Les arts de l'enluminure et de la miniature sont des arts de la lumière, de la minutie, de la perfection. On croirait aisément que ceux qui font de la miniature ont un peu de ce divin qui court dans leurs veines, peut-être que les muses se sont penchées sur les berceaux de ceux qui pratiquent cet art séculaire où les meilleurs d'entre eux dans les temps anciens maîtrisaient l'art de la respiration, et s'ingéniaient aussi à couper le fil de soie d'une araignée en deux comme l'a fait, dit la légende, El-Wassiti. Dans une exposition phénoménale, entreprise pour le mois du patrimoine au Musée national des Beaux-arts d'Alger, depuis le mois d'avril et jusqu'au 11 juin prochain, Djazia Cherrih montre quelques six grandes réalisations en enluminure-miniature de deux mètres sur deux mètres et quelques vingt-deux planches enluminées sur des scènes de genre qui gardent leurs format usuel. Dans cette sorte de rétrospective, Djazia Cherrih épouse Ouamer laisse aussi des traces de son parcours artistique dans les vitrines du premier étage du musée. C'est donc des échantillons de zellidj, des timbres déjà réalisés, des dessins, et ébauches en communication qui nous montrent que cette plasticienne fait son entrée dans la cour des grands, on pourrait appeler cela le « riadh essalihine » des plasticiens enlumineurs qui sont des artistes magnifiques et qui ont donné le ton à notre art national de la miniature et de l'enluminure, que ceux qui dénient le propos, aillent faire le constat in-vivo et in-situ au sein du MNBA du Hamma... Djazia Cherrih, adopte le quatre zéro en poils de chat, juste sur cette extrémité des babines, là où la pointe du poil de chat possède toute sa finesse pour sonder le monde qui l'entoure... Oui, il semblerait que les muses en ces temps-là se choisissaient les artistes qu'elles voulaient encourager. Elle, «Lalla Djazia », peut-être un prénom hérité des anciennes demeures palatiales de l'ancienne « Bahdja » joyeuse, affable, inspirée, terriblement modeste, adore laisser courir sa main sur le papier au vaste grammage pour en faire des tracés fabuleux, faits d'amours déçus et de passions renouvelées, des siècles durant dans les alcôves et les vieilles arcatures de marbre de la vieille citadelle. Tout ce que produit Djazia Cherrih, la fille au doux nom de princesse, est une voie vers l'enchantement, ses compositions, architectures complexes, notes florales, arabesques voluptueuses, tracés rectilignes, lignes courbes, interruptions volontaires, couleurs franches, notes diffuses sur parterres floraux sont autant de viatiques pour un monde dont elle s'est fait un vadémécum de formes et de couleurs inédites qui ne la quittent jamais ; elle surprend le regardeur à chaque étape dessinée. Dans son long parcours entre décorations, dessins de timbres, élaborations de scénographies de haut niveau, productions de miniatures, d'enluminures en nombre incalculable, le parcours reste poignant. La plasticienne, héritière d'une grande mythologie ancestrale, vient étoffer nos regards d'une nouvelle approche qui prend à bras le corps une tradition séculaire, immémoriale inscrite au fin-fond de notre inconscient collectif. Loin d'être iconoclaste, Djazia est simplement différente, iconoclaste dans son appréciation du monde qui nous entoure. Toutes les belles histoires de princesses embourbées dans leurs soieries roses et dans leur vécu fait d'ersatz de bonheur, elle en fait fi, elles appartiennent à des légendes perdues dans le temps. La nôtre de princesse dessine de vraies larmes, qu'elles soient de joie ou de tristesse, elle entreprend pour nous de vrais voyages, qu'ils soient inscrits sur quelques centimètres carrés ou qu'ils entreprennent des périples jusqu'à la lointaine Chine. Les légendes des houris-muses qui peuplent les arcatures de nos anciens palais trouvent une deuxième vie dans les scènes de genre que l'artiste maîtrise savamment. Zellidj behidj, le carré magique, le carré enjoué qui s'éprend de la joie de ses couleurs propres, art du feu, de la terre, de l'eau et de l'air, la céramique en carrés de quatre, comme dans une alchimie insolite, Djazia, apprivoise les éléments pour nous en donner de nouveaux. Elle fait montre d'un talent inné pour nous façonner des glaises conquises, déclinées sur des détails inoubliables, ainsi que des émaux qui servent subtilement les cuivres cachés qui ne donnent de formes et de textures qu'avec la complicité du plasticien magicien Mustapha Adane. La sensuelle artiste qui sent avec ses mains, favorise le carré pour ce qu'il lui donne comme plaisir, pour ce qu'il a de rassurant dans son format. Elle arrive depuis l'année 2006 d'une longue pérégrination, non pas un chemin de croix, mais plutôt d'une longue escapade dans la miniature, dans l'enluminure, le résultat est tout simplement affolant, trois panneaux de deux mètres sur deux mètres, et aussi trois panneaux de un mètre sur un mètre...réalisés en miniature pendant trois ans juste pour l'application de la couleur sur des carrés de quinze sur quinze, de vingt sur vingt ou de vingt-cinq sur vingt-cinq cms... Nous avions parlé de défi plus haut, il s'agit d'une gageure gigantesque tant l'élaboration suit un cours qui relève des temples de Shaolin pour ce qui est de la construction du dessin, de la mise en place des feuilles et du collage des planches entres elles, le tout sur un carton géant. La miniature dont elle maîtrise grandement les fondements esthétiques classiques, prennent place dans ses minuscules planches de vingt sur vingt qui s'estompent sur les côtés inscrivant ces dessins dans une aura elliptique onirique. La pâte de Djazia Cherrih surgit pourtant dans l'audace du papier coloré ou de la composition qui sort du cadre et qui donne un peu cet effet « libérateur » d'un carcan de la tradition qui apparait soudain comme superfétatoire par l'immense cogitation esthétique que l'artiste a concédé pour son élaboration. « Zakhrafa », « Zellidj », apportent de l'eau dans les fontaines de la tradition dans lesquelles notre jeune amie s'est abreuvée il y a bien longtemps. Aujourd'hui, l'artiste enjouée et libre, se laisse aller à ses pistes novatrices dans un travail de Titan qui, sur l'idée du carreau, s'en va allègrement produire du sens, démultiplie la miniature pour en faire un art géant, réinterprète quelques six panneaux et quatre cuivre émaillés, juste pour nous dire qu'elle résume, en fait, quelques pans entiers de la vie, et que ces circonvolutions, ces arabesques audacieuses et compositions riches en couleurs, prennent par leur talent une tournure quasi ésotérique, une sorte de procédé alchimique qui nous donne au regard un vertige délicieux fait des plus beaux poèmes de couleurs. « Zellidj » est un de ces moments ou les mots n'ont plus de sens, juste un espace limpide qui par son enchantement laisse juste l'esthétique se frayer un chemin dans nos sens dans l'harmonie la plus totale, juste par plaisir, jamais par effraction... nExposition, Djazia Cherrih-Ouamer, miniatures-enluminures, « Zellidj-Zakhrafa », Mois du patrimoine, à partir d'avril jusqu'au 11 juin 2017, Musée national des Beaux-arts d'Alger, le Hamma