Ces scènes de déchirement, devenues le seul mode d'expression dans la maison FLN depuis quelques années, finiront par discréditer la direction actuelle, tant aux yeux des militants qu'à ceux de l'opinion nationale, en ce sens que, pour une large partie de l'électorat algérien, l'ex-parti unique doit refléter une certaine homogénéité – symbolique et politique – du pouvoir en place. Si d'aucuns voient dans cette «rebuffade» violente et synchronisée de la base militante, à l'occasion du renouvellement des instances organiques, une lutte pour des intérêts liés aux privilèges directs que procurerait la position actuelle du parti sur l'échiquier politique national (majoritaire dans toutes les assemblées locales, wilayales et nationale), il ne faudrait pas perdre de vue les soubassements purement politiques de cette nouvelle agitation qui, déjà, commence à déstabiliser l'establishment et finira, à coup sûr, par fragiliser la position de l'indétrônable Belkhadem. En minimisant l'action des «conspirateurs», le secrétaire général donne l'impression de n'avoir aucune intention d'ouvrir le débat sur le malaise qui ronge le parti. Il sait, d'emblée, que cette situation peut favoriser ses adversaires – nombreux à l'intérieur et en dehors des instances organiques – et raviver les vieilles querelles de chapelle entre différents courants antagonistes, qui sont toujours à l'affût d'une brèche pour s'y engouffrer. Le cas des partisans de l'ancien Premier ministre Ali Benflis et des «réformateurs», qui, même mis en minorité, tentent toujours de se replacer dans l'éventualité d'une nouvelle donne à l'échelle nationale. Car c'est toujours sous cette optique que les changements sont perçus. Le FLN, une histoire de «complots» C'est Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement réformateur, qui a dit un jour que le FLN est comme condamné à rester un parti qui pose toujours problème : à la société, lorsqu'il est au pouvoir, à ce même pouvoir lorsqu'il choisit de s'en retirer. Le constat se vérifie à chaque fois qu'un changement de cap est envisagé, à chaque grand tournant de la vie politique nationale. Depuis la proclamation du multipartisme en 1989, l'ex-parti unique a traversé des périodes difficiles et connu des ruptures douloureuses. D'aucuns prédisaient sa disparition, mais il a toujours su s'adapter aux nouvelles réalités, et pu survivre grâce à ses relais influents dans les rouages de l'Etat et au crédit dont il continuait à jouir au sein de l'armée – seul pourvoyeur de pouvoir, selon les termes mêmes de Hamrouche – dans les années 90. L'armée, qui est pour lui une sorte de succédané et à la fois son rival historique, ultime recours de ses proscrits quand ils n'en sont pas les pourfendeurs les plus zélés. Lorsqu'en 1995, Abdelhamid Mehri, alors secrétaire général du parti, signe au nom du FLN le contrat de Rome aux côtés du FIS et du FFS, les «hommes de l'ombre» avaient vite réagi et monté un plan pour le destituer. On fit appel, comme à chaque «complot», à Abdelkader Hadjar. Un complot dit «scientifique» (par opposition peut-être aux méthodes brutales et incongrues qui seront employées plus tard contre Benflis), exécuté par un groupe de caciques de l'ancien comité central, finira par restituer au parti son rôle de suppôt du pouvoir, à l'époque où ce dernier en avait tellement besoin pour parer au danger islamiste du FIS. C'est Boualem Benhamouda, un homme qu'on dit proche des militaires, mais sans envergure nationale ni ambition politique affichée, qui sera «élu» à la tête du parti dans la perspective des élections législatives et locales de 1997, puis des présidentielles de 1999. Une guéguerre stérile l'opposa un moment au nouveau parti majoritaire, le RND, qu'il accusait d'avoir manipulé les résultats des premières élections à son profit. Pourtant, tout au long de son mandat, Benhamouda se distingua par un loyalisme sans faille à l'égard des nouveaux maîtres. Arrive Benflis à la tête du parti, en même temps qu'à la tête du gouvernement, rien ne présageait de nouvelles fissures au sein du parti désormais majoritaire à l'APN, tant la symbiose paraissait parfaite entre le discours réformateur du nouveau FLN, «rajeuni et modernisé», et celui des institutions de l'Etat. Or, l'homme cachait bien des ambitions, dont, la plus grave aux yeux de ses détracteurs, celle de défendre une «hypothétique» autonomie du parti au détriment de celles du président. En décidant de ne pas apporter sa caution et celle de son parti à la future candidature de l'actuel chef de l'Etat, lui-même issu du FLN, Ali Benflis sera limogé de son poste de chef de gouvernement, la tentative de noyauter le dernier congrès ayant échoué. Il ne restait plus alors qu'à lui déclarer une guerre d'occupation de ses sièges, avec le recours à la force et aux bastonnades. Les mêmes pratiques reviennent aujourd'hui.