Derrière l'égalité des sexes, la dent de la différence sécuelle L'examen de l'argument de l'égalité des femmes nous a permis de mettre en évidence son mobile réel : le déni de la différence des sexes. Ce déni explique cette obstination à vouloir établir dans le domaine du droit une symétrie entre les sexes là où la nature a créé une dissymétrie. Au point de prôner une loi interdisant la mention de la virginité, qui, dans l'imaginaire collectif concerne exclusivement l'état d'une femme. Si ce seul mot a pu être jugé en soi «obscène», c'est parce qu'il symbolise une différence des sexes dont nos sociétés modernes ne veulent plus rien savoir. C'est pourquoi également, dans cette affaire, la confession des époux a eu un rôle décisif. Si de l'Islam on ne veut rien savoir, c'est parce que cette religion s'obstine à maintenir un ordre symbolique où la fonction de chaque sexe est distincte. Une philosophe, condamnant à son tour le jugement lillois, avoue ce qui fondamentalement lui a posé problème : l'opposition «désormais» entre «nos démocraties contemporaines» prônant «égalité des sexes et liberté des femmes» et les «dynamiques dites culturelles ou religieuses, obsédées par la séparation des sexes (ne pas être semblables, ne pas se mélanger) et la hiérarchie». L'égalité des sexes, évidement souhaitable sur le terrain du droit, est ainsi devenue prétexte au déni de la différence sexuelle, pourtant irréductible sur les terrains de la biologie et de la psychologie. Derrière la laïcité, le rejet de la loi symbolique L'imaginaire transgression de la laïcité dans cette affaire nous indique également un des motifs réels de l'indignation. Ce qui a paru insupportable, c'est que le pouvoir judiciaire dans ce jugement soit en adéquation avec – et non pas cautionne ! - un interdit moral traditionnellement porté par les religions. Et par n'importe lequel : l'interdit des relations sexuelles hors mariage. Un tel interdit est devenu aujourd'hui, pour les élites françaises, inconcevable, inimaginable. Pourquoi ? Parce que nos sociétés modernes, libérales, prônent désormais une «jouissance sans limites», où plus aucune contrainte, plus aucun interdit, ni religieux ni d'aucune idéologie, ne doit venir contrarier les désirs singuliers. C'est ce que le psychanalyste Charles Melman appelle la «nouvelle économie psychique», dont l'un des traits est qu'elle commande de «jouir à tout prix»: «ce qui nous est offert aujourd'hui, c'est d'éprouver des jouissances diverses, d'explorer toutes les situations. C'est ça le vrai libéralisme, le libéralisme psychique !». L'Islam ne dit pourtant pas que les relations sexuelles sont un mal. Plus encore, il ne nous dit nullement que sa seule légitimité est de procréer. Il reconnaît donc le plaisir sexuel comme une fin en soi. Oui mais voilà, il énonce que la jouissance sexuelle n'est possible que dans des limites définies, celles de l'union conjugale ! Or cette articulation symbolique du désir et de la l'interdit est devenue, dans nos sociétés libérales, inaudible. Pourtant, sur le plan psychique, il ne peut exister de désir sans interdit : ce sont les deux faces d'une même pièce. Si on évacue l'un, l'autre disparaît. De fait le désir authentique aujourd'hui disparaît, il se dégrade de plus en plus en une jouissance effrénée, dérégulée, qui finit par générer de l'insatisfaction. Ces êtres paradoxalement insatisfaits, que Melman nomme «l'homme libéral», ce «sujet nouveau… sans gravité», les «psy» les rencontrent désormais au quotidien dans leur pratique. L'Islam n'est pourtant pas le seul système symbolique fixant des limites à la jouissance sexuelle. C'est également le cas de toutes les traditions spirituelles. Les mêmes interdits sexuels que ceux prônés par l'Islam restent d'actualité, du moins sur le plan doctrinal, dans le christianisme et le judaïsme. Mais le libéralisme psychique ayant désormais investi ces traditions religieuses, ces interdits ont perdu, pour beaucoup de pratiquants, leur portée signifiante, leur impact symbolique. Ils sont de fait de moins en moins observés. On constate d'ailleurs que le succès du bouddhisme en Occident est lié au fait qu'il est perçu comme une religion sans lois, sans interdits. Mais ce bouddhisme occidentalisé, libéralisé, n'est pas le véritable bouddhisme. L'Islam lui pose problème car il résiste à cette libéralisation. Mais qu'on ne se méprenne pas. Le problème n'est pas que des croyants ne respectent plus les commandements de leur religion ! Le problème est tout autre : c'est qu'ils ne se posent même plus la question de savoir s'ils souhaitent les respecter ou non. La question ne fait plus sens. Ces injonctions et ces interdits ne sont plus des références symboliques, par rapport auxquelles on se positionne, fût ce pour les transgresser. On y est indifférent. C'est cela aussi une des caractéristiques du libéralisme psychique : il n'y a plus de maître à bord, c'est la mort du sujet. On ne décide plus de rien, on laisse ses émotions, ses instincts, et plus souvent l'information – aussi fluctuante soit-elle – décider à notre place de ce qui est bien ou mal, de ce qu'il faut penser ou faire. Cette position est très différente de celle du croyant qui décide de plein gré de s'affranchir, provisoirement ou durablement, de tel ou tel interdit religieux, pour une raison ou une autre. Si une telle transgression est certes religieusement condamnable, elle a le mérite, sur le plan psychologique, de maintenir le sujet dans une position active par rapport à ses actes. Il reste le pilote à bord, dût-il en payer le prix, ensuite, par ses remords. On retrouve par ailleurs aussi cette situation d'effacement du sujet chez des croyants qui respectent scrupuleusement les commandements de leur religion, mais sans savoir pourquoi. «C'est comme ça chez nous», se contentent-ils de dire. Cela aboutit parfois à des drames dans certaines familles, notamment musulmanes. Lorsque les commandements religieux perdent leur signification, ils se dégradent en des coutumes absurdes ou en des interdits vécus comme de pures contraintes, parce que leur raison d'être a été oubliée. Ainsi lorsque l'idéal de l'abstinence sexuelle avant le mariage – valant pour les deux sexes - perd de sa signifiance, il se transforme en une injonction à la virginité pesant exclusivement sur les filles, pendant que les garçons sont tacitement autorisés à vivre toutes les expériences, tant que ça ne se voit pas et ne se sait pas. Dès lors, au lieu que l'abstinence sexuelle soit un moyen pour la maîtrise de la pulsion sexuelle, elle se met au contraire au service d'une autre pulsion, scopique : on demande aux filles de rester vierges, pour que toute la famille puisse paraître, faire bonne figure, être reconnue le jour des noces comme une famille honorable, qui a bien éduqué ses enfants. L'essentiel, c'est ce qui se voit ! Voilà comment un commandement divin, même respecté, peut être détourné de sa finalité originaire. Car attester qu' «il n'est d'autre dieu que Dieu», c'est affirmer son indépendance par rapport au regard de l'autre, aux apparences sociales, c'est se libérer du m'as-tu vu social. Mais là, on fait de l'Islam un agent de la mentalité consumériste, matérialiste, des sociétés modernes. Aucune religion désormais n'y échappe ! On comprend dès lors que certaines jeunes filles et femmes s'affranchissent d'un interdit qu'elles ne sont plus en mesure de comprendre, et qui est devenu injuste et absurde. Alors certes, il va de soi que le pouvoir judiciaire ne tire aujourd'hui plus sa légitimité de l'autorité spirituelle. Cette indépendance n'a pas à être remise en cause et ne l'a pas été dans l'affaire du mariage annulé. Mais on voudrait que désormais, ce pouvoir, non content d'être indépendant, devienne une force d'opposition à la religion. On voudrait créer des lois d'exception pour éjecter de la visibilité publique tout se qui viendrait contrarier la volonté de jouir sans fins, et toute personne qui, par son attitude, ses valeurs ou son apparence vestimentaire, ne s'inscrit pas dans cette nouvelle économie psychique. On a ainsi il y a quelques années créé une loi antivoile et aujourd'hui on voudrait créer une loi anti-annulation-de-mariage-pour-cause-de-non-virginité. Ceci aboutit à des contradictions logiques : au nom de l'égalité des sexes, on interdit à des filles d'aller à l'école, à des femmes de travailler, on les condamne à la réclusion au prétexte de les libérer ! On ne veut surtout pas savoir qu'elles portent majoritairement ce voile de plein gré. On préfère s'imaginer qu'elles sont soumises, bafouées, battues. Elles dérangent, car on voit bien au fond qu'elles sont libres : désireuses d'étudier, de travailler, de s'émanciper. Oui mais voilà, ce fichu voile indique qu'elles souhaitent inscrire ce désir dans des limites. Bref, elles contrarient l'idéal de l'homme libéral, un sujet réduit à un consommateur, un jouisseur sans limites, dans quelque domaine que ce soit. Il n'y a dans nos sociétés matérialistes plus qu'un seul impératif catégorique qui tienne : «jouis !». (A suivre)