Par le passé, j'ai longtemps hésité à étaler mes souvenirs dans un recueil, excepté la parution d'une partie de ces mémoires dans deux quotidiens nationaux. Un de mes amis, en visite dans un musée du Caire consacré aux différentes guerres israélo-égyptiennes, a noté qu'aucune pancarte, ni même une simple allusion, n'est faite à la participation de la partie algérienne à certains de ces conflits. Il est vrai que nos unités ont toujours été affectées dans des zones de défense dites «secondaires», mais n'empêche que ce fut autant d'unités égyptiennes qui furent soulagées et orientées vers d'autres secteurs. 20 000 soldats, officiers, sous officiers et hommes de troupe, issus, en majorité, des rangs de l'Armée de Libération Nationale (ALN), ont séjourné sur le front, de 1967 à 1971 et de 1973 à 1975. Au cours de ces années, des centaines de chars, de canons, d'engins et de véhicules de combat, et près d'une centaine d'avions, furent cédés gratuitement à l'Egypte, alors que d'autres unités de chars et d'avions y séjourneront de 1973 à 1975. Plus de cent combattants, de tout grade, tomberont au champ d'honneur, pour la plupart rescapés des maquis de l'immense et noble Révolution algérienne. Ce chiffre, s'il pourrait paraître peu élevé, comparativement aux pertes lors d'une guerre frontale, ne se situe pas moins, dans la norme, s'agissant d'une guerre d'usure. Les amnésies volontaires dont parle M. Bachir Medjahed, dans la post-face de ce livre, ainsi que l'attaque de nos symboles, par ces mêmes Egyptiens, m'ont amené à changer d'avis et à tout consigner dans un livre, pour l'histoire de demain. Afin d'en faire le résumé, je donne la parole à M. Medjahed, éditorialiste, ancien analyste à l'INESG et spécialiste en géostratégie, auteur de la post-face de ce livre. Il écrit, en substance : «Sur le front égyptien, la 2e Brigade, portée algérienne, 1968-1969, aurait pu être, par son seul titre, l'énoncé d'un film de guerre. Mais cette brigade est bel et bien réelle, et elle est algérienne ; elle pourrait inspirer bien des cinéastes. Elle inspirera en tout cas, certainement, les politiques et analystes, quand ils apprendront que les unités de l'Armée nationale populaire ont été envoyées en Egypte de 1967 à 1971 et de 1973 à 1975, sur le front, lors de la guerre d'usure et celle d'Octobre, au nom de la solidarité arabe, et ne manqueront pas de faire leur lecture par l'intégration des relations actuelles entre ces deux pays : l'Algérie et l'Egypte. Ce qu'étaient les relations égypto-algériennes à cette époque, quand les regards arabes étaient portés vers une direction d'ensemble aux actions politiques, et ce que celles-ci sont devenues vingt-six ans plus tard, c'est-à-dire aujourd'hui, en 2009, où des pays arabes voudraient s'ériger en pivot régional d'une architecture de sécurité internationale définie par les Etats-Unis, ou devenir un allié stratégique hors Otan. Jusqu'à la veille du départ, en solitaire, du président égyptien, Anwar Sadate, en Israël puis à Camp David, il y avait encore la conviction que le Monde arabe pouvait aspirer à son unité face à une menace extérieure. Suite aux accords séparés avec Israël, qui ont été rendus possibles par l'Egypte, et qui ont induit des paix séparées, non accompagnées par celle des Palestiniens, la guerre israélo-arabe a fini par devenir une guerre israélo-palestinienne doublée, malheureusement, d'une guerre palestino-palestinienne. A ce rêve d'intégration soufflé par la politique égocentrique de l'Egypte, répondent aujourd'hui l'inefficacité des actions isolées, l'impossibilité des projets concertés, la dévalorisation des réunions aux Sommets des chefs d'Etat de la Ligue arabe, l'impossibilité, pour cette dernière, d'apporter des solutions arabes à des problèmes interarabes, de réussir à faire converger leurs visions sur les relations arabes avec Israël, des Etats au bord de la désintégration, suite au réveil de certains clivages confessionnels et identitaires, là où il n'existe pas d'identités collectives et intégrantes, des alignements sur des puissances étrangères perçus comme pouvant garantir la stabilité des pays et des régimes en insuffisance de légitimité. La parution de ce livre, maintenant, est certainement salutaire pour la redéfinition des liens entre les pays arabes et, éventuellement, pour l'ouverture en Algérie d'un débat portant sur des choix à faire entre des espaces géopolitiques auxquels il faudra s'arrimer. Ne dit-on pas que la géographie fournit ses déterminants à la politique ? C'est une coïncidence instructive qui montre que les grandes politiques conçues pour la construction du Monde arabe ne sont pas continues. C'est plutôt une consternation pour ceux qui font du Monde arabe, et de sa cohésio,n une rente politicienne ; un phénomène d'investissement plutôt politicien que politique. Celle-ci paraît évidente dès lors qu'on prend connaissance du contenu du livre de Khaled Nezzar se rapportant à la contribution directe de l'Algérie aux guerres de 1967 et 1973 aux côtés, plus particulièrement, de l'armée égyptienne. La contribution a été intense et totale, à la fois sur les plans militaire et diplomatique, car il ne peut pas y avoir de séparation entre politique de défense et politique internationale. Il est de ces publications qui interpellent les consciences, face à des amnésies volontaires mises au service de stratégies parfois non explicitées, quand le devoir de mémoire immunise l'avenir contre le retour de ce qu'on appelle les «vieux démons».