Selon le penseur musulman de l'Andalousie, il n'y a rien de plus efficace pour comprendre la métaphysique que la lumière du Coran. Par sa maîtrise de la philosophie d'Aristote mais aussi à la faveur de ses prédispositions aux sciences humaines et aux sciences, en général, Ibn Rochd n'avait jamais cessé de fourbir ses armes pour mettre en interaction dans un rapport de complémentarité sa philosophie et les textes coraniques. A force de rester constant dans sa quête de la vérité en métaphysique et par le truchement du philosophe de la Grèce antique, il a élaboré une méthodologie d'analyse fondée sur l'utilisation des syllogismes et de l'ijtihad. Une philosophie qui n'est rien de plus que la spéculation dans l'univers Il faut rappeler d'abord que l'intellectuel de sa trempe, comparable à celle d'Ibn Khaldoun ou Ibn Sina et Ibn El Arabi, a commencé par l'apprentissage des 114 sourate du Coran. Ce fut un préalable pour être à l'aise dans la science et les connaissances. En parcourant son traité, on ne peut qu'être admiratif de ses efforts à donner des références des versets coraniques pour marquer le lien avec sa hikma. L'ordre divin, dit-il, nous invite à prendre la considération des injonctions et des exhortations ayant échappé à bien des lecteurs du Coran : «Tirez enseignement ô vous qui êtes doués d'intelligence. N'ont-ils pas réfléchi sur le royaume des cieux et de la terre et sur toutes les choses que Dieu à crées.» (extrait des sourates 6, 7, 3, 88). Son raisonnement rationnel porte aussi et de manière récurrente à la sunna ou recueils des hadiths, c'est-à-dire des dits et faits mémorables du prophète Mohammed (QLSDDSSL), contenant une énonciation formelle. Quiconque connaît à la perfection le royaume des Cieux et de la terre se rapproche de Dieu, à l'exemple de sidna Ibrahim qui a eu le privilège de connaître grâce à Dieu, qui le lui a fait voir, le royaume des Cieux et de la Terre. «Ne voient-ils pas comment les chameaux ont été créés et comment le ciel a été élevé», extrait de verset qui pousse le lecteur ou, si vous voulez, le chercheur à plus d'attention sur l'univers par le syllogisme rationnel. Ce qui signifie qu'il faut aller au décryptage de l'inconnu à partir du connu. Pour cela, il faut savoir appliquer le syllogisme approprié à chaque type de situation. Ainsi, pour l'auteur, à partir de cet extrait de verset «tirez enseignement, ô vous qui êtes doués d'intelligence», le jurisconsulte infère l'obligation de connaître et d'appliquer le syllogisme juridique comme le métaphysicien inférera l'obligation de connaître le syllogisme rationnel. Ce type de spéculation, considérée comme une hérésie, n'existait pas au début de l'islam. On le nommerait en arabe bidaâ ou innovation, mais il n'est rien de tout cela, nous dit Ibn Rochd, père de l'ijtihad. Pour lui, il est du devoir du connaisseur ou du hakim de spéculer par le syllogisme, méthode de prospection de la connaissance sur divers domaines de la science. «La loi divine nous y oblige. Nous aurons appris à connaître les êtres selon la théorie des syllogismes», dit-il. Pour être plus clair dans son raisonnement, il parle de la nécessité de connaître l'œuvre d'art à condition de connaître l'art et l'artisan. Au fil des générations apparut le concept d'unanimité concernant ce qu'il faut que les hommes connaissent et ce qu'ils ne doivent pas connaître. Absurdité pour Ibn Rochd lorsqu'on traite quelqu'un d'infidèle sous le prétexte qu'il a transgressé l'unanimité. Abou Hamid El Ghazali a traité ainsi El Farabi et Ibn Sina, des sunnites de la science et de la connaissance. Leur cas rappelle donc Galilée, condamné à être décapité pour avoir transgressé l'unanimité en réalisant une découverte astronomique qui allait révolutionner le monde. Il est difficile de toucher au domaine religieux sans susciter une levée des boucliers. «C'est pourquoi, dit Ibn Rochd, il y a des interprétations qu'on ne doit exposer qu'aux hommes d'interprétation qui sont les hommes d'une science profonde, car il faut comprendre que la croyance va avec la science.» Le problème des interprétations, facteur de division La question des rapports entre la loi religieuse et la philosophie est une source de conflits au sein de la communauté musulmane. Les interprétations dépendent du syllogisme appliqué et de l'augmentation. Sont cités comme exemples d'interprétations, celles des ach'ariya et des motazilites, bien que ces derniers soient plus solides dans leurs argumentations. Les hommes appartenant à la communauté des vulgaires (voulant désigner peut-être la basse classe) ne sont aptes qu'aux arguments oratoires. Ainsi, les gens se divisent en trois classes : ceux qui comme ces derniers constituent la masse accessible aux argumentations oratoires, la deuxième est celle des hommes d'interprétation dialectique et la troisième celle des hommes d'interprétation et par art de la philosophie. Chaque groupe reste dans ses limites dans son niveau d'interprétation. Mais Dieu est considéré au-dessus de tous et les hommes n'ont reçu de lui en fait de science que peu de choses. Par ailleurs, quiconque corrompt ou détourne la loi divine sous le prétexte d'une interprétation non conforme est considéré comme infidèle. Mais que dira de l'interprétation d'un médecin face à l'état d'un patient ou celle d'un législateur qui recherche la santé des âmes et la crainte de Dieu. Le Coran en prescrit la recherche par les actes conformes à la loi divine. Par exemple, on vous dit parce que c'est écrit dans un verset coranique : «Il vous a été prescrit de jeûner comme cela a été prescrit à ceux d'avant vous. Peut-être craindrez-vous Dieu». Et il est dit aussi : «Certes, la prière écarte de l'immoralité et de ce qui déplaît à Dieu.» Ces paroles divines objet d'une diversité d'interprétations dont les unes sont fausses ou relèvent de l'hérésie, quelquefois du vulgaire, divisent la communauté musulmane. Les motazilites ont interprété de nombreux versets et de nombreux hadiths. Par ces pratiques, ils ont jeté les gens dans la haine réciproque et les guerres. Ils ont divisé les gens complètement et leurs méthodes ne sont pas fondées sur les conditions de la démonstration. Ils taxent les autres d'infidèles alors que ce sont eux les infidèles et les égarés. Ils ont détruit la sagesse et ce qu'il y a d'utile dans les vraies interprétations usant de méthodes efficaces. Ceux qui ont osé interpréter n'ont pas eu la force de persuader. La philosophie enseignée comme il se doit, selon des règles d'argumentation précise, éviterait sûrement les conflits provoqués par ceux dont l'interprétation est terre à terre. «La religion sans science est aveugle», une citation qui n'émane pas d'un grand philosophe, mais d'un imam guidé dans sa pratique religieuse et ses interprétations des versets par une grande sagesse acquise au fil des années. Et Ibn Rochd d'ajouter que la philosophie (hikma) est la compagne de la religion et sa sœur de lait : «Le mal venant des hommes qui se réclament d'elle est donc le plus pénible des maux, outre l'inimitié, la haine violente et les disputes qui s'élèvent entre elles, alors elles sont compagnes par nature, amies par essence et par disposition innée». Aujourd'hui, après plus de huit siècles qui nous séparent d'Ibn Rochd (1126-1198), le même état d'esprit et les mêmes problèmes d'interprétation du Coran se sont perpétués.