leur nouveau gauleiter, Khaled Meschaal. Quelle heureuse coïncidence pour Israël. L'Occident moralisateur et complice des crimes sionistes oublie que la Realpolitik n'est pas synonyme de cynisme. Si les dirigeants français et européens avaient lu L'art de la guerre de Sun-Tsu ou Le Prince de Machiavel, ils sauraient que la realpolitik est même, au contraire, l'art de gérer la paix par la diplomatie, comme Bismarck, inventeur de ce mot, en a fourni l'exemple. Le cynisme «machiavélique» est l'ennemi de la realpolitik. Or, c'est précisément d'un cynisme machiavélique au petit pied que font preuve les Etats occidentaux lorsqu'ils approuvent la nouvelle tuerie de Gaza au nom d'une prétendue «défense» de la «sécurité» d'Israël . Dans l'évaluation du «calcul des forces», ces dirigeants aux dents longues, mais aux idées courtes croient que les «forces» se résument au nombre de missiles et aux milliards que les chameliers arabes, assis sur leurs réserves d'hydrocarbures, peuvent déverser sur des dirigeants aux finances en berne. Je ne parle pas d'une Europe anesthésiée par la quasi totalité de ses médias, mais des peuples du bassin de la Méditerranée, récemment débarrassés des tyrans qui s'étaient incrustés au pouvoir depuis des dizaines d'années, et qui ne sont pas encore suffisamment repris en main par leurs nouveaux maîtres pour accepter passivement le spectacle des massacres actuels d'une population encagée et tirée comme dans un ball trap. L'instinct de justice naturel aux peuples qui se pensent libérés de leurs dictateurs, empêchera leurs dirigeants de laisser mourir Gaza, notamment en Egypte et en Turquie. Le Président Morsi est en train d'en faire l'expérience. Quelques discours blablateurs ne suffiront pas à calmer la rue. Ces hommes politiques n'agiront pas par grandeur d'âme, mais ils savent que leur sort personnel est en balance. Quant aux héroïques résistants de Gaza, ils ont déjà réservé quelques surprises militaires à leur prétentieux agresseur, à commencer par M. Netanyahou que la peur cloue dans un bunker. Lorsque l'équation deviendra insoluble, que les terroristes djihadistes qui défiguent la Syrie et sont une offense aux authentiques opposants, auront été éliminés, que le boulet des crimes d'un allié qui se réclame du mythe que vous brandissez haut et fort deviendra trop lourd à assumer et portera un préjudice mortel aux intérêts de l'empire et des Etats dits «démocratiques» d'Occident, l'oncle Sam cessera de tapisser le berceau de son vorace nourrisson de billets verts, d'ailleurs de plus en plus dévalués, le confetti qatari retournera à son désert et à son harem et les pays européens qui avaient espéré se «refaire», comme on dit d'un joueur de casino, en pillant les ressources énergétiques des pays arabes, seront grosjean comme devant. Le destin du rêve sioniste est étroitement lié à celui de l'invention monétaire maffieuse de son protecteur. Le sionisme, l'empire américain et les Européens vassalisés se soutiennent aujourd'hui, demain, ils s'écrouleront ensemble. (Suite et fin) Aline de Diéguez [1] Syrie : Le trajet des gazoducs qataris décide des zones de combat, par Nasser Charara Syria, Turkey, Israel and the Greater Middle East Energy War par F. William Engdahl