Depuis l'instauration du multipartisme, l'Algérie n'a jamais su construire une classe politique inventive capable de se positionner en alternative. Il est stupéfiant de constater que la majorité des personnalités qui s'octroient le rôle d'opposants proviennent pour la majorité d'entre eux du gouvernement. Peut-être sommes-nous le seul pays au monde où le recyclage politique des individus passe d'abord par un ministère et par des institutions officielles. La majorité de ces personnages ne découvrent le chemin de l'opposition et la liberté du ton qu'après avoir échoué dans l'exercice du pouvoir sans l'admettre et surtout sans le dire, parce qu'ils ne se sentent redevables en aucune façon devant le peuple, ce qui pose problème par rapport à leur cooptation au sein du gouvernement et ensuite à leur statut d'opposants. Ces handicaps sont loin de représenter des atouts en vue de constituer une force d'opposition crédible. Parmi les noms pouvant être évoqués et qui symbolisent cet état des lieux, figure Ali Yahia Abdenour, président d'honneur de la Laddh, qui, d'un passage au gouvernement en 1965, se retrouve à Sant'Egidio à Rome après de longues fiançailles avec le courant islamiste qui a été à l'origine de la tragédie du sang qu'a connue notre pays, que le peuple continue à subir de nos jours. Ce même individu n'a pas hésité à déclarer récemment par des propos hallucinants que l'armée et le DRS devaient destituer le président Bouteflika. Comment comprendre cette incohérence consommée ? Je cite : «Lors de son discours, le président a donné une image pathétique d'une personne usée par la maladie, incapable d'assurer sa fonction. L'article 88 est peut-être la solution» et encore «Si le président de la République est reconnu comme ne pouvant pas assurer ses fonctions, ce sera à l'armée de prendre sa responsabilité». Voilà donc un vieillard cacochyme qui attaque le président sur sa prétendue incapacité à gouverner vu son âge alors que lui-même va bientôt battre un record planétaire de longévité. La tragédie algérienne se résume dans ce personnage qui, après avoir cautionné les islamistes, voire même comploté à l'extérieur avec le contrat de Rome signé conjointement avec des personnalités de tous bords contre l'armée qu'il fustige régulièrement dans les salon occidentaux et d'Alger, la traitant de «junte», nous apprend que son «mûrissement» politique le conduit à formuler une demande à l'armée pour qu'elle intervienne dans le champ politique afin de destituer un président élu. On peut dire sans hésiter qu'après avoir appartenu à une coquille vide, la CNCD, avec son compère Saïd «Samedi», il se retrouve dans le club de l'article 88. Ce club sélect compte dans ses rangs une opposition hétéroclite qui ne privilégie certes pas les débats de projets de société mais se focalise uniquement sur les bulletins de santé du président. L'amnésie caractérise ces personnages tant leur capacité d'oubli est proportionnelle à la stérilité de leurs propositions, et tous sont unanimes pour adopter la devise «Bouge-toi de là que je m'y mette». Parmi eux, citons Benbitour, ex-chef du gouvernement qui se cherche actuellement une place d'opposant professionnel, jouant à la Ligue 1 des Opposants, il y a aussi Sid Ahmed Ghozali qui se redécouvre une vitalité subversive impressionnante une fois hors circuit, n'oublions pas Saïd Samedi et son parti appartenant au même club 88, qui après avoir siégé au premier gouvernement de Bouteflika renoue avec le «militantisme» sous la protection de ses quatre gardes du corps rétribués par le contribuable, Abou Jerra (de son vrai prénom Abou Guerra) Soltani, islamiste de l'import-import et de l'économie de bazar qui a squatté plusieurs gouvernements et qui après avoir vu sa jarre se casser au sein de l'exécutif s'est reconverti à la contestation tout en rêvant de gratter le ticket qui le portera à El Mouradia, ou celui qui a géré son parti par fax à partir de la Suisse. La liste de ces échantillons est interminable. Leur caractéristique commune est que dès qu'ils mettent un pied sur le parking de la chefferie du gouvernement pour le départ, se mettent à beugler, et pour certains, à vouloir proposer des solutions qu'ils n'ont jamais évoquées lors de leur exercice du pouvoir. L'Algérie est-elle condamnée à voir son opposition émerger des «remerciés» du gouvernement ? Etant donné que la multitude de partis politiques qui va du parti «de l'Arbre» jusqu'au parti «de l'Abeille» ne sert absolument à rien sauf à la décoration et à l'enrichissement personnel à travers la culture Bagarra, nous sommes amenés à nous poser la question fondamentale quant à l'utilité et au bilan du multipartisme. Certaines voix vont dire que l'évolution vers cette création de diversité partisane était inévitable et qu'on ne pouvait pas freiner la roue de l'Histoire en ce qui concerne la libre expression politique, mais il est temps avec ce qui se passe dans le monde arabe et dans le monde en général, de tirer les conclusions de ce processus qui, à défaut d'avoir un parti unique, nous a ramenés vers plusieurs partis uniques avec des conflits internes indignes et vulgaires où l'on se dispute la place du chef plutôt qu'entreprendre des débats porteurs servant à la nation et apportant un plus à la société. Rappelons qu'en Europe, nous ne sommes pas face à un schéma de présence politique dans l'intensité ou le fourmillement mais plutôt dans une représentation réelle des courants qui traversent la société. Certes, se lancer dans cette comparaison est difficile car des voix discordantes nous diront que notre expérience est nouvelle alors que la vieille Europe s'est affranchie de ce débat depuis longtemps, mais que cela ne nous empêche pas d'amorcer un examen sérieux de notre évolution de jeune Etat. Un climat nauséabond s'est dégagé ces derniers temps avec la maladie du président, des spéculations, des propos surréalistes ont fusé de la part de gens qui sont figés dans la conception politique et dont le seul mouvement est l'ambulance qui se dirige vers la présidence. Ce vide effarant, abyssal, dans lequel «l'élite» politique qui ne bouge que par et pour la maladie du président Bouteflika n'augure rien de bon quant à l'avenir. Nous ne sommes pas dans la perspective de relève, dans la mesure où le déficit de formation politique est la caractéristique la plus apparente de cette conjoncture. Les partis soi-disant d'opposition rivalisent dans la médiocrité avec les partis au gouvernement et si rien ne change, nous nous dirigeons tout droit vers un concours général d'insignifiance politique. Cette phase marque l'impasse stratégique du pays. La débâcle de ces politiciens prétendûment opposants et qui a atteint un point de désertification majeure a propulsé la presse vers l'exercice de la politique au lieu de l'information, ce qui est en soi une véritable catastrophe, car les contrepouvoirs s'alimentent les uns les autres et sortent de leur cadre en jouant un rôle qui n'est pas le leur. C'est le cas d'une presse qui s'est transformée en partis politiques non avoués, sans aucun projet et versant uniquement dans la critique négative. Depuis l'ouverture du champs médiatique, on voit une presse sans repères à part peut-être d'avoir des pages de pub et de faire des affaires et qui au lieu de jouer son rôle initial d'infomer le public, a oublié son rôle de presse d'investigation et chasse sur le terrain de la défaillance politique, cautionnant la morosité générale. La presse peut-elle prétendre avoir son propre candidat ? Seul le temps nous répondra. Nous n'écartons aucune éventualité tant nous sommes dans une époque régressive à tout point de vue. Elle qui vient de fêter la liberté d'expression n'a pas grand-chose à fêter tant elle s'est éloignée du message de nos martyrs de la plume, s'embourbant dans les chemins minés au lieu de s'inspirer de ces braves journalistes fauchés à la fleur de l'âge par l'hydre intégriste. Qu'est devenu cet idéal qui nous a tellement animés lors de notre première expérience journalistique, moi et mon défunt ami le docteur Ould Amer Achour, médecin-conseil intègre parti trop tôt, le type d'homme dont l'Algérie a bien besoin dans les moments sombres et qui a participé à la construction du pays par son effort et son dévouement au service public ? La substance matricielle d'une opposition responsable provient de sa capacité de suggestion et créativité et non pas des intrigues et autres comportements et gesticulations rétrogrades qui ne nourrissent pas le débat et entretiennent le désastre national. De ce état de faits, on remarquera un désintéressement quasi-total de la population algérienne par rapport au milieu politique qu'elle regarde comme un groupe d'extra-terrestres venus quémander une place au soleil et qui se fichent éperdûment des préoccupations d'une société hyper dynamique, celle-ci dépassant de loin les egos surdimensionnés et les guéguerres interminables des coqs de basse-cour. Les exigences de la société algérienne ne se retrouvent pas dans ces partis politiques exsangues car elles devancent la lecture périmée des salonnards qui s'octroient sans honte la légitimité de parler au nom du peuple. Cette situation a produit toutes sortes d'animaux politiques exotiques, allant du club de l'article 88 aux individus loufoques sévissant au sud avec une inculture caractérisée, en passant par des agents de l'étranger du genre Mehenni du MAK, Rachad, différents groupuscules de blogueurs activistes, les associations à but seulement lucratif, les salafistes intermittents du spectacle de l'horreur, etc. Ce produit intérieur brut de la nullité politique agresse la société et brutalise tout processus de maturité positive. C'est un véritable océan qui sépare la société de cette élite défaillante dans lequel prolifèrent des agitateurs professionnels qui symblisent le déclin et entretiennent un climat malsain, ceux-ci ne pouvant prospérer que dans les marécages de l'incertitude et du doute. Les éléments de la subversion ne sont pas là pour un changement positif, bien au contraire, ils n'existent que dans les moments d'illisibilité et de brouillard, leur substance étant par essence néfaste parce que liée à des lobbies et groupes de pression étrangers, tout en se nourrissant de la corruption qui sévit au sein d'une administration gangrénée par des parasites qui sabotent le travail titanesque accompli durant des décennies par la plupart des cadres honnêtes. Dans ce cas de figure, la défaillance des partis politiques qui ont cédé leur place à l'agitation et aux charlatans professionnels est de l'ordre de l'éthique et leur responsabilité est pleine et entière. Cette situation n'est nullement imputable au seul président qui peine à trouver un appui à son projet au sein des partis du gouvernement qui souffrent d'une instabilité qualitative auprès de leurs instances et qui se fourvoient dans un chemin tortueux plein d'embûches où ils n'hésitent pas à se donner en spectacle pour la place du commandement et des privilèges, occultant les enjeux capitaux de la nation dans une conjoncture géopolitique sans pitié. La jeunesse de la classe politique algérienne ne lui donne pas pour autant l'alibi d'être un facteur augmentant les risques d'instabilité déjà bien présents par le processus biaisé qui l'a vu naître et par l'incompétence sévissant soit dans son propre mécanisme (manque de vision stratégique, absence de ligne directrice, présence manifeste uniquement lors des scrutins transformés en supermarchés des voix et des places). Bien au contraire, il est temps d'amorcer un débat porteur de projets que doivent impérativement véhiculer ces partis politiques sous peine de faire le constat amer de leur inutilité. L'art de la politique ne se confond pas avec la Bourse ou le marché à la criée, il nécessite des gens à la hauteur de la tâche, ayant une exigence par rapport à la conception d'une société moderne. Il est temps pour nous tous de réhabiliter la politique avec l'instauration d'une éthique et d'une déontologie. Il en va de l'avenir de notre patrie et de l'héritage que nous lèguerons à nos enfants. Vouloir arriver, c'est avoir fait la moitié du chemin (proverbe algérien)