«Nous avons dû lutter contre les vieux ennemis de la paix, le monopole industriel et financier, la spéculation, la banque véreuse, l'antagonisme de classe, l'esprit de clan, les profiteurs de guerre. Ils avaient commencé à considérer le gouvernement des Etats-Unis comme un simple appendice de leurs affaires privées. Nous savons aujourd'hui qu'il est tout aussi dangereux d'être gouverné par l'argent organisé que par le crime organisé.» Le mal de notre société, entend-t-on dans cette ultime vidéo de campagne, c'est la caste politico-financière qui ne poursuit que son intérêt. «L'establishment de Washington et les corporations financières qui l'ont financé existent pour une seule raison : se protéger et s'enrichir eux-mêmes. Cet establishment politique défaillant et corrompu est responsable des désastreux accords commerciaux. Il a détruit nos usines et nos emplois, qui ont fui vers la Chine, le Mexique et d'autres pays.» «C'est une structure de pouvoir global dont les décisions économiques ont pillé la classe ouvrière, dépouillé notre pays de sa richesse et mis cet argent dans les poches de grandes corporations et d'entités politiques.» Quand il diffuse ce message, Donald Trump sait qu'il joue sur du velours. Car c'est Bill Clinton qui a parrainé l'OMC et l'ALENA. Et ce sont Barack Obama et Hillary Clinton qui ont poussé les feux, avant de se déjuger mollement, des traités transatlantique (TIPP) et transpacifique (TPP). Les médias européens l'ont occulté, mais cette charge contre le libre-échangisme fut le leitmotiv de la campagne de Donald Trump. Il a critiqué sans relâche l'OMC et dénoncé une globalisation responsable de la destruction des classes moyennes. Opposé à la libéralisation effrénée du commerce mondial, il s'est prononcé sans équivoque pour l'instauration de barrières tarifaires. Dans ce qui reste d'une classe ouvrière ruinée par la concurrence chinoise, cet éloge du protectionnisme passe beaucoup mieux que les odes d'Hillary Clinton aux droits des LGBT. Les électeurs de la «Rust Belt» ont voté pour Trump, faute d'avoir pu voter pour Sanders. Un capitalisme entrepreneurial Ce défenseur d'une couche entrepreneuriale arrimée au sol américain a bâti sa fortune personnelle avec l'immobilier, le catch et la télévision, des activités tournées vers le marché intérieur et typiquement nationales. Il promet de rénover des infrastructures publiques délabrées (routes, ports, aéroports). Il veut conforter l'indépendance énergétique des USA au détriment de l'environnement, ce qui est un choix évidemment contestable. Il s'allie à des ultra-conservateurs adeptes du créationnisme. Il défend mordicus les valeurs traditionnelles. Les intérêts que représente le richissime «businessman», à l'évidence, sont les intérêts d'une fraction de l'oligarchie capitaliste qui entend bien tirer profit de ce «New Deal» républicain. Si l'on s'en tient à ses discours (on ne peut faire autrement pour le moment), voilà ce qu'entend faire Donald Trump. De droite, Trump ? Evidemment. Mais Clinton est-elle de gauche ? Il faudrait le demander à Goldman Sachs qui a financé sa campagne, et aux 30 000 Libyens victimes de sa politique. A l'entendre, Donald Trump ne voit aucun autre horizon, pour les USA, que le développement d'un capitalisme entrepreneurial sans complexe, mais mieux protégé de la concurrence des pays émergents. La fraction du capital dont il est le représentant exige que ce développement se fasse à moindre coût et s'appuie sur une réindustrialisation du pays. Pour gagner la compétition économique mondiale, Clinton voulait accélérer la mondialisation à l'abri d'un appareil militaire démentiel. Trump veut assigner des limites à la mondialisation et protéger l'économie nationale des turbulences planétaires. Elle voulait prolonger à tout prix le «chaos constructif». Le nouveau Président semble décidé à y renoncer parce que c'est contraire aux intérêts nationaux des USA. Synthèse entre Nixon et Roosevelt ? Dans les jours qui ont suivi son élection, Donald Trump a appelé Vladimir Poutine. Il entend renouer le dialogue avec la Russie. Il a déclaré à la presse qu'en Syrie la politique de son Administration serait de combattre Daech, et non la Russie et la Syrie. Pour Trump, la politique étrangère d'Obama est un fiasco dont il faut tirer les leçons. Durant la campagne, il a exprimé son opposition à l'intervention militaire des USA à l'étranger lorsque leurs intérêts vitaux ne sont pas en jeu. Il l'a dit clairement : la guerre par procuration en Syrie, comme l'intervention en Libye, ont semé un chaos dont Barack Obama et Hillary Clinton sont responsables. De même qu'il a récusé le libre-échangisme, Trump a répudié le néo-conservatisme en casque lourd et le cynisme des apprenti-sorciers du djihad. Cette double orientation le place sur une trajectoire différente de celle de ses prédécesseurs, démocrates ou républicains. Elle le rend inclassable, ce qui est le dénominateur commun de la pensée complexe et de l'action efficace. Elle préfigure peut-être un réalignement de la politique étrangère des USA, moins tentée par l'unilatéralisme et plus respectueuse de la souveraineté des Etats. Dire qu'il est conservateur n'est pas faux, mais c'est faire bon marché de ses accents rooseveltiens. Parce qu'il est décidé à reprendre langue avec Moscou, sa vision géopolitique éveille aussi des réminiscences nixoniennes (le Nixon de la «détente», s'entend). Entre Nixon et Roosevelt, Trump fera-t-il la synthèse ? En réalité, nul ne le sait. La politique consistant à tenir des discours pour se faire élire et à improviser ensuite au gré des circonstances, bien malin est celui qui peut prédire ce que sera la future présidence américaine. Il faudra juger sur pièce, sans illusion ni concession. (Suite et fin)