Des artistes, journalistes et écrivains turcs, dont le Nobel de littérature Orhan Pamuk, ont publié hier, en pleine page dans plusieurs journaux, un appel au gouvernement à cesser sa rhétorique haineuse et à diviser le pays. Cette initiative intervient à la suite d'un mouvement de contestation sans précédent qui a visé pendant près de trois semaines le régime islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002, et dont la répression sanglante par la police turque, très critiquée dans le monde, a écorné l'image du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. En réaction, M. Erdogan n'a cessé de fustiger les manifestants au moyen d'une rhétorique dévalorisante, y compris les artistes qu'il a qualifiés de «groupes marginaux». «Nous somme inquiets» ont écrit ces derniers dans leur appel, signé notamment par le pianiste de renommée internationale Fazil Say. Connu pour son athéisme militant, le pianiste virtuose a été condamné à la mi-mai en raison de ses tirades provocatrices contre la religion musulmane sur Twitter. Sa condamnation, ensuite annulée, avait suscité une volée de critiques contre la Turquie. «La rhétorique du vous contre nous accentuent les divisions au sien de notre société», ont-ils averti, appelant le gouvernement à mettre fin aux pressions. Les observateurs ont estimé que M. Erdogan avait mis de l'huile sur le feu en qualifiant les manifestants, pour la plupart des jeunes issus de la classe moyenne, de «voyous» et de «terroristes». Erdogan a également creusé le fossé entre son peuple et ses partisans en poussant ces derniers à organiser des contre-manifestations, déclarant devant ses adversaires : «Personne ne peut nous intimider (...) nous ne prenons d'ordre ou d'instruction de personne sauf de Dieu .» Lundi, la BBC a exprimé sa préoccupation devant ce qu'elle a qualifié de campagne des autorités turques visant à «intimider les journalistes». Le maire d'Ankara Melih Gokcek avait porté sur son compte Twitter des accusations contre le correspondant turc de la BBC Selin Gerit, le qualifiant d'espion à la solde du Royaume-Uni. Le mouvement de contestation qui a débuté le 31 mars a fait quatre morts, trois manifestants et un policier et près de 8 000 blessés, selon le dernier bilan de l'association des médecins turcs.