Bip, ping, crash, détonations, ritournelles lancinantes, les musiques de jeux vidéo ont laissé une marque indélébile dans les oreilles de générations de joueurs. Mais avec le temps, elles ont évolué et se jouent désormais en public dans des grandes salles de concerts. De Mario Bros à la synthwave, en passant par David Bowie, RFI Musique plonge dans l'histoire de la musique de jeu vidéo. Des années avant d'écrire son livre Video Game Music, le journaliste Damien Mecheri enregistrait la bande son de ses jeux préférés sur des cassettes audio. Comme tous les adolescents qui repiquaient les chansons de leurs groupes de rock favoris à la radio, il compilait ces musiques dont il est devenu par la suite spécialiste. «La musique de jeu n'est pas un genre en soi, elle est composée pour un support, le jeu vidéo, définit-il. Comme la musique de films, il s'agit d'une musique à l'image. Mais au niveau du style musical, cela dépend simplement des équipes créatives de choisir du rock, du jazz ou du trip-hop». Longtemps en concurrence avec les bruitages, cette musique interactive est d'abord imaginée par les programmeurs des bornes arcades et non par des compositeurs. Lancée en 1983 au Japon sous le nom de Famicom par la firme Nintendo, la NES révolutionne le marché du jeu vidéo. Pléthore de constructeurs commercialisent désormais leurs consoles de salon. Avec sa mascotte Mario Bros ou le jeu d'aventures Zelda, cette console 8-bits bouleverse aussi l'univers sonore de générations d'enfants qui ont baigné – sans le savoir- dans les atmosphères de Kôji Kondô, l'un des compositeurs maison de Nintendo. La guerre des consoles Les consoles de salon et les premiers ordinateurs charrient avec eux tout un imaginaire sonore, chaque génération apportant ses innovations. Mais ces machines sont encore limitées par la capacité de leurs puces. Il y a eu une véritable guerre des consoles. Les fans de la Super Nintendo disaient toujours : «Nous, on a de vraies musiques», quand la Mega Drive avait des sons plus métalliques, très agressifs, rappelle Pierre-Alexandre Rouillon, alias «Pipomantis», co-animateur du podcast radio Les Démons du MIDI, diffusé depuis 2013 ans sur le web. Le hérisson branché sur 100000 volts Sonic participe au marketing rock'n'roll de SEGA, face au très familial Nintendo. L'arrivée de la PlayStation de Sony à la fin de l'année 1994 signe l'avènement du CD, qui augmente de façon exponentielle la place disponible pour le son. Finie la «chiptune», cette musique des puces électroniques, les jeux vidéos disposent désormais de véritables bandes originales à l'instar des films. À celles composées spécifiquement pour un jeu, s'ajoutent notamment dans les simulations de sports, des tubes plus ou moins underground. Song 2 du groupe de pop Blur inaugure une longue série de hits utilisés pour le jeu de football Fifa, quand les compilations de GTA forgent la culture de générations entières de joueurs. Côté stars, David Bowie signe la bande-originale de The Nomad Soul, un travail qui servira de base à son album Hours... et lui permettra au passage de devenir un personnage à part entière de ce jeu vidéo. Un doudou générationnel C'est presque un exercice sacrilège auquel nous nous livrons, constate Gauthier Andres, alias Gautoz, co-animateur des Démons du MIDI. Les musiques ne sont pas composées pour être écoutées en dehors des jeux. C'est souvent un «doudou générationnel» pour les joueurs. Les bip-bip de Pacman, les envolées romantiques des Final Fantasy, les symphonies de Dragon Quest, les combats de Street Fighter, ou encore le metal lourd de Doom...Suivant les personnages dans l'action, ces thèmes de quelques minutes à peine interagissent avec le joueur, variant de façon infinie pour s'étirer jusqu'à 10, 15 ou 20 minutes. Compositeur entre autres de Rayman Origins, travaillant avec l'un des créateurs les plus connus du jeu vidéo français, Michel Ancel, Christophe Héral adapte son écriture à ce ping-pong entre le joueur et le jeu, enveloppé – ou pas- de musique. «L'industrie du jeu vidéo est moins formatée que le cinéma, il n'empêche que certains jeux coûtent plus chers qu'un long métrage. Les boîtes fonctionnent un peu à l'américaine. Ce qu'il faut faire pour un compositeur, c'est sortir le meilleur de vous-même, être piqué au vif«, remarque-t-il. L'enthousiaste Christophe Héral, qui compose aussi pour la télévision ou les musées, «vit bien» de son art. Il collabore pour le compte du géant français Ubisoft à des jeux grand public, les «triple A». Pour ces blockbusters dont les budgets se chiffrent en dizaine de millions de dollars, le prix de la minute de musique livrée peut atteindre jusqu'à 3 500 €, quand ces bandes originales ne sont pas composées par des stars de la musique de film. La révolution du jeu indépendant L'arrivée des jeux indépendants dans les années 2000 a changé les codes créatifs d'une industrie qui génère actuellement des milliards dans le monde entier3. Comme beaucoup de divertissements, le jeu vidéo tente de plus en plus de musiciens mais en coulisses, son économie demeure «disparate»; un monde sépare les superproductions de micros jeux indépendants développés après le travail, uniquement destinés à un PC. En France, des compositeurs se battent pour toucher des droits d'auteurs sur leurs œuvres et ne plus abandonner ces subsides aux studios, comme c'est d'usage au Japon ou aux USA. Musicalement, des musiciens électro français comme Carpenter Brut, Perturbator ou Fixions, ont été inspirés par le cinéma américain des années 80, des séries B, mais aussi de classiques de la culture jeux vidéos. «Comme le magazine Métal Hurlant, le jeu Streets of Rage, sur Mega Drive II, m'a beaucoup marqué», reconnaît Fixions, auteur des musiques de Mother Russia Bleeds, un jeu de bagarre sur fond d'ex-Union Soviétique. Pour les observateurs avisés, la synthwave est même en voie de banalisation. Les concerts de musique de jeu vidéo gagnent en effet des grandes salles françaises comme ce fut le cas à la Philharmonie de Paris en juin dernier, que les reprises de ces BO fleurissent sur le net, l'épopée de la musique de jeu vidéo n'est pas achevée, loin de là.