Les manifestations du 11 décembre 1960 représentent une grande étape de la Révolution algérienne, dont l'impact médiatique et les réactions diplomatiques ont conduit à l'ouverture des négociations officielles entre le GPRA et le gouvernement français. En ce vendredi 9 décembre 1960 au matin, le général de Gaulle venait d'arriver à Aïn Témouchent en compagnie de Louis Joxe, de Jean Morin et du général Crépin. Il est encadré par le service de sécurité. Sur la place de la ville, le président de Gaulle est accueilli par un brouhaha d'hommes et de femmes, dont les voix discordantes se répondent et s'insultent. En première rangée bloquée par le service d'ordre, des Européens avançaient en criant : « A bas de Gaulle, Algérie française ». Derrière, à l'arrière-plan, d'autres manifestants, des indigènes, ceux-là, agitaient des banderoles sur lesquelles était écrit ce que le général est venu entendre « Vive De Gaulle », «l'Algérie algérienne». Le général, sans s'arrêter à hauteur de ceux qui l'insultaient, se fraya un chemin et se dirigea vers ceux qui l'acclamaient et serra les mains qui lui étaient tendues. Tout cela semble être dans la logique du général qui est venu montrer qu'il ne craint pas de s'appuyer sur les Algériens et que ceux-ci sont avec lui. Tandis que le président de Gaulle, évitant Alger et Oran, continuait sa tournée par Cherchell, Blida, Tizi Ouzou, El-Asnam (Chlef), Bougie (Béjaïa), Téleghgma et Batna, les mêmes démonstrations se répétaient ; il tint le même langage : que les musulmans s'associent à sa tâche et que les rebelles comprennent qu'il leur offre « loyalement et sincèrement la paix », que les Européens sachent qu'ils ne seront pas abandonnés et qu'ils admettent que l'œuvre de la France vis-à-vis de l'Algérie ne peut se poursuivre dans les mêmes conditions que celles d'hier. C'est ainsi que, dans cette situation, l'imprévisible triomphe se déclencha, et le peuple algérien à trancher. En cet après-midi du vendredi 9 décembre 1960, brusquement, à la surprise de tous et à l'étonnement du général et de son entourage, ministres et chefs de l'armée, gaullistes ou non, un événement imprévu qui va avoir des conséquences immenses éclate sans crier gare... La foule sort en masse dans les rues d'Alger, d'Oran, de Constantine et d'autres villes faisant front contre les ultras de l'Algérie française et contre l'armée soutenant et exécutant le plan de Gaulle. Ni pour l'Algérie française ni pour l'Algérie algérienne de de Gaulle. Le peuple algérien s'était réveillé pour trancher et dire le mot de la fin il n'était ni pour l'une ni pour l'autre des propositions qui lui était faite. Le peuple manifestait clairement pour l'indépendance totale du pays, pour l'ouverture de négociations avec le GPRA. Ce GPRA, interlocuteur oublié que les états-majors militaires et politiques ne soupçonnaient plus qu'il puisse un jour se faire entendre avec une telle unanimité et une telle puissance. Les voix françaises les plus autorisées n'avaient-elles pas affirmé que l'armée ait gagné la bataille des villes ? Comme depuis longtemps déjà, toute la population française était acquise à la doctrine selon laquelle une fois libérée de l'emprise FLN, les populations reviendraient vers la France parce qu'elle aurait démontré qu'elle était la plus forte. Les stratèges avaient démontré que la population urbaine « cassée et neutralisée ne bougerait plus ». Du côté français, de Gaulle et les ultras divergent peu sur cette analyse, ils veulent profiter de ces succès pour faire avancer une solution politique afin d'empêcher que ne mûrissent de nouveaux ferments d'interactions ; pour les ultras, des conclusions inverses : puisqu'on est si près de la victoire, il ne faut rien changer fondamentalement. Ces appréciations sur l'état d'esprit réel des masses algériennes urbaines vont se révéler complètement erronées. A la décharge des spécialistes des services psychologiques, il faut noter que le peuple algérien peut croire en cette fin d'année 1960 qu'il est en train de gagner sa « bataille ». Le climat, dans les quartiers algérois de Belcourt, La Casbah, et du Clos Salembier, d'Oran, de Constantine et d'ailleurs s'est profondément modifié par rapport aux années 1956/1957, le peuple aguerri était devenu plus politisé. Cependant les coups terribles portés par les forces de répression, s'ils n'ont pas pu briser les convictions intimes, ont cependant éteint l'expression publique de cette confiance téméraire, à la fois imprudente et extraordinairement coûteuse qui était souvent la marque des nouveaux militants du FLN. En dépit des « gestes » gaulliens, la répression continue avec moins d'éclat qu'avec Massu sans doute, mais, quant au fond, sans modifications fondamentales. Assez symbolique est la volonté du général d'affirmer sa détermination alors que, par ailleurs, il peut aussi prendre des mesures de libération à l'égard de certains prisonniers. Il y a aussi, malgré les démarches des avocats, la décision de De Gaulle de refuser la grâce de trois patriotes algériens condamnés à mort et exécutés la veille de son départ pour l'Algérie et qui sont Hamou Boucetta et Belhadj Abdelkader, guillotinés à la prison de la Santé, et Belmokhtar Slimane, quant à lui guillotiné à la prison d'Alger. Cela c'est le côté bâton. Côté « carotte », on construit comme jamais auparavant des écoles et des logements ou de nombreuses familles s'installent. On bâtit aussi beaucoup de gendarmeries et de locaux de SAS puisque l'Algérie ne doit jamais être « sous administrée ». Parallèlement, il est fait un gros effort de « promotion musulmane » dans l'encadrement administratif et plus spécialement dans les services d'inspection de la santé et de l'enseignement. N'est-ce pas dans ces couches sociales nouvelles qu'on se promet de trouver l'indispensable « troisième force ? » Le désir de paix est immense. L'ennemi spécule sur une certaine lassitude dans divers milieux. C'est cet immense désir de paix, cette certaine lassitude qui peut laisser croire que dans les masses urbaines, le ressort est brisé avec la rébellion. Entre elles et les moudjahidine, le lien est définitivement rompu. Erreur grossière. Le sentiment le plus fort est qu'il faut tenir. Il faut dire aussi que c'est dans les milieux qui ont le plus souffert de la guerre qu'on entend généralement dire : « il faut tenir après tous les sacrifices consentie, et après cinq années de souffrance, ce n'est pas maintenant que nous céderons ». Une partie de la délégation algérienne à Evian en mars 1962 : Taïeb Bouhlarouf, Saad Dahlab, Mohamed Ben Yahia, Belkacem Krim qui salue de la main, Mostefa Ben Aouda, Reda Malek, Lakhdar Ben Tobbal, M'hamed Yazid et Chouki Mostefai. La prédétermination ou l'autodétermination : Le 11 décembre 1960, s'il fut le mouvement ayant tranché sur toutes les questions, il n'en restera pas moins que c'est l'événement qui, de la guerre, est celui de la confrontation entre le front de l'Algérie française et le front de l'Algérie algérienne. Par ailleurs, les stratèges du front de l'Algérie française tendaient à vouloir mobiliser pour des manifestations contre le général de Gaulle et pour l'Algérie française. Et, c'est ce même plan qui devait faire aboutir à l'indépendance de l'Algérie dans l'interdépendance avec la France. Et, c'est à cet effet que les manipulations des services spéciaux, sous le slogan de l'Algérie algérienne, vision de Gaulle, activèrent sans répit. Cependant, il ne suffit pas seulement d'évoquer à l'occasion les événements historiques de notre pays pour se suffire de leur éloquence. Il faut les traduire, les interpréter et les expliquer afin que la jeunesse sache. Car lorsque tous les stratèges du général de Gaulle, président de la République française, eurent établi leur plan de « paix en Algérie », il s'avérait n'être en réalité qu'un plan minutieusement élaboré, d'une prédétermination de l'autodétermination. Pour ma part en écrivant ce récit, je le fais par conscience et non par consigne, car au service de mon pays je suis d'une servitude volontaire. Le passe est un prologue, épreuve précédant le départ réel de la renaissance de l'état Algérien dans ces véritables dimensions, et c'est ce qui me permet de poser la question à tous les fonctionnaires et cadres de l'Algérie indépendante, du planton jusqu'au président de la République : êtes-vous à la hauteur de sacrifice du peuple algérien, car c'est grâce à lui que chacun de vous occupe la place qu'il a. Auteur écrivain