Il est de certaines écritures qui nous font la grâce de sortir des ornières épistolaires originelles, répétitives et peu originales. Celle dont nous nous ferons l'écho aujourd'hui ne manquera pas de mettre du piment dans notre quotidien. Après quasiment un peu plus d'une année d'existence, le livre « Schiste & Mica » édité chez l'alternative maison d'édition « Hélium » qui a signé quelques bons auteurs soufis, des auteurs un peu underground et, au final, quelques pépites qui méritent le détour par leur apport certain à la culture algérienne dans toute sa splendeur. Gérée par Omar Meziani, plasticien et amateur de bons mots, les « éditions Hélium » se trouvent hélas, aujourd'hui, sans domicile fixe, à l'heure où quelques gentils aigrefins nagent dans les eaux troubles des prisons d'état et que les autres profitent de leurs millions de dollars arrachés illégalement à cette pauvre Algérie, fatiguée de se voir dans un miroir en remarquant combien il est difficile de faire du culturel ici-bas…Et pourtant, l'Algérie, ses enfants sincères ne la lâcheront jamais comme semblent l'affirmer ceux qui, au quotidien, font que notre contrée favorite continue de vivre de sa belle vie. Sur plus de cent-quarante pages bien senties, Mohamed Badaoui, natif de 1956 à Alger, écrivain, homme de théâtre, nouvelliste, on l'a vu comme comédien dans « Le droit chemin » opus de Okacha Touita, et puis réaliser des chroniques radiophoniques sur la Chaîne III… Sur ce recueil de prose incendiaire, Mohamed Badaoui, plasticien, sculpteur de mots impossibles, laisse percevoir des notes d'esprit, des sortes d'aphorismes sur tout et rien, il nous livre des sentiments bruts de décoffrage venus du fin-fond de l'âme humaine, le texte est brillant tout en portant sa charge sublimatoire avec force d'effets esthétiques faits, quelques fois, de rimes, d'autres de mots alignés sur une encre fragile, une encre de la nervosité, de la passion effrénée de dire, l'urgence de crier que la vie est belle, elle qu'elle mérite le passage. Mohamed Badaoui s'est proposé d'aller, au début, à la rencontre du plasticien Denis Martinez qui n'a pas daigné offrir ses lignes graphiques au scribe lumineux, le hasard des rencontres faisant le reste dans une destinée intelligente le fait rencontrer avec ce peintre échevelé au talent insolent et à la mise raisonnée, Mehdi Bardi-Djelil qui impose sa touche entre gesso noir, encres de chine et acrylique, travaille finement ses dessins et peintures et se met en adéquation naturellement avec la prose subtile du poète aux multiples écorchures. Le texte est puissant, il emprunte souvent les voies d'une textualité limpide, marquée par quelques phrases bien senties, d'autres fois, les mots se télescopent sur des concepts trop nerveux, mis à vifs par ces douleurs au quotidien qui imposent la sublimation pour rendre un tant-soi peu esthétique ce qui déparait avec la simple humanité. Le poète se lance aussi souvent dans de longues envolées écrites dans le sang des braves, les textes se font plus longs que la norme intégrant ainsi cette production dans de longues diatribes énonçant plus que dénonçant ce qui ne va pas dans cette continuité de mots à la pertinence juste un mot pour une idée, comme « Exil », «Séisme », «Miracle », « Chemin », «Amplitude », « Rivage », «Nausée»… Dans « révolte », le poète dit : « Puissent-ils un jour Tous ces moineaux Fragiles, chétifs et laids Devenir la force, devenir l'étau Qui serre les cous des grands faucons Jusqu'à la mort, jusqu'au néant Ensemble, unis et, même, méchants Ils mettront fin A la tyrannie du temps Et des saisons » « …Sa terre n'était plus que cendres et fumées, mais c'était sa terre. La défendre, il en avait fait un serment sacré. » Dans l'extrait du texte d'ouverture, « Schiste & Mica » introduit ce livre qui, dans son exigence, a été un véritable exercice de style fait de douleurs et de lumières, fait de passion et de sagesse séculaire, tout en paradoxes flamboyants. La lecture de cet opus tonitruant de mots qui giclent comme des geysers de pensées turbulents est une véritable séance de catharsis écrite savamment qui nous « refroidit le cœur » à la lecture parce que vraie, sincère, étonnement lucide. « Schiste & Mica » est un recueil de bons mots, un pamphlet complice, un florilège de textes insolents et vivaces, comme un belle salsa de piments caraïbes sur un lit de chansons chaâbis entonnées par un orchestre universel à côté d'un bon couscous arrosé de Raki turc…A lire parce qu'il le faut d'abord et ensuite par nécessité vitale d'effet miroir. « Schiste & Mica » de Mohamed Badaoui, accompagnement graphique Mehdi Bardi Djelil, 145 pages, éditions Hélium, Alger 2018. Prix 1600 DA